La question du siège du Parlement européen est revenue à l’ordre de jour. La fronde des députés européens "anti-Strasbourg", qui veulent regrouper toutes les activités du Parlement européen à Bruxelles, a repris son offensive le 16 septembre 2013 en présentant un projet de rapport réclamant le droit pour les députés de décider "où et quand" ils se réunissent. "Le Parlement devrait avoir le droit de déterminer ses propres modalités de travail, y compris le droit de décider où et quand il se réunit", préconise ce rapport co-signé par l'eurosceptique britannique Ashley Fox et le Vert allemand Gerald Häfner, deux partisans du siège unique du Parlement européen à Bruxelles.
Le conservateur anglais Ashley Fox avait été en mars 2011 l’auteur d’un amendement pour le calendrier des sessions de 2012 et 2013 du Parlement européen, qui proposait, au lieu des deux sessions de quatre jours prévues pour se tenir au mois d’octobre, de tenir deux sessions de deux jours dans le courant d’une même semaine. Son amendement avait trouvé l'accord de 58 % des votants et avait été considéré comme une "victoire" des eurodéputés qui veulent que soient regroupées à Bruxelles toutes les activités du PE.
La France avait aussitôt saisi la Cour de Justice de l’UE d’un recours, et le Luxembourg l’avait assuré de son soutien dans cette procédure. Pour ces deux pays sièges du Parlement européen, cette décision des eurodéputés violait les traités et la jurisprudence de la Cour. Comme le laissaient présager les conclusions de l’avocat général Paolo Mengozzi de septembre 2012, la Cour de justice de l’UE décida, dans son arrêt rendu le 13 décembre 2012, d’annuler les délibérations du Parlement européen du 9 mars 2011 portant sur le calendrier des sessions parlementaires de 2012 et 2013. Un arrêt dont les autorités luxembourgeoises n'avaient pas manqué de se féliciter.
Le 12 juin 2013, la plénière du Parlement européen a de nouveau pris une décision sur son calendrier des sessions plénières pour 2014. Une décision que l’eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling et certains de ses pairs du PPE, les Français Constance Le Grip et Jean-Pierre Audy et l’Allemand Bernd Posselt, ont tenté d’infléchir en proposant un amendement qui a été rejeté. Ce qui les inquiète dans le projet de calendrier qui a finalement été adopté, c’est qu’il ne respecte ni les traités, ni les arrêts de la Cour de Justice, et qu'il risque d’être contesté devant la Cour de Justice.
Cette fois-ci, les partisans du siège du Parlement européen à Bruxelles s’y sont pris autrement, tant avec leur argumentaire qu’avec la procédure qu’ils veulent entamer, celle d’une révision ordinaire du traité européen selon l’art. 48 TUE.
Ils mettent en avant que les traité européens disposent que le Parlement a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire, que les périodes de sessions plénières additionnelles se tiennent à Bruxelles, que les commissions du Parlement européen siègent à Bruxelles et que le secrétariat général du Parlement européen et ses services restent installés à Luxembourg.
Mais ils mettent aussi en avant que le traité européen dispose que le fonctionnement de l'Union est fondé sur la démocratie représentative et que le Parlement européen exerce la fonction législative conjointement avec le Conseil. Par ailleurs, ils estiment que selon les traités, le Parlement européen peut arrêter son règlement intérieur et fixer la durée des sessions plénières.
A partir de là, ils reviennent sur l’arrêt de la CJUE de décembre 2012, qui a, malgré le rejet de leur première démarche, reconnu les inconvénients et les coûts liés à la pluralité des lieux de travail, mais qui a également précisé que toute amélioration de la situation actuelle nécessitait de modifier les traités, et donc d'obtenir le consentement des États membres. Ce qui est nouveau de la part des "anti-Strasbourg", dans le sens où s’ils continuent de penser "que le Parlement devrait avoir le droit de déterminer ses propres modalités de travail, y compris le droit de décider où et quand il se réunit", c’est qu’ils sont maintenant convaincus qu’il faut passer par une révision des traités pour exercer pleinement ce droit.
Les partisans de Bruxelles dressent ensuite une liste de ce qui a changé pour le Parlement européen depuis ses débuts et les derniers accords sur son siège.
Il est passé d'une assemblée consultative de 78 membres détachés, qui, pour des raisons pratiques principalement, partageait ses locaux avec l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à Strasbourg, à un parlement à part entière, qui compte 754 députés élus au suffrage direct et qui est aujourd'hui colégislateur sur un pied d'égalité avec le Conseil.
Le nombre de procédures de codécision est passé de 165 lors de la législature 1993-1999 à 454 en 2004-2009, et à un nombre encore plus élevé lors de la législature actuelle, où la codécision est devenue la procédure législative européenne ordinaire.
Le nombre de fonctionnaires à Bruxelles est passé de 1 180 en 1993 à 5 635 en 2013, soit un plus de 377 %, une croissance supérieure à l'augmentation de 48 % du nombre de députés au cours de la même période. Le nombre des réunions interinstitutionnelles comme les trilogues est passé de 16 000 à environ 40 000 entre 2009 et 2013, soit une hausse de 150 % au cours d’une seule législature.
Autre type d’argument : la structure du calendrier du Parlement européen, qui a été fixée lors du sommet d'Edimbourg en 1992, est antérieure à toutes les évolutions de son rôle découlant de l'adoption des traités de Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2000) et Lisbonne (2008).
Entretemps, le Conseil et le Conseil européen ont déjà concentré leurs activités à Bruxelles, soulignent les députés "anti-Strasbourg" où se tiennent aujourd'hui exclusivement les réunions du Conseil européen, qui avaient auparavant lieu dans le pays assumant la présidence tournante. Partant de là, les auteurs du projet mettent en avant que la distance géographique entre les sièges officiels des organes colégislateurs - 435 km entre Bruxelles et Strasbourg - isole le Parlement européen non seulement du Conseil et de la Commission, mais également des autres parties prenantes, telles que les ONG, les organisations de la société civile, les représentations des États membres, ainsi que de l'une des communautés journalistiques internationales les plus nombreuses au monde.
L’argument économique et budgétaire revient aussi, comme dans d’autres rapports. (LIEN). Les auteurs du projet pointent le surcoût engendré par la dispersion géographique du Parlement européen, qui selon eux "serait compris, selon une estimation prudente, entre 169 et 204 millions d'euros, soit entre 15 et 20 % du budget annuel du Parlement, tandis que les répercussions environnementales sont également considérables, les émissions supplémentaires de CO2 liées aux déplacements entre les trois lieux de travail se chiffrant selon les estimations à 19 000 tonnes au moins."
Ils estiment par ailleurs que 78 % de l'ensemble des missions du personnel statutaire du Parlement - en moyenne 3172 par mois - résultent directement de sa dispersion géographique et que si les bâtiments du Parlement européen à Strasbourg ne sont actuellement utilisés que 42 jours par an (et restent inutilisés 89 % du temps), ils doivent néanmoins être chauffés, occupés et entretenus pendant toute l'année.
Bref, "les dépenses résultant de la dispersion géographique du Parlement constituent un domaine important d'économies potentielles, en particulier dans le climat économique actuel".
A partir de là, et sans se prononcer directement sur la question du siège du Parlement européen, avec les réunions des plénières à Strasbourg, les réunions des commissions à Bruxelles et le secrétariat général à Luxembourg, les "anti-Strasbourg" proposent, en recourant au nouveau droit d’initiative du Parlement européen, de "lancer une procédure de révision ordinaire des traités au titre de l'article 48 du traité sur l'Union européenne afin de proposer de modifier l'article 341 du traité TFUE et le protocole n° 6 de sorte que le Parlement puisse décider pleinement de son organisation interne, y compris de son calendrier et de la fixation de son siège", une compétence qui ne se limiterait donc pas à la question de Strasbourg, mais s’étendrait aussi à celle de Luxembourg. Et ils précisent qu’ils ne vont "faire aucune recommandation quant aux sièges des autres institutions de l'Union". Ils terminent par une note conciliatrice que pour toute décision future du Parlement sur ses modalités de travail, il devra "consacrer suffisamment de temps aux discussions et à la réflexion, et prévoir une transition sans heurts".
La procédure de révision ordinaire basée sur l’art. 48 TUE concerne les modifications les plus importantes apportées aux traités, telles que l’accroissement ou la réduction des compétences de l’UE. Elle implique notamment la convocation d’une CIG qui adoptera les projets de révision par consensus. Les modifications apportées aux traités n’entreront en vigueur qu’après leur ratification par l’ensemble des États membres.
Le traité de Lisbonne consacre la pratique actuelle visant à réunir une Convention européenne avant la CIG. Cette Convention a pour mission d’examiner les projets de révision puis d’émettre une recommandation pour la CIG. Elle est composée de représentants des chefs d’État ou de gouvernement, de la Commission, mais également de représentants des parlements nationaux et du Parlement européen. Le traité de Lisbonne cherche ainsi à démocratiser le processus de révision des traités. Autre innovation majeure, le Parlement européen acquiert le droit d’initiative.
Il peut désormais proposer des projets de révision au même titre que les gouvernements des États membres et la Commission.
Le Conseil européen peut également décider, après approbation du Parlement européen, et à la majorité simple, de ne pas convoquer de Convention lorsque les modifications sont de moindre ampleur. Une telle majorité simple serait théoriquement possible sans les voix de la France et du Luxembourg, solidaires sur cette question. Dans un tel cas, le Conseil européen établit directement un mandat pour la CIG qui est alors censée arrêter d'un commun accord les modifications à apporter aux traités. Ces modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.
Le rapport a été examiné le 16 septembre 2013 par la commission des pétitions (PETI) qui a formulé un avis qui entrera dans les délibérations la commission des Affaires constitutionnelles (AFCO) qui gère le dossier. Tous les amendements – pas moins de 32 –qui rappelaient de manière directe ou indirecte que, conformément aux traités européens, le siège du Parlement européen est à Strasbourg, ont été rejetés ou refusés. Ces amendements étaient présentés par un groupe d’eurodéputés français composé par des membres du groupe PPE - Constance Le Grip, Michèle Striffler, Alain Cadec, Brice Hortefeux, Arnaud Danjean, Michel Dantin, Marie-Thérèse Sanchez-Schmid, Philippe Boulland, Agnès Le Brun, Véronique Mathieu Houillon, Philippe Juvin, Françoise Grossetête et Rachida Dati, auxquels se sont jointes l’eurodéputée libérale lorraine Nathalie Griesbeck et la questeure et eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling (PPE).
Le vote du projet en commission AFCO, avant son éventuel examen en séance plénière, a été fixé au 14 octobre 2013.