Principaux portails publics  |     | 

Entreprises et industrie - Santé
Le Parlement européen a adopté à une large majorité la proposition de directive Tabac – Les eurodéputés luxembourgeois Robert Goebbels, Astrid Lulling et Frank Engel s’en agacent
08-10-2013


Parlement européenLe 8 octobre 2013, le Parlement européen, réuni en plénière, a adopté une proposition de directive Tabac visant à adapter une législation européenne  vieille de douze ans, afin de dissuader davantage les jeunes de commencer à fumer. Par 560 voix pour, 92 contre et 32 abstentions, les eurodéputés ont adopté le rapport de Linda McAvan (S&D, Royaume-Uni) allant en ce sens. Dans la foulée, ils ont accordé à la rapporteure, par 620 voix pour, 43 contre et 14 abstentions, un mandat de négociation avec le Conseil afin d'obtenir un accord de première lecture.

De nouvelles règles

Douze ans après l'entrée en vigueur d’une première directive Tabac, le tabac reste la principale cause de décès que l'on peut prévenir. 700 000 personnes en meurent chaque année. Grâce aux mesures prises au fil des années pour réduire le nombre de fumeurs, leur part est passé de 40 % dans l'UE 15 en 2002 à 28% dans l'UE 27 en 2012. Cependant, la consommation de tabac continue de représenter une charge importante pour les systèmes de soins de santé et l'économie. Par ailleurs, de nouveaux arômes et paquets ont été utilisés pour rendre les produits du tabac plus attractifs et le tabagisme augmente chez les jeunes dans certains pays, en raison des emballages attrayants et des nouveaux produits. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne, en décembre 2012, a lancé une proposition de révision de la directive actuellement en vigueur.

"Nous savons que ce sont les enfants et non les adultes qui commencent à fumer. Et malgré une baisse du nombre de fumeurs adultes constatée dans la plupart des Etats membres, l'Organisation Mondiale de la Santé indique une tendance à la hausse du nombre de jeunes fumeurs", a déclaré le rapporteur Linda McAvan (S&D, UK), à l’entame des débats du 8 octobre 2013, comme le rapporte le communiqué de presse du Parlement européen. "Nous devons empêcher les entreprises du tabac de cibler les jeunes avec une gamme de produits attrayants et nous devons nous assurer que les paquets comportent des alertes efficaces. Au Canada, des avertissements de grande taille ont été introduits en 2001 et la cigarette parmi les jeunes a diminué de moitié", a-t-elle ajouté.

La cigarette électronique n’est pas un médicament

La cigarette électronique ne devrait pas être considérée comme un médicament et pourrait donc continuer à être vendue dans les boutiques spécialisées ou chez les buralistes. Contre l’avis adopté par le Conseil le 21 juin 2013, l’intention originelle de la Commission européenne mais aussi le point de vue de la commission de l'environnement et de la santé publique, les eurodéputés ont adopté l'amendement 170, introduit par le PPE avec le soutien des groupes ADLE et CRE, qui demande de ne pas classer les cigarettes électroniques dans la catégorie des produits pharmaceutiques.

Les cigarettes électroniques devraient être régulées en tant que produits médicinaux seulement si elles sont présentées comme ayant des propriétés curatives ou préventives, selon le texte adopté par les eurodéputés. Si ce n’est pas le cas, le produit ne pourra pas excéder 30 mg/ml de nicotine et devra comporter des avertissements sanitaires. Les fabricants et importateurs devront également soumettre aux autorités compétentes une liste de tous les ingrédients qu'il contient. Enfin, le produit sera soumis aux mêmes restrictions en matière de publicité que les produits du tabac. La vente aux mineurs sera interdite.

Des messages d’alerte et des images choc sur 65 % de la surface

Le texte adopté prévoit également de porter à 65 % de la surface des paquets de cigarette les messages d'avertissement. Ceux-ci seront inscrits dans la partie haute du paquet, la marque de la cigarette n'apparaissant qu'en bas du paquet. Jusqu’alors, la surface dédiée à ces messages était de 30 % à l’avant du paquet et 45 % à l’arrière. Par ailleurs, le texte prévoit que les États membres qui le souhaitent pourraient adopter un conditionnement neutre.

Autres dispositions

Parmi les autres concessions obtenues par les eurodéputés qui jugeaient la proposition de la Commission ENVI trop sévère, les cigarettes dites "slim", dont le diamètre est inférieur à 7,5 mm,  continueront à être commercialisées.

Les cigarettes aromatisées seront en revanche interdites, les cigarettes "mentholées" bénéficiant toutefois d’une exemption temporaire de huit ans après la promulgation de la loi.

Les additifs essentiels à la production du tabac, tels que le sucre, seront autorisés, ainsi que d'autres substances figurant explicitement sur une liste, dans des concentrations spécifiques. Pour obtenir l'autorisation d'un additif, les fabricants devront déposer une demande auprès de la Commission.

Les petits paquets, de moins de 20 cigarettes, seront interdits.

Afin de réduire le nombre de produits de tabac illicites mis sur le marché, les Etats membres devraient garantir que les paquets unitaires et l'emballage de transport sont identifiés par un marquage permettant de suivre le parcours de l'envoi du producteur au premier détaillant, estiment les députés.

Une adoption rapide en trilogue ?

Le Commissaire en charge de la Santé, Tonio Borg, s’est félicité dans un communiqué de presse de ce vote exprimé à l’issue d’un  "débat animé et approfondi". "La Commission va désormais soigneusement analyser les amendements adoptés aujourd'hui et définir sa position, de façon à ce que les négociations puissent se poursuivre au sein du trilogue", a-t-il dit, pariant que la directive révisée pourra être adoptée lors du mandat du Parlement européen actuel. Il y aurait selon lui urgence : « Les citoyens de l'Union attendent de nous tous que nous agissions sur le dossier du tabac et que nous adoptions, dans un avenir proche, une nouvelle législation qui placera l'Union sur le devant de la scène internationale».

Le ministre lituanien de la Santé, V. P. Andriukaitis, s’est félicité de ce vote dans un communiqué de presse de la la présidence litunaienne de l'UE. Pendant le débat, il a révélé aux parlementaires que ses deux frères sont morts de maladies liées à la consommation de produits du tabac et il a rappelé aux représentants des différents pays qu’ils sont responsables des millions d’Européens qui ont déjà souffert ou souffriront encore à cause des maladies et des morts liées au tabagisme.

V. P. Andriukaitis a estimé que l’accord pourrait encore intervenir sous la présidence européenne de son pays, avant la fin de l’année donc. Une fois la législation adoptée par le Conseil et le Parlement, les Etats membres devront traduire la directive en droit national au plus tard 18 mois après son entrée en vigueur, 36 mois pour les dispositions relatives aux additifs. Les produits du tabac non conformes à la directive seront tolérés sur le marché durant 24 mois, 36 mois pour les cigarettes électroniques.

La discussion de ce sujet a notamment été marquée par le fort lobbyisme exercé par l’industrie du tabac. "Ce vote était politiquement et symboliquement de la plus haute importance car il montre qui gouverne vraiment à Bruxelles", a résumé la vice-présidente du groupe des Verts au PE, la Française Michèle Rivasi, comme le rapporte l’Agence Europe. Durant le débat, l’eurodéputé luxembourgeois S&D, Robert Goebbels a souligné qu’on pouvait être opposé au texte sans être vendu aux lobbys : "Les députés critiques sont taxés d’être à la solde de lobbyistes du tabac. Je n’ai jamais fumé et je n’ai jamais reçu un lobbyiste. Je veux raison garder."

Les réactions luxembourgeoises

Robert GoebbelsRobert Goebbels est l’un des quatre parmi les six eurodéputés luxembourgeois à s’être manifestés à l’issue du vote par un communiqué de presse. Rapporteur pour la commission parlementaire de l'Industrie, de la recherche et l'énergie (ITRE), il avait déjà eu l’occasion, lors d’une conférence de presse tenue le 27 juin 2013, de mettre en garde contre une directive trop interventionniste, au vu notamment de l’importance du secteur du tabac en termes d’emplois mais aussi de revenus pour les Etats.

Il fait finalement partie des 92 eurodéputés à avoir voté contre le rapport de Linda McAvan. Dans son communiqué de presse, il évoque une "mascarade pseudo-démocratique" auquel il ne pouvait donner son aval. "Ce vote en plénière s'est déroulé dans une grande confusion. Beaucoup de députés ne savaient manifestement pas sur quoi ils votaient. Certains votes furent contradictoires", constate-t-il.

Certes, le tabac est nocif pour la santé, admet-il, mais "des centaines de milliers de concitoyens meurent également prématurément suite à la surconsommation d'alcool, de graisses, de sucre et d'autres substances, pour ne pas parler de ceux qui décèdent suite à toutes sortes d'accidents, notamment des accidents routiers".

Par ailleurs, Robert Goebbels relève les contradictions de la Commission et notamment le fait qu’elle prétend vouloir combattre le tabagisme mais exclut de ses propositions les cigares et les cigarillos, sous prétexte qu’ils seraient des produits utilisés par des adultes.

S’il juge "honorable", l’intention de la Commission d’empêcher les jeunes de commencer à fumer, il doute toutefois de l’efficacité des "interdits imaginés". "Il est dans la nature même des jeunes de s'opposer aux interdits des adultes", estime-t-il en effet. Phrases et images chocs n’y feraient rien. "Quand on voit les tatouages dont se couvrent beaucoup de jeunes, les têtes de mort et autres images chocs, l'on a du mal à croire que couvrir les emballages de tabac d'images chocs aient un grand pouvoir dissuasif", pense Robert Goebbels. Lui préférerait que l’on consacre la moitié (et non 65 %) de la surface des paquets à des informations concernant le sevrage tabagique. "Mais Parlement, Commission et Conseil préfèrent les symboles aux politiques plus concrètes", juge-t-il.

L’eurodéputé PPE Frank Engel s’est pour sa part abstenu lors du vote final, après avoir soutenu l´ensemble des amendements qui lui paraissaient pouvoir améliorer "un texte autrement désastreux". "Un vote négatif aurait été contre-productif vu l´obstination de la Commission et du Conseil: la position du Parlement doit pouvoir leur être efficacement opposée, et pour cela, il faut des majorités solides. Je suis néanmoins dans l´incapacité totale, étant donné le fanatisme ambiant, de voter en faveur d´un texte qui, sous prétexte de servir la santé publique, ne fait que marginaliser et aliéner encore une minorité de notre société", lit-on dans son communiqué de presse.

"L'atmosphère dans laquelle nous débattons cette matière est délétère", dit-il encore jugeant que "l´approche de la Commission européenne, mais également de beaucoup d´Etats membres en cette matière, est d´une bigoterie et d´une hypocrisie intolérables". "Tout en maintenant la légalité d´un produit, de sa fabrication et de sa vente, on agit pour en rendre le marché et la consommation quasi souterrains", déplore-t-il.

Par ailleurs, Frank Engel pointe le lobbyisme "abominable" de l’industrie du tabac contre la cigarette électronique, "dont l´ensemble des cancérologues estiment qu´elle est un remplacement du tabac utile et justifié". "Malheureusement, beaucoup de collègues pratiquent un zèle à cet égard qui rappelle les temps les plus sombres de la chasse aux sorcières", juge-t-il.

L’eurodéputée PPE, Astrid Lulling, s’est elle aussi abstenue. Dans son explication de vote, elle convoque pour sa part Talleyrand, lequel "savait déjà que tout ce qui est exagéré est insignifiant", pour dénoncer "les outrances contenues dans ce rapport" qui seront "inopérantes" sur le plan de la santé publique, puisque "rien n'empêchera un fumeur invétéré de fumer, ni un jeune de braver l'interdit".

Astrid Lulling s’inquiète des "effets dévastateurs" de telles exagérations pour l'emploi dans l'industrie du tabac et plus particulièrement dans le secteur des PME européennes, producteurs de produits de niches. "Les pénaliser conduira en outre à favoriser l'importation de produits beaucoup plus nuisibles et souvent illégaux."

Astrid Lulling fait savoir qu’elle a proposé en vain des amendements visant un meilleur équilibre entre l'impératif de santé publique et la sauvegarde d'un secteur économique important. Elle espère encore que le Parlement européen trouve avec le Conseil "une formule plus équilibrée ".

Lors d’une conférence de presse tenue le 4 octobre 2013, le producteur national de tabac, Heintz van Landewyck, installé au Luxembourg depuis 1847, avait d’ailleurs mis en garde contre les conséquences prévisibles de la proposition de directive en termes d’emplois. "Avec cette directive, les PME sont traités de manière inéquitable et des jobs seront détruits, notamment ici au Luxembourg", avait alors déclaré le directeur Marc Wagener. Cent emplois seraient en jeu au Luxembourg parmi les 850 employés occupés chez celui qui est le 7e plus gros pourvoyeur d’emplois industriels du Luxembourg.

L’interdiction du menthol, représentant 7,5 % des ventes de Heintz van Landewyck constituerait par exemple "une restriction sévère, qui aura une influence négative élevée sur l’industrie locale". La cigarette menthol serait un de ces produits de niche permettant à cette PME de survivre sur le marché.  "Sur le long terme, nous ne pourrons plus nous distinguer par nos produits et leur présentation optique, cela est contradictoire à notre avis avec l’objectif du marché intérieur", a déclaré Charles Lemmer, directeur-adjoint des ventes, selon des propos rapportés par le Luxemburger Wort, dans son édition du 5 octobre 2013.

Constatant l’opposition entre les représentants de la santé derrière la proposition de la Commission et le lobby de la cigarette qui "a mobilisé toutes les ressources pour édulcorer le projet", l’eurodéputé PPE Georges Bach estime que le résultat atteint par le Parlement, en faveur duquel il a voté, est un bon compromis. "Le défi résidait dans le fait de trouver un compromis entre les arguments sanitaires et économiques. Je crois que nous avons réussi ce grand écart", a-t-il déclaré par communiqué de presse.

Georges Bach doute cependant du caractère suffisant des messages d’alerte sur les paquets. "Si nous voulons vraiment que notre jeunesse ne commence pas à fumer, on doit l’informer mieux et de manière plus ciblée."

Georges Bach revient également sur la perspective que la cigarette électronique puisse n’être vendue qu’en pharmacie : "C'est une idiotie complète que les cigarettes soient en vente libre dans les bureaux de tabac mais qu’il faille se rendre dans une pharmacie pour une cigarette électronique beaucoup moins nuisible à la santé. Le lobby de la pharmacie comptait là-dessus. Avec cela, les produits de substitution seraient difficilement accessibles et des centaines de postes de travail seraient mis en danger."