La question d’un siège unique pour le Parlement européen n’en finit plus d’être à l’ordre du jour de l’institution parlementaire européenne et de ses différentes commissions de travail. Dans un projet de rapport adopté par 22 voix pour et 4 voix contre le 14 octobre 2013, la commission des affaires constitutionnelles (AFCO) du PE, compétente sur le fond de la question, affirme ainsi que "le Parlement européen devrait avoir le droit de décider du lieu et du moment où il siège".
La commission AFCO a ainsi suivi les avis de la commission des budgets (BUDG) du 26 septembre 2013 et de la commission des pétitions (PETI) du 16 septembre 2013, qui proposaient chacune de modifier la partie des traités européens qui fixe le siège du Parlement européen "afin de permettre au PE de décider de la fixation de son siège et de son organisation interne" en recourant au nouveau droit d’initiative du PE en la matière, une procédure de révision ordinaire du traité européen selon l’art. 48 TUE. Désormais, ce sera au Parlement européen d’approuver (ou non) le rapport en séance plénière, en novembre 2013.
Le 16 septembre, l'eurosceptique britannique Ashley Fox et le Vert allemand Gerald Häfner, deux partisans déclaré du siège unique à Bruxelles, avaient remis le sujet à l’ordre du jour. Ils avaient alors présenté un projet de rapport à l’intention de la commission AFCO devant la commission PETI visant à amender le "Protocole 6 sur la fixation des sièges et institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne".
La commission PETI avait émis un avis favorable appelant, comme l’y enjoignait le projet de rapport, à lancer une procédure de révision du traité de l'Union européenne en se basant sur le nouveau droit d’initiative du PE de révision des traités.
Le 26 septembre, c’est le libéral allemand Alexander Alvaro qui avait fait adopter par 17 voix contre 15 un avis de la commission BUDG à l’intention de la commission AFCO, allant dans le même sens.
Examiné par la commission AFCO le 14 octobre 2013, le projet de rapport des eurodéputés Fox et Häfner a donc finalement été largement adopté, à la plus grande satisfaction de ses promoteurs.
"Le vote d'aujourd'hui est une excellente nouvelle pour l'intégrité de ce Parlement et pour les contribuables européens. Tôt ou tard, il faudra mettre un terme à ce cirque de déplacements inutiles. Je pense que ce vote sera considéré comme un moment marquant dans ce processus et comme une réalisation clé pour notre campagne qui vise à rendre le système plus sensé. Cette assemblée doit avoir le droit de déterminer où elle siège. Il ne faut pas négliger la volonté des citoyens à ce sujet, ni le souhait des députés", a affirmé le co-rapporteur Ashley Fox, membre du groupe ECR dominé par les conservateurs britanniques.
"En temps de crise, l'Union européenne n'est pas crédible si elle demande des changements et des coupes budgétaires uniquement aux citoyens. L'organisation de ce cirque de déplacements imposés au Parlement européen par les États membres coûte énormément d'argent, nuit à l'environnement et va à l'encontre de la volonté d'une grande majorité de citoyens de l'Union. Notre rapport montre comment le Parlement, la seule institution élue démocratiquement et représentant plus de 500 millions de citoyens, peut arrêter d'être l'otage des États membres et réclamer le droit de décider lui-même du lieu et du moment où il se réunit", a ajouté l'autre co-rapporteur du texte, Gerald Häfner (Verts/ALE).
Le texte adopté en commission précise ainsi que "le Parlement européen serait plus efficace, plus rationnel au niveau des coûts et plus respectueux de l'environnement s'il siégeait en un seul lieu", alors que "le maintien du déplacement mensuel entre Bruxelles et Strasbourg est devenu un symbole négatif (...), en particulier à une époque où la crise financière a entraîné des coupes importantes et douloureuses dans les dépenses des États membres".
Selon le rapport, le surcoût annuel engendré par la dispersion géographique du Parlement européen serait évalué, en fonction des estimations, entre 156 et 204 millions d'euros, soit environ 10 % du budget annuel du PE, les modalités de travail actuelles imposant par ailleurs des coûts et des déplacements supplémentaires aux autres institutions de l'UE et aux journalistes, ajoute le texte. Les émissions de CO2 liées aux déplacements entre les trois lieux de travail atteindraient pour leur part, selon les estimations, entre 11 000 et 19 000 tonnes.
La commission AFCO demande à ce sujet à la Cour des comptes de fournir une analyse complète des économies potentielles "qu'offrirait l'adoption d'un lieu de travail unique du Parlement à Bruxelles" pour son budget. Le texte précise que cette analyse devrait inclure les aspects budgétaires et les coûts accessoires tels que les économies liées à la perte de temps de travail et d'efficacité. Dans le même temps, les députés insistent sur le fait "qu'une compensation raisonnable doit être trouvée afin de garantir la poursuite de l'utilisation des bâtiments actuels du Parlement européen".
Si le rapport ne fait mention d’aucune préférence pour le lieu du siège unique, l’eurosceptique Ashley Fox ne cache pas que Bruxelles, siège d’autres institutions de l’UE, a très nettement sa faveur.
De leur côté, les Verts/ALE soulignent dans un rapport sur les coûts engendrés par la multiplicité des sites, que les locaux à Strasbourg ne sont utilisés que pendant 42 jours par an et sont donc vacants 89 % du temps.
Ashley Fox convient néanmoins du fait que, même initiée par le PE, une révision des traités nécessitera d’être validée par chaque Etat membre, en vertu de ses règles constitutionnelles propres. La France (en vertu du siège de Strasbourg), mais également le Luxembourg (qui accueille le secrétariat général de l’institution et ses services de traduction), ne devraient pas manquer de s’y opposer.
"Donc nous sommes pragmatiques. Nous comprenons qu'il est impossible pour le président français de signer un changement de traité déplaçant le siège loin de Strasbourg. Nous ne mentionnons pas Strasbourg, ni Bruxelles. Nous ne donnons pas de précisions sur l'endroit où le siège unique devrait se situer. Nous disons seulement qu'un seul siège permettrait de faire des économies d'argent et de CO2", a déclaré l’eurodéputé britannique cité par l’Agence Europe.
Par la voix de l’eurodéputée S&D française, Catherine Trautmann, la délégation socialiste française du PE a de son côté "regretté" ce vote, "qui met en scène un sujet particulièrement éloigné des véritables priorités des Européens et du Parlement européen, à commencer par l’emploi et la croissance".
"Le fait de siéger à Strasbourg n’a jamais empêché le Parlement européen d’accroitre ses compétences, contrairement au discours qui décrit un Parlement européen qui ne serait pas libre de son calendrier et de son lieu de travail" écrit-elle dans un communiqué publié sur son site personnel à l’issue du vote. "Depuis quand l’autodétermination devrait‐elle mener à la concentration? Il y a là un paradoxe, et il est évident pour moi que d’un point de vue démocratique nous devons garantir une présence des instances européennes partout sur le territoire", ajoute l’élue européenne.
"Enfin, je ne pense pas que la question du siège du Parlement européen à Strasbourg empêche les Européens de dormir. La peur de l’avenir, le chômage et la pauvreté, si. Les eurodéputé‐e‐s qui dépensent leur énergie dans des attaques anti‐Strasbourg seraient avisés de ne pas s’acharner sur une question qui relève exclusivement du Conseil. La démocratie européenne mérite mieux que cette agitation où les acteurs savent pertinemment qu’ils n’obtiendront rien. A la longue, cette stratégie devient de l’autodénigrement", prévient-elle.
Pour mémoire, selon le protocole n° 6 aux traités, "le Parlement a son siège à Strasbourg", où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles. Les trois lieux de travail du Parlement sont Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg. L'article 341 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit que "le siège des institutions de l'Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres".