Janez Potočnik, le commissaire européen en charge de l’Environnement, a prononcé le 21 octobre 2013 à Londres lors du "FT Global Shale Energy Summit" un discours dans lequel il aborde la manière dont la Commission européenne entend encadrer "les opportunités et les risques" qui découlent de la "révolution globale du schiste". Son discours vient confirmer les informations des derniers trois mois selon lesquelles la Commission européenne veut mettre sur le métier "un cadre à l'échelle de l'UE pour l'évaluation des risques de l'extraction des combustibles fossiles non conventionnels" comme les gaz de schiste.
Dans ce discours, Janez Potočnik souligne la nécessité d’agir de l’UE qui doit assurer son approvisionnement en énergies économiquement abordables dans un contexte où les énergies conventionnelles se raréfient, mais où les nouvelles technologies permettent d’exploiter de nouvelles sources d’énergie, "ce que font déjà d’autres régions du monde, et ce qui a conduit à un changement dans les équilibres sur les marchés de l’énergie". Un autre élément de la situation est que l’Europe tarde à récupérer de la crise, alors que l’"American dream" s’impose aux esprits, puisqu’aux USA, le gaz de schiste est devenu un élément important du mix énergétique et de la baisse des prix de l’énergie.
En Europe, les prix de l’énergie sont plus élevés et grèvent la compétitivité, mais, concède le commissaire Potočnik, "l’effet direct sur les prix d’une production intérieure de gaz de schiste sur les marchés régionaux européens doit encore être confirmé", vu sa faible quantité et ses prix de production plus élevés. Reste que le commissaire saluerait aussi une "baisse même modérée des prix" qui aurait un impact bénéfique sur le prix de la dépendance énergétique de certains pays et les industries chimique et sidérurgique.
Toutes les estimations portent à croire que les prix de l’énergie resteront sur le long terme plus élevés en Europe qu’aux USA et en Chine et toute politique future devra tenir compte de ce facteur. Mais en même temps, estime Janez Potočnik, il faudra tenir compte de la dimension environnementale et "éviter des pressions indues sur des ressources naturelles comme la terre et l’eau". L’UE vise pour cela une économie moins dépendante d’énergies à émissions de carbone, avec la conviction que "l’énergie la moins chère est celle qui n’est pas consommée". C’est précisément vis-à-vis d’un tel défi que "des nouvelles sources de gaz comme celui de schiste deviennent attractifs". Ils sont considérés comme de possibles substituts au charbon et au lignite. "Mais nous ne devons pas oublier que le gaz de schiste est une énergie fossile et que notre objectif ultime est une société sans carbone, ce qui suppose le développement des énergies renouvelables. La production et l'utilisation du gaz de schiste ne pourront être bénéfiques pour le climat que si elles aident certains États membres à réduire la part du charbon dans leur mix énergétique", a mis en garde le commissaire.
Pour Janez Potočnik, "nous sommes dans une période de transition", et il s’agit "de ne pas se laisser enfermer dans certains schémas sans consistance". Il cite ensuite le Royaume-Uni et la Pologne, qui se sont lancés dans le développement du secteur du gaz de schiste, où cette approche "pourrait effectivement (…) devenir une part de la stratégie de transition". Puis il souligne le côté négatif de l’exploitation du gaz de schiste, le fracking ou fracturation hydraulique, qui pollue l’eau, qui implique le recours à des substances chimiques, qui conduit à des émissions d’air pollué, induit de la sismicité et génère des trafics de transports intenses et une consommation importante de terres, bref "des risques et impacts qui peuvent avoir un effet transfrontalier".
Le commissaire est tout à fait conscient des remous et protestations que le fracking déclenche dans les sociétés européennes et que certains Etats membres ont décidé d’un moratoire (France, Bulgarie, arrêt en Cantabrie (Espagne) et Roumanie suite aux protestations, ndlr). Le manque d’expérience en Europe et l’absence de mesures préventives systématiques renforcent par ailleurs les inquiétudes. Or, "la question de l’acceptation publique est extrêmement importante." Il faut selon lui donc agir sur la question de la prévention et de la gestion des risques. C’est pourquoi la Commission a procédé ces deux dernières années à une consultation publique et à des travaux sur les lacunes et ambiguïtés dans la législation ainsi que sur les bonnes pratiques, notamment en ce qui concerne l’information sur les produits chimiques utilisés, la surveillance des nappes phréatiques, le modelage hydrologique, la sécurité des puits de forage et la capture du méthane, etc. La conclusion de ces travaux a été qu’il "faut à l’UE un éventail de principes et de mesures communes générales", a mis en avant le commissaire Potočnik.
Cette approche devra en premier lieu être "claire et facile à comprendre". Elle doit donc s’appliquer à tous les risques associés au fracking, mais au niveau européen, pour pallier les interprétations nationales d’une législation européenne actuelle qui n’est pas assez spécifique et claire et donc créatrice d’incertitudes. Il faudra ensuite un certain degré de flexibilité qui tient compte des risques locaux. En troisième lieu, il faut un "level playing field" en Europe qui place tout le monde au même niveau. Finalement, les risques de santé et environnementaux doivent être abordés en toute transparence, afin que le gaz de schiste soit accepté par le public et admis par la société.
Janez Potočnik a ensuite rappelé le droit des États membres à décider librement de leur mix énergétique, la nécessité de rassurer le public qui se mobilise de plus en plus contre l'exploration des gaz de schiste, y compris au Royaume-Uni et de gérer au mieux la transition énergétique. Cette équation n'est pas simple à résoudre. "La Commission pense qu'un cadre à l'échelle de l'UE sur la gestion des risques pour l'extraction des combustibles fossiles non conventionnels, en vue de garantir que des dispositions harmonisées s'appliquent à tous les États membres, serait le meilleur moyen de s'attaquer à ces préoccupations. Notre objectif est de mettre en place un cadre qui permettrait de retirer les avantages économiques et énergétiques potentiels des gaz de schiste et de garantir que les activités d'extraction utilisant la fracture hydraulique soient réalisées avec des garanties climatiques et environnementales", a déclaré le commissaire.
Parallèlement au discours du commissaire à l’Environnement, le site Euractiv a recueilli des détails de la proposition de directive sur laquelle la Commission planche et dont il est dit qu’elle "vise à offrir à la population 'le même niveau de protection' contre les risques de la fracturation hydraulique que contre ceux d'autres types d'extraction de ressources". Cette législation, qui devrait être présentée entre décembre 2013 et janvier 2014, fixerait selon le site les règles pour gérer les risques d'évacuation des gaz à effet de serre et de leur combustion en torchère, mais aussi les risques de perturbations sismiques, de contamination des eaux souterraines et de gestion de l'approvisionnement et des réserves en eau, tout comme les conséquences pour la qualité de l'air et les émissions de bruit, les problèmes d'infrastructures provoqués par les activités de l'industrie lourde et les émissions de méthane.
Vu cet agenda, cette directive sur le gaz de schiste serait adoptée trop tard pour que la Commission actuelle puisse la mettre en œuvre. Elle serait à l'ordre du jour de la Commission européenne qui sera nommée après les élections au Parlement européen de mai 2014.
Que le gaz de schiste est dans tous les esprits est aussi démontré par le fait que le 9 octobre 2013, le Parlement européen a adopté à une très courte majorité le projet de révision de la directive 85/337/CEE sur les Études d'impact environnemental (EIE). Par 332 voix pour, 311 contre et 14 abstentions, il a en effet validé la proposition de la commission parlementaire de l'environnement qui veut intégrer l'exploitation des gaz et pétrole de schiste parmi les projets qui doivent obligatoirement faire l'objet d'une étude d’impact environnemental. La proposition de révision de la directive, adoptée par le Parlement européen, vise également à lutter davantage contre les conflits d’intérêt et à mieux informer et consulter les citoyens.