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Traités et Affaires institutionnelles
"Démocratie, réformisme et gouvernance européenne" débattus par le recteur de l’Université, le président de la Chambre des députés, un professeur grec et un eurodéputé vert lors de la rentrée du programme "Gouvernance européenne"
02-10-2013


uni.luLa conférence pour la rentrée académique 2013 du Programme gouvernance européenne de la Faculté des lettres, des sciences humaines, des arts et des sciences de l'éducation de l'Université du Luxembourg et de la Chaire de recherche en études parlementaires de la Chambre des députés du Luxembourg, qui a eu lieu le 2 octobre 2013, a, cette fois-ci, évoqué la thématique "Démocratie, réformisme et gouvernance européenne".

Le sujet était ainsi présenté : "Sous l'effet de la crise économique et financière depuis 2008, la Gouvernance de l'Union européenne et des Etats membres qui la composent, est désormais contestée par une grande partie des Européens. Pourtant, les politiques et les modes de décision qu'elles impliquent n'ont jamais été aussi indispensables à l'ère de la mondialisation des grands blocs culturels et économiques que sont notamment les Etats-Unis d'Amérique, la Chine, l'Inde et le Brésil. Pour assurer de nouveau sa légitimité et son efficience, la Gouvernance européenne est obligée désormais de préciser son projet et ses politiques. Elle ne doit pas occulter les valeurs normatives et la démocratie représentative dont ses traités et ses Etats membres sont les dépositaires. Quelles sont les voies de ce réformisme ?"

Les intervenants à cette conférence ont été Rolf Tarrach, Recteur de l'Université du Luxembourg, Laurent Mosar, président de la Chambre des députés du Luxembourg et Panagiotis Grigoriou, titulaire de la chaire J. Monnet à l'université d'Egée, et sollicité d’intervenir dans le débat depuis les rangs du public, l’eurodéputé Claude Turmes.

Rolf Tarrach : simplifier la gouvernance européenne au niveau fédéral et éviter trop de subsidiarité

Rentrée académique du Programme Gouvernance européenne, le 2 octobre 2013: Rolf Tarrach, recteur de l'Université du LuxembourgLe recteur de l’Université, Rolf Tarrach, s’est positionné comme "un Européen convaincu", tout en disant que nombreux disent aussi l’être mais ne le sont pas. "L’Europe subsidiaire aux nations n’est pas mon modèle", a-t-il expliqué, disant préférer que l’on lutte pour l’Europe, "peu importe qu’elle soit utile ou non au propre pays". Evoquant le rapport des quatre présidents qui prône la création de quatre Unions, l’Union monétaire, l’Union budgétaire, l’Union économique et l‘Union politique, il a critiqué le fait que l’on ajoute de nouveau quatre couches de gouvernance à l’UE "qui n’est que formellement démocratique", entre autres parce qu’elle est trop compliquée. Il y a les niveaux locaux, régionaux, nationaux, et maintenant, les niveaux européens risquent de se multiplier. Pour Rolf Tarrach, c’est dans le sens de la simplification des couches de gouvernance qu’il faudrait aller. "Nous sommes en Europe des maîtres pour compliquer les choses", a-t-il critiqué, ce qui va à l’encontre de la démocratique et dilue les responsabilités des uns et des autres.

Laurent Mosar, avocat de la subsidiarité et de la compétence budgétaire des parlements nationaux 

Le président de la Chambre des Députés, Laurent Mosar s’est ensuite longuement étendu sur la question du soir : "Démocratie, réformisme et gouvernance européenne".

Pour lui, la problématique du réformisme dans l’UE est "profondément ancrée dans nos sociétés européennes" qui sont selon lui convaincues "qu’un changement institutionnel, politique et social progressif, inclusif et raisonné vaut mieux que les grandes ruptures et révolutions." La "méthode Monnet" s’en sert, puisque qu’elle "consistait justement à ne pas faire l’Europe d’un seul coup, mais de favoriser une intégration progressive fondée sur le consensus." Bref, "le réformisme reste certainement la meilleure stratégie d’avenir pour l’Union européenne".

Rentrée académique du Programme Gouvernance européenne, le 2 octobre 2013: Laurent Mosar, président de la Chambre des députés du LuxembourgLaurent Mosar a ensuite évoqué la tension paradoxale à laquelle "l’UE est en proie depuis longtemps, en réalité depuis toujours", entre d’un côté "un appel pour toujours davantage d’intégration" nécessaire pour affronter les défis de la mondialisation et de l’autre côté le "manque d’acceptation" et le "manque de crédibilité" de l’UE auprès d’un nombre croissant de citoyens. Pourtant, Laurent Mosar reste "persuadé que l’Union ne souffre pas d’un déficit démocratique", même s’il est évident que "sa légitimité politique et  institutionnelle a beaucoup souffert ces dernières années". Malgré la mise en place de mécanismes de "régulation pour éviter à l’avenir des scénarios de crise comparables à ceux que nous avons connus au cours des dernières années", "malgré la stabilité remarquable de la Monnaie unique, l’Europe reste donc mal-aimée, ou dirais-je du moins mal-comprise."

"De quelle démocratie, de quelle gouvernance avons-nous donc besoin en Europe ? La voie du réformisme est-elle véritablement pertinente ?", s’interroge le président de la Chambre. Pour répondre à cette question, "il faut distinguer le 'pourquoi' du 'comment' de l’intégration européenne." Le "pourquoi" de l’intégration européenne pose peu de problèmes. C’est sur le "pourquoi" que "les avis divergent toujours". Pour Laurent Mosar, ce qui importe, c’est de savoir "comment mettre en place des politiques communes", car l’autre question - "comment construire l’Europe ?" - a suscité avant tout des réponses institutionnelles qui, aussi positives qu’elles ont pu être, "n’ont pas nécessairement suffi à renforcer la légitimité et la crédibilité d’une Europe qui paraît anonyme, retranchée derrière une expertise technocratique". De plus, "l’Europe donne l’impression d’être désemparée face aux événements globaux et en même temps responsable de la crise de la Zone euro dans le sillage d’une crise économique et financière mondiale mal maîtrisée." 

L’Europe a donc "surtout besoin de grands projets", et "les dirigeants européens doivent répondre davantage aux besoins concrets des citoyens, surtout des plus jeunes, pour les rallier de nouveau à la cause européenne". C’est une "Europe des politiques publiques" que prône Laurent Mosar, celle qui permet aux jeunes d’étudier partout en Europe, aux travailleurs de traverser les frontières, aux entreprises de vendre leurs produits au-delà des frontières nationales, aux minorités de vivre en sécurité et aux universitaires de mener de grands projets de recherche. C’est à partir de ces politiques que l’on "pourra refonder la légitimité de l’Europe".

Laurent Mosar a ensuite évoqué le rôle des parlements nationaux depuis l’entrée en vigueur, en 2009, du Traité de Lisbonne. Ils "constituent désormais un vecteur de démocratisation qui peut contribuer à légitimer davantage la politique européenne, alors qu’ils sont en même temps des piliers de la démocratie en Europe, dont l’objectif est de rapprocher, voire  réconcilier l’Europe et ses citoyens." La Chambre des Députés conçoit ainsi "son rôle européen": elle est devenue "une courroie de transmission entre le débat politique européen et le débat politique national, tout en contribuant à élaborer des politiques européennes." Pour son président, "la réussite de la construction européenne dépendra à l’avenir d’une implication plus forte des Parlements nationaux dans l’architecture européenne".

Il a ensuite mis en exergue la nouvelle procédure des "avis motivés" qui permet aux parlements nationaux de faire parvenir aux institutions européennes leur avis sur la conformité des projets de textes législatifs avec le principe de subsidiarité, qui est de savoir si l’UE est compétente ou non pour légiférer dans un certain domaine, une procédure qui associe de fait les citoyens.

Laurent Mosar a aussi évoqué le fait que la Chambre des Députés a fait également parvenir des avis dits « politiques » aux institutions européennes. Ceux-ci "ne sont pas prévus par le Traité de Lisbonne, mais sont encouragés par la Commission européenne", et "cette procédure a l’avantage pour les parlements de pouvoir faire entendre leurs voix de manière plus large, en dehors de la procédure de subsidiarité et de proportionnalité." Depuis 2009, la Chambre des Députés a 17 avis motivés et 20 avis politiques à son actif et compte donc "parmi l’un des Parlements nationaux les plus actifs de l’Union européenne". S’y ajoute, au niveau interne de la Chambre, "que depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, l’intérêt pour les sujets européens de la Chambre en général et des Députés en particulier s’est accru", un changement de mentalité dû "au simple fait de pouvoir influencer concrètement le processus décisionnel européen".

Mais de cette manière, les parlements nationaux sont aussi devenus un des tenants du "comment" dans une UE qui doit agir contre la pauvreté qui touche près du quart de la population de l'Union européenne et contre le chômage, "surtout celui des jeunes", mais aussi contre la xénophobie et le racisme qui ne font pas halte devant le Luxembourg. De même, les parlements nationaux doivent s’impliquer dans les domaines budgétaires, financiers et des programmes de stabilité. Ainsi, à "l’initiative de la Chambre des Députés et du Bundestag allemand, une conférence des Présidents de Parlement des Etats fondateurs de l’Union européenne et du Parlement européen a ainsi été organisée à Luxembourg afin de s’assurer de la mise en place rapide d’une Conférence européenne réunissant les Parlements nationaux pour débattre de la mise en œuvre du Pacte de Stabilité, tel que prévu à l’article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance."

"La Chambre des Députés intervient également à chacune des étapes de la mise en œuvre du semestre européen", a insisté Laurent Mosar, et elle a aligné ses procédures sur le nouvel agenda européen.

C’est pourquoi Laurent Mosar n’a pas du tout apprécié l’exclusion des parlements nationaux de l’élaboration des décisions qui ont conduit à la création du Mécanisme de Stabilité européen. Pour lui, "le modèle allemand constitue une source d’inspiration intéressante pour d’autres parlements qui souhaitent, à l’instar du Bundestag, être associés étroitement à chaque étape de la mise en place des mécanismes de stabilité et d’une véritable gouvernance économique européenne au sein de la zone euro."

Laurent Mosar a par ailleurs "l’impression que la notion de subsidiarité soit de moins en moins respectée au niveau des institutions européennes, ce qui fait qu’il faudra reconfigurer ce principe. Il faut davantage d’Europe là où c’est nécessaire et agir sur le plan national quand c’est possible." Il est opposé à une Europe qui serait "une superstructure unitaire et dirigiste". Il préfère "une architecture sauvegardant la pluralité des Etats nationaux et assurant une plus grande proximité avec les citoyens". Dans ce contexte, la coopération interrégionale, comme celle pratiquée au sein de la Grande Région, est pour lui "d’une grande importance".

Panagiotis Gregoriou a plaidé contre une gouvernance européenne qui privilégie les marchés et leur bon fonctionnement au détriment de la légitimité démocratique et de la participation citoyenne

Rentrée académique du Programme Gouvernance européenne, le 2 octobre 2013: Panagiotis Gregoriou, professeur à l'Université d'EgéeLa contribution du professeur grec Panagiotis Gregoriou se voulait une charge contre une gouvernance européenne qui évoluerait vers une priorité au bon fonctionnement administratif et des marchés privés d’obstacles, aux dépens de la légitimité démocratique de ces processus. Or, pense Panagiotis Gregoriou, la solidarité et la maîtrise des problèmes sociaux auxquels le recteur Rolf Tarrach et le président de la Chambre Laurent Mosar avaient fait allusion dans leurs interventions peuvent être abordées avec succès à travers des processus démocratiques "qui n’occultent pas les valeurs normatives de l’Europe", des valeurs que "les citoyens ont acquis à travers de nombreuses luttes". Bref, sans légitimité démocratique, la gouvernance ne peut pas fonctionner.

Le point de départ du débat sur la gouvernance européenne, terme devenu entretemps courant, est le Livre blanc de la Commission de 2001 sur le même sujet. Au centre de cette communication figuraient la nécessité de la transparence, de l’information du public, l’efficacité du système grâce aux experts consultés, le recours à la méthode des directives-cadre, la création d’agences européennes de régulation et le recentrage des institutions sur leur core-business.

Aujourd’hui, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui se situe pour Panagiotis Gregoriou "entre le pragmatisme et l’amertume",  pour répondre à la question "comment gouverner dans la pratique plus de 500 millions d’Européens dans 28 Etats membres ?", il faut s’interroger sur la nature du projet européen, alors que sa gouvernance est dominée selon le conférencier par une approche néolibérale. Il est d’un côté une conséquence inévitable, pense le professeur de l’Université d’Egée, de la globalisation et de la constitution de blocs régionaux que celle-ci a entraînée. Mais le projet européen est aussi selon lui associé à la peur, car il s’attaque aux Etats-providence, parce qu’il menace la construction institutionnelle des Etats membres de l’UE et parce que sa gouvernance technocratique pure et dure menace "l’Europe républicaine qui sacralise l’Etat de droit". Cette approche veut enlever tous les obstacles à la logique marchande, considérée comme la seule approche qui crée de la richesse et aboutisse à une redistribution juste de ces richesses. Cette approche considère les Etats comme des obstacles, veut mettre fin à de nombreuses politiques publiques et réduire l’Etat au seul rôle de gardien de la sécurité et du respect des contrats.

Cette approche néolibérale qui a dominé depuis  plus d’une décennie tout le discours économique et politique est mise à mal, juge Panagiotis Gregoriou, par les crises répétées en Europe, le ralentissement de la croissance, alors que le contraire était promis, par les limites qu’a ainsi révélées le système économique. Avec la crise, d’autres acteurs transnationaux civils, qui scrutent les questions de la pauvreté, de l’exclusion et des droits de l’homme veulent participer à la gouvernance du projet européen qui met en avant les besoins en instruments de régulation, mais ces besoins vont de pair avec la question de la légitimité de ces instruments. Car leur mise en place touche aux souverainetés des Etats membres, à la citoyenneté, à la représentativité et aux sociétés civiles, de sorte qu’il faut revoir ces éléments et transformer le modèle de gouvernement dans les Etats dans un espace politique transnational différent qui émerge parallèlement à la gouvernance européenne.

La question est alors de savoir, selon Panagiotis Gregoriou, si l’on laissera s’institutionnaliser des formes concurrentes de la démocratie qui misent avant tout sur le bon fonctionnement des choses et un grand appareil bureaucratique pour arriver à cette fin, ou si l’on met au centre le citoyen européen, l’Etat de droit, un espace public démocratique et les valeurs de solidarité, de culture démocratique et des droits de l’homme, inhérentes à une UE, acteur mondial.

D’accord sur la question de la légitimité démocratique, Claude Turmes et Laurent Mosar s’opposent sur la question du plus ou moins d’Europe

Au cours de la discussion, le député européen vert Claude Turmes, sollicité à s’exprimer sur la problématique de la soirée, a prédit une crise politique dans l’UE si les citoyens continuent à avoir l’impression que le jeu européen est mené par les banquiers, par Mittal, par la NSA des USA qui ne respecte pas les règles de protection des données des citoyens européens ou  par les USA qui imposent leurs vues en matière de finances. L’UE semble avoir perdu sa souveraineté. Le Parlement européen a, selon l’eurodéputé, "mis le paquet" pour que l’on se lance de nouveau au niveau européen "dans la bataille pour rendre sa souveraineté à l’UE". Mais une question qui est souvent éludée est selon Claude Turmes que "l’UE est gouvernée par Berlin". Pour lui, ce sont la France et l’Allemagne qui ont imposé leurs vues dans le choix des politiques pour résoudre la crise. Cette réponse est "l’austérité". Pour sortir l’UE de la crise, l’eurodéputé vert prône une autre approche : un budget de l’UE de 8 à 10 % du PIB de l’UE et une mise en commun des armées, une mesure qui permettrait beaucoup d’économies. Claude Turmes voit néanmoins surgir un espace public européen, par exemple préfiguré dans la presse par la coopération entre de grands journaux européens, et il le voit dans l’engagement européen de la Chambre des députés. Bref, il est tout à fait possible d’arriver à plus de citoyenneté dans l’UE.

Un discours à qui Laurent Mosar a répliqué qu’il pouvait le suivre sur la question de la citoyenneté et de la démocratie, mais pas sur la question de plus d’Europe, car lui préfère revenir à plus de subsidiarité, dans la mesure où l’UE interfère selon lui souvent "là où la nation peut être plus efficace". "Je ne suis pas sûr que plus d’Europe est toujours la réponse juste", et de souligner que la prudence est de mise, notamment en matière de politique budgétaire, celle-ci étant de la compétence exclusive des parlements nationaux.