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Les craintes qu'il y ait un tourisme social massif dans l'UE exprimées par quelques Etats membres sont contredites par une étude de la Commission européenne
14-10-2013


Andor-tourisme-social (Source: Parlement européen)Les craintes avancées par plusieurs Etats membres quant à un "tourisme social" qui serait pratiqué par les migrants intra-Union européenne ne sont pas fondées selon une étude du cabinet de consultance ICF-GHK, commanditée par la Commission européenne et publiée le 14 octobre 2013.

Contexte

Au printemps 2013, les ministres de l'Intérieur de l'Allemagne, de l'Autriche, des Pays-Bas et du Royaume-Uni avaient envoyé une missive à la Commission européenne, dénonçant le fait que les migrants issus d'autres États membres mettraient considérablement sous pression certaines régions, et en particulier leurs systèmes de prestations sociales (chômage, soins de santé, etc.).

Sans les citer directement, ces Etats visaient plus spécialement les migrants issus des plus récents Etats membres de l’Est de l’UE, dans un contexte dans lequel, le 1er janvier 2014, le marché du travail de l'UE sera complétement ouvert aux citoyens bulgares et aux citoyens roumains, membres de l'UE depuis 2007 mais soumis depuis à des restrictions d’accès.

Les principaux résultats de l’étude

Selon le rapport de la Commission, ces craintes seraient cependant largement injustifiées. Celui-ci, qui se base à la fois sur des données statistiques quantitatives des Etats membres et sur des analyses qualitatives, bat en brèche plusieurs idées reçues ancrées dans divers Etats membres. Elle conclut notamment que la vaste majorité des immigrants se rendent dans un autre État membre pour travailler et non pour y bénéficier des avantages sociaux.

Les migrants européens non actifs: une "part infime" de la population des Etats membres

Selon l’étude commandée par la Commission, les migrants intra-européens non actifs ne représenteraient qu’une infime partie de la population de chaque Etat membre, une part qui n’a que très légèrement augmenté au cours de la dernière décennie. Ainsi ces migrants non actifs comptaient pour 0,7 % de la population totale de l’UE en 2003 pour atteindre 1 % en 2012, alors que le phénomène de migration intra-européenne a pour sa part augmenté de 1,3 % à 2,6 % de la population totale de l’UE au cours de la même période.

Dans 17 Etats membres, les migrants européens non actifs représentent ainsi moins de 1 % de la population de cet Etat. L’étude met néanmoins en évidence quelques exceptions notables, à savoir la Belgique qui compte dans sa population 3 % de migrants non actifs arrivés d’un autre Etat membre, la République d’Irlande (3 %), Chypre (4,1 %) et le Luxembourg qui fait ici figure de champion avec une part de 13,9 %, qui sont "des Etats membres  qui comptent  généralement une forte proportion de migrants de l'UE dans leur population totale", expliquent les auteurs.

Deux tiers de pensionnés, d’étudiants et de chercheurs d’emploi

Dans le détail, en 2012, ce groupe des migrants intra-UE non actifs était composé à plus des deux tiers, soit 71 %, par des pensionnés, des étudiants ou des chercheurs d’emploi, précise l’étude. Les personnes au foyer ainsi que les membres de la famille inactifs comptaient pour 25 % de ces migrants alors que les personnes incapables de travailler pour cause de handicaps permanents n’étaient que 3 %.

L’étude note néanmoins des différences significatives entre Etats membres. Ainsi, le groupe des migrants non-actifs de l'UE compte en Italie jusqu'à 45 % de chercheurs d’emplois, mais seulement 9 % au Luxembourg. Le Grand-Duché compte par ailleurs 29 % d’étudiants, 27 % de retraités et 5 % de personnes souffrant d’incapacités de travail dans ce groupe.

Près de 80 %, soit "la vaste majorité des migrants intra-UE non actifs vivent dans des foyers économiquement actifs", poursuivent par ailleurs les auteurs de l’étude.

Les migrants davantage susceptibles d’être économiquement actifs que les nationaux

Autre réalité mise en lumière par l’étude, les migrants européens sont davantage susceptibles d’être économiquement actifs que les citoyens nationaux vivant dans le même Etat membre, cela "malgré le fait que les taux d’inactivité tendent à être relativement plus élevés chez ces migrants", détaillent les auteurs.

L’écart moyen dans les Etats membres entre migrants européens non actifs et nationaux non actifs est en effet de 9 points de pourcent en faveur des migrants. "Cet écart peut être en partie expliqué par les différences d’âge entre les nationaux et les migrants européens, ces derniers étant plus nombreux à faire partie du groupe des 15 - 64 ans", ajoutent-ils. En Italie la différence en matière de taux d’activité chez les migrants et chez les nationaux atteint jusqu’à 22 points.

Au Luxembourg, cet écart est également plus important que la moyenne: la part de non actifs dans la population nationale se monte ainsi à 51 %, quand celle des migrants intra-UE non actifs qui résident dans cet Etat membre atteint 35 %, soit une différence de 16 points de pourcent. Le taux de chômage y est néanmoins plus élevé chez les migrants européens (6,2 % en 2011) que chez les nationaux (3,3 % en 2011).

L’étude souligne que dans cinq Etats membres (Bulgarie, Estonie, France, Malte et Suède), les nationaux sont davantage susceptibles d’occuper un emploi que les migrants européens, mais elle note que cet écart est très faible dans des pays qui présentent une forte population immigrée comme la France ou la Suède.

Entre 2005 et 2012, le taux d’inactivité au sein du groupe des migrants intra-UE a par ailleurs chuté de 47 % à 33 %, cela "malgré une hausse du taux de chômage dans ce groupe au cours de la crise économique", assurent encore les auteurs. Le groupe des migrants intra-UE non actifs ne serait en outre pas statique: la majorité des migrants actuellement non actifs (64 %) ont déjà travaillé dans l’Etat membre de résidence, près d’un tiers (32 %) des chercheurs d’emploi ayant travaillé au cours de l’année précédente.

La recherche d’un emploi: "première motivation" des migrants intra-UE

Selon l’étude, la très grande majorité des migrants intra-UE sont motivés par la recherche ou la proposition d’un emploi. "La différence de revenus est aussi une motivation importante pour les individus qui veulent améliorer leur situation financière et leur standard de vie", analysent ses auteurs. D’après ces derniers, l’importance des opportunités d’emploi dans le choix des migrants est démontrée par les récentes évolutions des flux migratoires causées par l’impact des crises économique et financière.

"Les données recueillies montrent un changement de tendance à la faveur d’une migration intra-UE davantage Nord-Sud, bien que la migration Est-Ouest reste la plus importante en termes de volume. Des pays comme l'Espagne et l'Irlande ont connu une baisse de la migration interne de citoyens d’autres Etats membres, tandis que les flux vers des pays comme l'Autriche, le Danemark et l'Allemagne ont augmenté", détaille l’étude.

En revanche, très peu d’éléments venant appuyer les allégations de tourisme aux prestations sociales ont été dégagés par les auteurs, ni dans la littérature, ni dans leurs consultations avec les différents acteurs politiques et autres. "Rien ne suggère que le fait de bénéficier des prestations sociales serait une motivation principale de ces migrants par opposition au travail ou à la famille", notent les auteurs.

Au contraire, les données analysées tendraient à montrer que les immigrants ne sont pas des usagers plus intensifs des systèmes de prestations sociales que les nationaux. "Les citoyens mobiles de l'UE sont moins susceptibles de recevoir des prestations d'invalidité et de chômage dans la plupart des pays étudiés. Là où certaines études ont trouvé des preuves soutenant l'hypothèse d’un 'effet magnétique' des systèmes de protection sociale, son impact global estimé est systématiquement faible, voire statistiquement insignifiant", lit-on dans le rapport.

Une part "très faible" des bénéficiaires des prestations sociales "non contributives"

Pour ce qui est des prestations en espèces "non contributives" - telles les pensions, les allocations d'invalidité et les indemnités de demandeurs d'emploi qui sont financées par la fiscalité générale plutôt que par les cotisations des individus concernés (en l’occurrence non actifs) -, l’étude met en évidence une part très faible de bénéficiaires parmi les migrants européens.

Ceux-ci représentent ainsi moins de 1% de tous les bénéficiaires (de nationalité européenne) dans six Etats membres (Autriche, Bulgarie, Estonie, Grèce, Malte et Portugal) et entre 1% et 5% dans cinq autres pays (Allemagne, Finlande, France, Pays-Bas et Suède) et au-delà de 5 % des bénéficiaires en Belgique et en Irlande.

Les auteurs soulignent néanmoins l’absence de données suffisantes en la matière pour pouvoir dégager des tendances solides. Dans huit pays pour lesquels les données sont disponibles, le volume des migrants européens bénéficiaires de prestations non contributives a augmenté, tout en continuant de représenter, en chiffres absolus, une part très faible du total des bénéficiaires à l’échelle de la plupart des pays.

Par ailleurs, l’étude indique encore que les dépenses associées aux soins de santé des migrants intra-UE non actifs sont très limitées par rapport à la masse des dépenses de santé ou à l’importance de l’économie de l’Etat membre de résidence. La valeur médiane dégagée dans l’étude n’est que de 0,2 % du budget global de la santé qui est ainsi consacré aux migrants de l'UE sans emploi, soit moins de 0,01 % du PIB en moyenne.

Ainsi à Chypre, les dépenses totales en soins de santé consacrées à cette catégorie de personnes varient entre 2,9 et 3,9 %. Les dépenses moyennes dans d’autres Etats membres sont tout autant peu élevées : entre 1,8 et 2,3 % en Irlande, de 0,7 à 1,1 % au Royaume-Uni et entre 0,2 et 0,7 % au Danemark.

Les conclusions

Les auteurs concluent dès lors que "globalement, la part des migrants intra-UE non actifs est très faible. Ils représentent une part tout aussi limitée parmi les bénéficiaires de prestations non-contributives alors que l'impact budgétaire de ces prestations sur les budgets sociaux des Etats membres est également très faible. La même chose vaut pour les coûts associés au recours aux systèmes de soins de santé par ce groupe. L'emploi reste le principal moteur de la migration intra-UE et des taux d'activité chez ces migrants ont en effet augmenté au cours des 7 dernières années."

Ces conclusions confirment notamment celles du rapport de la commissaire en charge de la justice et des droits fondamentaux, Viviane Reding, présenté le 8 octobre lors du Conseil JAI. "Les résultats de cette dernière étude complètent ceux de précédentes analyses qui ont confirmé de manière constante que les travailleurs d'autres États membres sont en réalité des contributeurs nets aux finances publiques du pays hôte", s’est satisfaite la Commission européenne dans un communiqué diffusé à l’issue de la présentation du rapport. "Les travailleurs migrants en provenance d'autres États membres contribuent généralement plus au budget du pays d'accueil en termes d’impôts et de sécurité sociale qu'ils ne reçoivent de prestations car ils ont tendance à être plus jeunes et plus économiquement actifs que les forces de travail des pays d'accueil."

"La Commission reconnaît qu’il peut y avoir des problèmes régionaux ou locaux créés par un afflux important et soudain de ressortissants d'autres pays de l'UE dans une zone géographique particulière. Ils peuvent par exemple exercer une pression sur l'éducation, le logement et les infrastructures. Par conséquent, la Commission est prête à s'engager avec les États membres, en particulier pour aider les autorités municipales et autres pour qu’elles recourent au Fonds social européen dans toute son étendue", a déclaré le commissaire en charge de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion, László Andor, lors de la présentation de l’étude.

Lors du débat en séance plénière du Parlement européen le 22 octobre, l’eurodéputé luxembourgeois conservateur Frank Engel (PPE) a notamment appuyé les conclusions du rapport. "La liberté de mouvement des citoyens est un principe fondateur du marché unique, nul dans cette maison ne saurait le remettre en question. Je viens d’un pays qui compte 45 % de résidents non Luxembourgeois, dont une très large majorité sont des citoyens de l’Union. Ces gens sont là pour travailler, pas pour profiter de quoi que ce soit. S’y ajoutent 150 000 travailleurs frontaliers chaque jour, ce qui a pour conséquence que pendant les heures de jour, la population du Luxembourg est composée en majorité d’étrangers. Sans ces personnes, notre système de sécurité sociale se serait déjà effondré, tout comme les recettes fiscales du pays".