Le 26 juin 2012, la Chambre des députés s’est réunie pour voter trois projets de loi qui sont destinés à la mise en place du mécanisme européen de stabilité (MES ou ESM) au Luxembourg :
Le rapporteur pour ces trois lois était Michel Wolter.
Dans la partie historique de son rapport, le député CSV a rappelé qu’en réponse à la crise de la dette souveraine en Europe et afin de garantir la stabilité, l’unité et l’intégrité de la zone euro, les ministres des Finances européens ont décidé en mai 2010 d’établir un mécanisme européen d’assistance financière à hauteur de 500 milliards d’euros qui repose sur deux éléments :
La contribution luxembourgeoise au volume de garanties accordé à l’EFSF est déterminée sur base de la clé de capital de la Banque centrale européenne, soit 0,2497 %. La loi du 9 juillet 2010 relative à l’octroi de la garantie de l’Etat dans le cadre de l’instrument européen de stabilisation de la zone euro avait fixé le montant de la garantie du Luxembourg au sein de l’EFSF à 1,15 milliards d’euros.
Suite à la décision du Conseil européen de juin 2011 de renforcer la capacité de prêt effective de l’EFSF de 440 milliards à 780 milliards d’euros, la garantie du Luxembourg au sein de l’EFSF a été portée de 1,15 à 2 milliards d’euros par la loi du 22 septembre 2011 modifiant la loi du 9 juillet 2010 relative à l’octroi de la garantie de l’Etat dans le cadre de l’instrument européen de stabilisation de la zone euro.
A l’heure actuelle, les Etats membres ont accordé des engagements d’assistance financière à l'Irlande (22,5 milliards d’euros), au Portugal (26 milliards d’euros) et à la Grèce (second programme d'assistance financière – 144,7 milliards d’euros), soit au total 193,2 milliards d’euros, qui sont financés par l'EFSF. Les montants sont déboursés en fonction des besoins de financement et si la conditionnalité afférente est respectée.
Au 20 juin 2012, les montants effectivement déboursés se chiffrent à 17,7 milliards d’euros pour l'Irlande, 26 milliards d’euros pour le Portugal et à 107,9 milliards d’euros pour la Grèce, soit au total 151,6 milliards d’euros sur les 193,2 milliards engagés.
L'engagement effectif qui en découle pour le Luxembourg se chiffre à 378,5 millions d’euros.
Michel Wolter a rappelé que les Etats membres de la zone euro avaient accordé dans un premier programme d'assistance financière des prêts bilatéraux à la Grèce (Greek Loan Facility – GLF) pour un montant total de 80 milliards d’euros. Le montant effectif de prêts accordés par le Luxembourg à la Grèce se chiffre à 52,9 milliards d’euros.
Après l'approbation du second programme d'assistance financière à la Grèce, financé par le biais de l’EFSF, la part du Luxembourg dans ce premier engagement de 80 milliards d'euros pour la Grèce se chiffre à 206,1 millions d’euros dont 139,9 millions d’euros ont été déboursés.
Le montant des intérêts et commissions perçues par le Luxembourg se chiffre au 20 juin 2012 à 7,9 millions d’euros.
Comme l’EFSF avait été créé pour une durée limitée de trois ans, la mise en place d’un mécanisme permanent est apparue nécessaire. Le Conseil européen a donc décidé lors de sa réunion des 28 et 29 octobre 2010 de la nécessité "que les États membres établissent un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble". Ce nouveau mécanisme devrait remplacer les arrangements temporaires qui à ce moment-là devaient continuer à s'appliquer jusqu'en juin 2013.
Afin de permettre la mise en place d'un mécanisme permanent, le Conseil européen du 17 décembre 2010 a ensuite décidé de modifier l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) en vue de la création d'une base juridique appropriée pour ce mécanisme européen d’assistance financière.
Le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011 a dans une étape suivante adopté formellement la décision n°2011/199/UE amendant l’article 136 du TFUE en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les Etats membres dont la monnaie est l'euro. Cette décision a été adoptée conformément à la procédure de révision simplifiée visée à l’article 48, paragraphe 6, du traité sur l’Union européenne. C’est la première fois qu’il est fait usage de cette faculté de modification selon la procédure de révision dite simplifiée du Traité, sans convocation et tenue d’une conférence intergouvernementale.
Selon le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011, les Etats membres devraient accomplir leurs procédures nationales d’approbation d’ici la fin de l’année 2012 afin de permettre l’entrée en vigueur du traité modifié le 1er janvier 2013.
C’est l’approbation de la modification TFUE qui fait l’objet du projet de loi n°6334.
Une première version du traité instituant l’EMS a été endossée par les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro lors de leur réunion du 24 juin 2011, puis signée par les ministres des Finances de la zone euro le 11 juillet 2011 à Bruxelles.
Mais les développements sur les marchés, la situation de plus en plus précaire de la Grèce et les difficultés croissantes rencontrées par d’autres Etats membres pour obtenir des financements ont rapidement rendu nécessaire d’adapter cette première version du traité. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé entre autres d’autoriser le futur EMS à "financer la recapitalisation des établissements financiers par des prêts aux gouvernements, y compris dans les pays ne bénéficiant pas d’un programme ; d’intervenir sur les marchés secondaires sur la base d’une analyse de la BCE constatant l’existence d’une situation exceptionnelle sur les marchés financiers et de risques pour la stabilité financière et sur la base d’une décision prise d’un commun accord par les Etats participant à l’[EFSF]/EMS, afin d’éviter la contagion".
Lors du sommet de la zone euro le 8 décembre 2011, les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro ont par ailleurs décidé de renforcer ces outils de stabilisation en convenant d’accélérer l’entrée en vigueur du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité en l’avançant au plus tôt à juillet 2012, l’entrée en vigueur du traité étant prévue dès que les Etats membres représentant 90 % des engagements en capital l’auraient ratifié. Ils ont aussi modifié une règle de décision : "pour que l’EMS soit en mesure de prendre les décisions nécessaires quelles que soient les circonstances, les règles de vote au sein de l’EMS seront modifiées pour y intégrer une procédure d’urgence. La règle prévoyant une prise de décision d’un commun accord sera remplacée par une majorité qualifiée de 85 % au cas où la Commission et la BCE concluraient qu’une décision urgente liée à une aide financière est nécessaire si la viabilité financière et économique de la zone euro est menacée".
Le traité instituant l’EMS a été signé par les États membres de la zone euro le 2 février 2012. Il institue l’EMS comme un instrument intergouvernemental de droit international public basé au Luxembourg. Tous les Etats membres dont la monnaie est l’euro sont membres de l’EMS et tout Etat adhérant à la zone euro peut en devenir membre. L’EMS a pour but de mobiliser des ressources financières et de fournir, sous une stricte conditionnalité de politique économique adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi, un soutien à la stabilité de ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement, si cela est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. A cette fin, l’EMS est autorisé à lever des fonds en émettant des instruments financiers ou en concluant des accords ou des arrangements financiers ou d’autres accords ou arrangements avec ses membres, des institutions financières ou d’autres tiers.
C’est le projet de loi n° 6405 qui a pour objet l’approbation du traité instituant l’EMS.
L’EMS repose sur une structure de capital propre, souscrit par les Etats membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro. Afin d’assurer une capacité de prêt combiné de l’EFSF et de l’EMS à hauteur de 500 milliards d’euros et une notation maximale AAA pour l’EMS, le capital social de base autorisé de l’EMS sera fixé à 700 milliards d’euros. Il se compose pour 80 milliards d’euros de parts libérées et de 620 milliards d’euros de parts sujettes à appel.
Comme pour l’EFSF, la clé de contribution utilisée pour financer ce capital est celle déterminant les souscriptions des banques centrales nationales au capital de la BCE. Il y a lieu de noter qu’un ajustement est opéré pour tenir compte de la situation particulière des Etats membres qui ont récemment adhéré à la zone euro (Estonie, Slovaquie, Slovénie, Malte, Chypre).
En vertu de cette clé de contribution, la part du Luxembourg dans le capital du MES s’élève à 0,2504 % du capital social autorisé.
La capital autorisé de l’EMS est de 700 milliards d’euros, divisée en 7.000.000 parts à 100.000 euros dont 17.528 seront souscrites par le Luxembourg. La participation du Luxembourg au capital s’élève donc à 1.752.800.000 euros. Le montant de cette participation est composé de 200.320.000 euros à titre de parts libérées et de 1.552.480.000 euros à titre de parts sujettes à appel (capital autorisé non-libéré).
En ce qui concerne le Luxembourg, le capital libéré sera versé en 5 tranches à hauteur de 40,064 millions d'euros chacune. Le versement de la première tranche est prévu en juillet 2012, la seconde en octobre 2012, deux tranches sont programmées en 2013 et la dernière en 2014.
Si la prise de participation dans l'EMS est effectuée par dépense budgétaire et aura donc un impact sur le résultat du compte général, elle n’aura pas d’impact sur le déficit public dans l’optique „Maastricht“ (SEC95) étant donné qu’il s’agit d’une transaction financière générant une contrepartie réelle. Cette prise de participation n’aura pas d’incidence sur la dette publique dans l’optique „Maastricht“ (SEC95). Au titre des critères de Maastricht, la participation dans l’EMS est donc neutre.
La participation luxembourgeoise à l’EMS qui sera financée par dépense budgétaire fait l’objet du projet de loi n° 6406.
L’EFSF est actuellement doté d’une capacité de prêt de 440 milliards d’euros dont +/-200 milliards d’euros ont déjà été déboursés ou engagés dans le cadre des programmes d’assistance financière à l’Irlande, au Portugal et à la Grèce.
L’Eurogroupe a décidé le 30 mars 2012 qu’en cas de besoin, les +/- 240 milliards d’euros restants de capacité de prêt de l’EFSF pourront être mobilisés entre la mi-2012 et la mi-2013 pour s’assurer qu’à aucun moment, la capacité de prêt conjointe de l’EMS et de l’EFSF ne descende en-dessous de 500 milliards d’euros.
La décision de l’Eurogroupe du 30 mars 2012 n’affecte pas l’enveloppe globale des engagements financiers du Luxembourg à l’égard des deux fonds. La contribution du Luxembourg au capital de l’EMS se chiffre à 200,32 millions d’euros à titre de parts libérées et à 1.552,48 millions d’euros à titre de parts sujettes à appel (capital autorisé non-libéré), soit au total 1,7528 milliards d’euros. Le montant de la garantie que le Luxembourg a accordé à l’EFSF par loi du 22 septembre 2011 modifiant la loi du 9 juillet 2010 relative à l’octroi de la garantie de l’Etat dans le cadre de l’instrument européen de stabilisation de la zone euro reste fixé à 2 milliards d’euros.
L'engagement maximal théorique du Luxembourg dans le cadre des différents instruments de stabilisation de la zone euro s’élève donc au total à 3,7528 milliards d’euros, soit autour de 25 % du budget annuel de l’Etat.
Reste que la décision de l’Eurogroupe du 30 mars 2012 n’implique pas d’engagements financiers nouveaux de la part des Etats membres participants.
En guise de conclusion, Michel Wolter a demandé à la Chambre de voter en faveur des trois projets de loi, car pour le Luxembourg, il n’y a pas d’alternative à entrer dans une logique de solidarité européenne.
Claude Meisch (DP) s’est livré à quelques considérations politiques. Pour lui, l’EMS est un pas important pour lutter contre la crise. Mais d’autres modèles pour lutter contre la crise ont déjà été discutés à la Chambre et pour lui, le débat du 26 juin risque de ne pas être le dernier du genre. Il sera encore question, prédit-il, des eurobonds, de la mutualisation des dettes, d’un fonds de croissance, d’une BCE à qui l’on permettra de racheter les dettes de pays en crise, d’une licence bancaire qui permettra à l’EMS d’emprunter des fonds et racheter lui-même des obligations d’Etats en difficulté. Bref, l’EMS n’est "sûrement pas la dernière étape" avant la sortie de la crise.
Claude Meisch a regretté que l’UE ne réagisse que dans l’urgence au lieu d’agir tout simplement. Il s’est demandé si cette manière de faire ne se révélera pas en fin de compte plus chère que si on commençait à prendre le mal par les racines. L’Europe du Sud manque toujours de compétitivité, malgré tous les fonds qui sont drainés vers les pays en crise. Finalement, "la faiblesse de l’euro est la faiblesse de sa gouvernance", a constaté le porte-parole du plus grand parti de l’opposition.
Claude Meisch a constaté le déficit démocratique dans la zone euro, en prenant comme exemple les interventions de la BCE pour calmer les marchés en rachetant des obligations de pays en crise alors que ce n’est statutairement pas sa mission d’intervenir sur les marchés secondaires. La ratification des lois pour mettre en œuvre l’EMS sont par contre pour Claude Meisch "un élément contre ce déficit démocratique". Le chef de file libéral a souligné les risques que prend le Luxembourg avec ces engagements. D’ores et déjà un quart du budget est engagés qu’il faudrait débourser si les choses devaient tourner à l’aigre. Le Luxembourg a donc un intérêt fondamental à la stabilisation de la situation.
Pour le DP, a assuré Claude Meisch, il n’y a pas de tabous à rechercher d’autres moyens pour sortir de la crise. Le DP est en tout cas en faveur d’eurobonds et d’un système où les pays économiquement les plus forts seraient obligés de s’engager plus en faveur des pays faibles tout en faisant l’économie des programmes d’aide et des budgets d’austérité. Claude Meisch a aussi marqué sa compréhension pour les réticences qui se manifestent dans des pays qui ont déjà accompli leurs réformes structurelles, comme l’Allemagne, et qui "ont presque raison de dire qu’ils ne veulent pas payer pour les autres qui rechignent eux à faire des réformes".
Quant au court terme, s’il n’y a pas plus de perspectives de croissance en Europe du Sud, cela finira par coûter cher aux futures générations, pense Claude Meisch. Pour lui non plus, comme pour le rapporteur, il n’y a pas d’alternative à la solidarité européenne. Le DP a donc décidé de voter en faveur de l’EMS. Laisser tomber un Etat membre de la zone euro coûterait selon son porte-parole encore plus cher et "minerait la confiance dans la démocratie".
Alex Bodry, chef de file des socialistes, a souligné l’anormalité de la situation dans la zone euro, évoquant la Grèce, mais aussi l’Espagne et Chypre, qui viennent tout juste de demander une aide pour recapitaliser leurs banques. Dans cette situation qu’il juge extrêmement dangereuse, il faut agir vite pour garantir la stabilité de l’euro, mais il faut aussi que les pays de la zone euro fassent preuve de solidarité : "Il n’y a pas d’alternative à la solidarité", a lancé Alex Bodry, soucieux d’éviter tout effet de domino des faillites. A ses yeux, l’ESM est un pas de plus vers une Europe nouvelle, et il est décisif qu’il entre en en vigueur au plus vite. "L’ESM peut aider à créer la confiance", juge en effet Alex Bodry.
Pour autant, le président du LSAP ne perd pas son regard critique, ni sur la gestion de la crise en Europe, - et il regrette de ce point de vue le temps précieux qui a été perdu en tergiversations des responsables politiques -, ni sur l’ESM lui-même, qui mériterait une amélioration de sa forme actuelle.
Pour ce qui est de la crise, Alex Bodry appelle de ses vœux une stratégie de croissance et il espère que les déclarations du prochain Conseil européen seront claires dans ce sens, d’autant que l’UE dispose déjà d’instruments au service de la croissance. Le leader socialiste estime par ailleurs qu’il va falloir avancer en direction d’une mutualisation des risques, et qu’il conviendrait de discuter des compétences de la BCE, sans perdre de vue les opportunités offertes par la BEI.
En ce qui concerne l’ESM, Alex Bodry relève que cet instrument est un progrès par rapport à l’EFSF qui est actuellement à l’œuvre.
C’est un instrument permanent, contrairement à l’EFSF qui a été mis en place pour une durée limitée dans le temps.
Le statut juridique de l’ESM, institution internationale, est aussi plus abouti que la société de droit luxembourgeois qu’est l’EFSF.
En termes de fonctionnement aussi, il y a eu une évolution dans la mesure où une clause d’urgence permet de prendre des engagements dans des délais courts et sans que soit requise l’unanimité. Alex Bodry s’interroge cependant sur cette majorité particulière qui pourrait permettre à quelques grands pays de décider de s’engager contre l’avis des plus petits, ou inversement de bloquer le processus. Et il se réjouit de ce fait du choix qui a été fait de ratifier ce traité sur la base d’une majorité qualifiée, car il y a là un abandon de souveraineté. Le conseil des gouverneurs pourra aussi décider de l’autorisation de capitaux, modifiant les engagements et les risques pris par les Etats-membres, ce qui va assez loin, juge le député socialiste.
En termes de moyens, l’ESM est bien mieux doté que l’EFSF, salue Alex Bodry, et le champ d’action de l’instrument étant élargi, il pourra agir aussi de façon préventive et intervenir sur les marchés secondaires. Sans compter que l’ESM sera une institution dotée de son propre capital, et ne s’appuiera pas seulement sur les garanties apportées par les Etats.
Toutefois, Alex Bodry juge qu’il serait utile de doter l’ESM d’une licence bancaire à l’avenir et d’envisager une augmentation de son capital.
Mais au-delà de ces progrès, le président du LSAP pointe aussi les faiblesses de l’ESM. Et son principal grief contre ce traité est l’absence de contrôle parlementaire, et donc de contrôle démocratique, sur cet instrument. Le contrôle parlementaire n’est pas prévu dans le traité, qui fait peu de cas des compétences tant des parlements nationaux que de celles du Parlement européen. Alex Bodry appelle donc ses pairs à tout faire pour faire entendre la voix du parlement dans ce processus, exigeant que le gouvernement consulte et informe le parlement avant toute décision importante, comme le ministre des Finances a assuré qu’il le ferait à de nombreuses reprises. "Le gouvernement a intérêt à partager la responsabilité", juge en effet Alex Bodry. Car l’engagement du Luxembourg est assez élevé, et ce n’est d’ailleurs pas le seul engagement du Grand-Duché. Et le contexte a dramatiquement changé en termes de risques et de dette publique : "il y a un risque réel de ne pas revoir une partie de l’argent engagé", considère Alex Bodry.
Le leader socialiste a appelé le gouvernement a venir rendre compte à la Chambre du Conseil européen des 28 et 29 juin, laissant entendre qu’il souhaiterait aussi que le parlement soit informé en amont, pour ne pas être surpris après coup de certaines décisions européennes. Il en va d’un défi de taille, à savoir du déficit démocratique. Pour Alex Bodry, il conviendrait de donner en débat public des explications sur l’Europe, les risques et les opportunités. Mais la ratification prochaine du pacte budgétaire en sera sans doute l’occasion, a-t-il promis.
François Bausch, chef de fraction des Verts à la Chambre, voit lui aussi dans le traité établissant l’ESM un nouveau pas en avant vers une sortie de crise. Mais il y voit aussi une opportunité qui n’a pas été saisie. Il s’en est expliqué.
L’ESM va fonctionner sur la base d’un traité intergouvernemental, et non pas dans le cadre communautaire. Ce qui a des conséquences en termes de codécision pour le Parlement européen et qui n’est pas sans incidences sur les parlements nationaux. François Bausch dénonce ainsi un certain manque de transparence et un déficit démocratique. Il souligne lui aussi l’énorme responsabilité qu’aura la personne qui représentera le Luxembourg au conseil des gouverneurs de l’ESM. Dans ce contexte, il serait de bon aloi que le parlement soit informé. Et si le ministre des Finances a assuré qu’il informerait les parlementaires en commission des décisions importantes, François Bausch veut s’assurer qu’il s’y tiendra. Il a donc soumis au vote une motion, adoptée à main levée, dans laquelle la Chambre demande au gouvernement de se présenter systématiquement devant la Commission des Finances et du Budget lors de la réunion qui précède la réunion du Conseil des Gouverneurs du Mécanisme Européen de Stabilité pour y exposer et discuter la position qui sera défendue par le Gouverneur luxembourgeois et de faire rapport à la Commission des Finances et du Budget lors de la réunion qui suit celle des Gouverneurs du Mécanisme Européen de Stabilité en mettant en évidence l’impact financier pour le Luxembourg des décisions prises, les conditionnalités décidées et imposées aux pays bénéficiant d’une assistance financière dans le cadre de l’ESM, les rapports de suivi réalisés par la Commission.
L’ESM n’est pas doté d’une licence bancaire, déplore encore François Bausch. Si le mécanisme de stabilité est dotée d’une capacité financière certes importante, vus les risques qui s’annoncent, - et François Bausch a évoqué les chiffres impressionnants de la dette cumulée en Europe, - il serait bon que l’ESM puisse emprunter auprès de la BCE pour pouvoir faire face à d’éventuels besoins supplémentaires de financements. Pour le député des Verts, le fait que la BCE offre aux banques des prêts massifs à très bas taux alors que l’ESM ne pourra lui qu’emprunter sur les marchés, c’est-à-dire à ces mêmes banques fournies en liquidité par la BCE, conduit à une situation perverse. Donner à l’ESM la possibilité d’emprunter auprès de la BCE serait dans l’intérêt des pays qui bénéficient d’une aide. D’autant plus si l’argent apporté en aide sert à recapitaliser les banques, comme ce sera le cas en Espagne ou à Chypre. Dans ce cas, il faut veiller à ce que l’argent qui aura servi à la recapitalisation ne serve pas à de nouvelles spéculations, mais soit bien mis au service de l’économie locale. Enfin, les activités menées dans le cadre de l’ESM devraient être mieux coordonnées avec les autres actions de l’UE, a plaidé François Bausch qui souhaite aussi que les pays qui touchent des intérêts sur l’argent prêté soient obligés de l’utiliser en priorité dans les domaines visés par la stratégie Europe 2020. Sur ces points, le député a proposé une motion au vote, mais elle a été rejetée.
François Bausch a ensuite rappelé le lien intrinsèque qui existe entre l’ESM et le futur pacte budgétaire, dans la mesure où une demande d’aide dans le cadre de l’ESM sera octroyée à condition que le pacte budgétaire soit ratifié. Sur ce point, François Bausch a souligné l’importance de doter ce pacte d’un volet croissance. Car les discussions qui ont eu lieu jusque là l’amènent à se demander si l’objectif des politiques est de sauver les banques ou bien de soutenir l’économie. Pour François Bausch, si nous n’utilisons pas les instruments que nous avons pour relancer l’économie, nous ne sortirons pas de la crise. Il a donc soumis au vote une troisième motion, elle aussi rejetée, qui appelait le gouvernement à assurer le respect explicite des objectifs de l’emploi, de la protection sociale élevée et de lutte contre le changement climatique dans les conditionnalités de politiques économiques du Mécanisme Européen de Stabilité.
Malgré toutes ces critiques, les Verts ont apporté leurs voix à la ratification du traité de l’ESM, car c’est selon François Bausch "un instrument dont nous avons besoin pour approfondir l’UE et la rendre plus solidaire". Mais les discussions se poursuivront lorsqu’il faudra ratifier le pacte budgétaire, a promis le député qui souhaiterait lui aussi entendre le gouvernement à l’issue du Conseil européen.
Gast Gibéryen, qui s’exprimait au nom de l’ADR, a tôt fait d’annoncer que les députés de sa sensibilité politique voteraient contre les trois projets de lois présentés. Il se souvient des deux votes qui ont déjà eu lien en lien avec la crise en juillet 2010, où il s’agissait d’octroyer à l’EFSF une garantie de l’Etat luxembourgeois, puis en septembre 2011, où il a fallu augmenter la garantie apportée par l’Etat. Lors du premier vote, l’ADR avait voté pour, non sans afficher son scepticisme. On présentait alors cette garantie en insistant sur son caractère symbolique, son objectif étant de calmer les marchés, se souvient, amer, Gast Gibéryen. Entre temps, il a fallu augmenter le montant de cette garantie.
Le député ADR critique la façon dont la crise est gérée en Europe, s’en prenant une fois de plus au diktat du tandem Sarkozy-Merkel sur les décisions européennes. Et s’il espère que le nouveau président français changera la donne, il a aussi souligné que le Premier ministre luxembourgeois avait joué son rôle dans ces décisions. "Nous n’avons confiance ni dans cette politique européenne, ni dans le gouvernement luxembourgeois qui y contribue", a lancé Gast Gibéryen. Le député ADR a pointé aussi les conséquences sociales des politiques européennes qui font pour l’instant peu de cas de la croissance.
Mais ce qui inquiète principalement le député, c’est la perte de droits souverains qui est à l’œuvre, pas à pas, dans ce contexte. Le député ADR s’est lui aussi inquiété de la majorité qualifiée requise dans le cadre de la clause d’urgence, pointant le fait que le Luxembourg n’a là aucun poids, alors que l’Allemagne et la France peuvent par exemple, à elles seules, bloquer une décision. Une minorité de grands pays vont pouvoir avoir la majorité contre les autres, s’inquiète Gast Gibéryen. Il déplore que la Chambre n’ait pas d’influence directe sur ce processus, s’inquiétant de la somme des engagements de l’Etat dans les différents mécanismes mis en œuvre pour lutter contre la crise, ce qui n’est pas sans incidence sur la politique budgétaire du Luxembourg. Les engagements du Luxembourg dans l’ESM représentent plus de 3500 euros par habitants, a compté le député, soit nettement plus que la moyenne européenne.
Seule satisfaction du député ADR, le fait que la majorité qualifiée ait été requise à la Chambre dans la mesure où il s’agit d’un engagement permanent.
Serge Urbany, député de la Gauche luxembourgeoise, s’est lui aussi prononcé contre les trois projets de loi soumis au vote, mais pour des raisons différentes de celles invoquées par l’ADR.
Le traité de Lisbonne prévoit que le monopole du crédit soit détenu par les marchés privés, même s’il a fallu entretemps sauver le secteur financier avec de l’argent public. Et maintenant qu’il s’agit de changer ce texte pour autoriser l’établissement de l’ESM, le député Déi Lénk déplore que ce ne soit que de façon superficielle.
Certes, l’ESM pourra prêter de l’argent aux Etats membres et acheter des obligations sur le marché secondaire, mais la dominance des marchés financiers ne changera en rien, juge Serge Urbany. Sans compter que l’ESM lui-même ne pourra se financer que sur ces mêmes marchés financiers. Le député s’insurge contre le fait que l’ESM ne puisse pas, comme les Etats membres d’ailleurs, emprunter auprès de la BCE qui prête pourtant aux banques à des taux très bas.
Enfin, une bonne partie des aides octroyées dans le cadre de l’ESM va servir à recapitaliser les banques au prix d’un recul social massif et d’une augmentation de la pauvreté, dénonce Serge Urbany que la condition d’avoir ratifié le pacte budgétaire pour bénéficier d’une aide ne satisfait pas non plus. On prend là la mauvaise direction, et ce sera gravé dans le marbre, a conclu Serge Urbany.
Le ministre Luc Frieden a insisté tout d’abord sur la gravité et la complexité de la situation dans laquelle se trouve la zone euro, soulignant que la confiance reviendrait pas à pas. Pour le Luxembourg, qui a profité de l’euro depuis qu’il a été créé, l’intérêt à avoir une monnaie commune est évident, a rappelé Luc Frieden. Et il a aussi insisté sur les conséquences dramatiques qu’aurait une explosion de la zone euro sur le Grand-Duché. Aussi, selon lui, "on ne peut pas dire non à un instrument qui a pour objectif d’assurer la stabilité de la zone euro". Luc Frieden est en effet convaincu que participer à l’ESM est le prix à payer pour la stabilité, absolument nécessaire à ses yeux, et pour éviter un risque de contagion. Solidarité et stabilité vont de pair selon le ministre qui rappelle que les pays européens n’étaient, avant la crise de la dette souveraine, pas dotés d’instruments appropriés. Le Luxembourg n’a d’autre choix que de participer, et sa contribution, qui est calculée sur la base de la clé de répartition de la BCE, est d’ailleurs assez petite même si ramenée par habitant elle peut sembler importante : la part du Luxembourg tient compte de l’importance de sa place financière et de son PIB a expliqué le ministre.
Pour ce qui est du mécanisme de décision, le ministre s’est voulu rassurant, objectant qu’il n’y pas de déficit démocratique : c’est cette Chambre qui autorise les engagements de capitaux et de garanties et les décisions qui seront prises ensuite le seront dans le cadre de cette enveloppe approuvée par la Chambre. L’unanimité sera requise pour tout appel de fonds ou décision portant sur le soutien à un Etat-membre, et il est évident que le gouvernement viendra devant la Chambre avant et après toute décision importante. Luc Frieden n’a donc pas la moindre objection à la motion sur la transparence proposé par François Bausch.
Du point de vue du ministre des Finances, ce texte n’implique pas de transfert de souveraineté dans la mesure où le Luxembourg participera à toutes les décisions qui seront prises. Mais la Chambre est souveraine pour décider de la majorité qu’elle choisit pour voter, a-t-il admis.
"L’ESM est un instrument important, mais il ne suffira pas", a conclu le ministre. Luc Frieden a appelé à faire la distinction entre mesures à court termes et décisions à long terme. Or, ce dont parlent les chefs d’Etat et de gouvernement, - et les ministres des Finances n’en sont pas nécessairement informés, a-t-il glissé, - ce sont des perspectives à long terme. Et il sera tout à fait normal que la Chambre en délibère en temps voulu, juge-t-il.