L’agence européenne tripartite Eurofound - pour Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail – mise en place en 1975 pour "contribuer à la planification et à la mise en place de meilleures conditions de vie et de travail en Europe", dont les thèmes sont l’emploi et les conditions de travail, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, les relations industrielles et le partenariat, ainsi que la cohésion sociale, dont le public cible sont les employeurs, les décideurs politiques européens, les gouvernements et les syndicats, a publié déjà début octobre 2013 une étude intitulée "Social partners' involvement in pension reform", dans laquelle elle cherche à savoir de quelle manière les partenaires sociaux ont été impliqués depuis 2008 dans les réformes des systèmes de pensions dans l’UE et en Norvège.
L’étude qualifie la réforme des systèmes de pension comme "un des défis-clés de la politique sociale den Europe dans un contexte de changement démographique" qui était placé au sommet des agendas politiques des Etats membres de l’UE. La vague de réformes déclenchée par la crise économique et des dettes souveraines s’est selon l’étude concentrée sur la viabilité des systèmes de pensions publics et la hausse de l’âge de départ à la retraite, ce qui a donné lieu à de nombreuses controverses. Elle décrit les systèmes européens comme un mix de régimes obligatoires gérés par l’Etat, de régimes sectoriels régis par des accords collectifs et des régimes mis en place par des employeurs individuels et de régimes individuels privés et volontaires.
L’étude parle du Livre blanc de la Commission européenne approuvé et présenté le 16 février 2012 sous le titre "Pour des pensions adéquates, sûres et soutenables" comme d’un jalon pour la réforme des systèmes de pension. La Commission y prônait un meilleur équilibre entre la durée de la vie professionnelle et la durée des retraites, et une harmonisation des pratiques entre les Etats membres de l'UE. Elle a proposé toute une série d’initiatives visant à aider à créer les conditions qui permettront à ceux qui en sont capables de continuer à travailler, à garantir aux personnes qui s’installent dans un autre pays la conservation de leurs droits à la pension, à favoriser l’épargne individuelle et à veiller à ce que les régimes de retraite respectent leurs engagements et versent aux retraités les pensions prévues.
L’étude d’Eurofound met en avant le rôle clé que le Livre blanc de la Commission assigne aux partenaires sociaux, mais doit constater que le rôle qui leur est dévolu dans la mise en place et l’administration des systèmes de pension "varie sensiblement" selon les Etats membres. Les partenaires sociaux jouent plus un rôle consultatif dans les régimes de pensions qui sont administrés au niveau de l’Etat, qu’un rôle de mise en place, comme ils le font pour les régimes d’emploi. Leur rôle dans les régimes privés est par contre quasi nul.
La crise que traverse l'UE depuis 2008 a poussé les gouvernements à lancer des réformes des systèmes de pension, notamment sous la houlette de l’UE, ce que l’étude souligne. Ces réformes se sont le plus souvent traduites par une hausse de l'âge légal du départ à la retraite, la mise à égalité de cet âge entre les hommes et les femmes, l'imposition de nouvelles limites aux départs anticipés et l'augmentation des contributions. D’autres réformes ont essayé de limiter les sommes dépensées pour des pensions, par exemple en intervenant sur leur indexation. Par contre, l’étude constate que les réformes qui ont misé sur le développement de systèmes complémentaires basé sur des régimes d’emploi ou individuels privés ont été très rares.
Un des résultats principaux de l’étude est le constat que "la crise financière a conduit à une diminution de l’influence des partenaires sociaux sur la réforme des systèmes de pension." Elle lie cela "à la pression de procéder à des réformes immédiates et au rythme accéléré des consultations tout comme au contexte économique et social difficile".
L’étude a aussi identifié quatre types de non-implication ou d’implication des partenaires sociaux dans les processus de réforme des systèmes de pension statutaires :
Somme toute, 15 États membres ont mené des réformes des systèmes obligatoires, où les partenaires sociaux n'ont eu aucune influence sur le résultat final.
L’étude souligne aussi que les employeurs ont joué un rôle moins éminent que d’habitude dans les débats sur les réformes, même s’ils ont soutenu l’idée de réformes au nom de leur viabilité financière.
Les syndicats se sont opposés fortement aux réformes pour plusieurs raisons récurrentes selon les pays : quand il n’y avait pas de mesures pour protéger des "groupes de travailleurs vulnérables", comme ceux qui effectuent des travaux pénibles ou ceux qui ont commencé à travailler très tôt, ou les travailleurs âgés victimes de discriminations sur le marché du travail et pour lesquels ne sont pas adoptés des mesures qui leur permettraient d’allonger la durée de leur vie active. Il y a aussi eu de nombreuses critiques quant au niveau des pensions et contre le gel de leur indexation dans de nombreux pays de l’UE.
Là où il y a accord entre partenaires sociaux, c’est sur l’amélioration des conditions de travail et que la plupart des réformes des systèmes de pension n'ont apporté qu'une réponse partielle au défi posé. Là où le désaccord est le plus fort, c’est sur la fixation de l’âge statutaire de départ à la retraite et sur l’introduction et le développement d’un troisième pilier individuel et privé "afin de rendre les systèmes de pension viables et adéquats", selon le langage agréé de l’UE. Les syndicats surtout ont peur, souligne l’étude, que le développement du troisième pilier se fasse aux dépens des autres piliers.
L’étude s’achève sur une série de recommandations politiques :
L’étude consacre en annexe une longue fiche à la situation au Luxembourg. La fiche souligne qu'avant 2008, "le Luxembourg a été un des rares pays de l’OCDE à ne pas avoir lancé de grandes réformes de son système de pension", mais évoque ensuite la réforme de 2012 Elle parle d’une bonne situation financière du système de pension luxembourgeois, dans la mesure où il dispose de quatre années de réserves, mais évoque la décision du gouvernement d’introduire des changements en vue d’éviter des problèmes financiers à partir de 2020. La fiche tout comme l’étude évoquent aussi la forte opposition des syndicats à la réforme.
D’autres faits relevés dans l’étude sont que si les Etats membres dépensent en moyenne 10 % de leur PIB, le Luxembourg fait partie des pays où cette dépense est encore de l’ordre de 4 à 6 %. (p. 2) L’étude met aussi en avant le fait que la réforme de 2012 a été moins motivée par la nécessité de mener une politique d’austérité, le pays ayant été moins que d’autres affecté par la crise, mais par le changement démographique. (p. 13) Elle évoque aussi les critiques des employeurs à l’égard de la réforme, jugée insuffisante par eux (p. 20), et cite notamment la revendication à effet rétroactif de l’UEL, que les pensions actuellement accordées et jugées par elle excessivement élevées soient revues à la baisse (p. 30).
A noter que le dialogue social sera à l’ordre du jour du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, avec l'objectif annoncé de "développer au niveau national et européen" une meilleure relation avec les partenaires sociaux. C'est avec le souci "de renforcer l'adhésion à ses conclusions et recommandations dans l'ensemble de l'Union" que le Conseil européen veut davantage inclure les partenaires sociaux dans les processus décisionnels, notamment celui du 'Semestre européen', lit-on dans les conclusions adoptées lors du dernier Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013. Dans sa communication sur la dimension sociale de l'Union économique et monétaire (UEM) d’octobre 2013, la Commission européenne recommande aussi aux États membres d'examiner avec les partenaires sociaux nationaux toutes les réformes découlant des recommandations par pays.