Le 25 octobre 2013, se tenait la deuxième journée du Conseil européen. La veille, il avait largement été dominé par les débats sur les activités d’espionnage américaines, après que de nouvelles informations de l’ancien ingénieur informatique américain, Edward Snowden, publiées par le journal britannique The guardian, ont révélé qu’au moins 35 chefs d’Etat dans le monde, dont le téléphone mobile de la chancelière allemande, Angela Merkel, avaient été mis sur écoute. Le Conseil avait toutefois eu le temps d’évoquer le marché numérique unique et la réforme de la protection des données, repoussée pour 2015.
Le scandale de l'espionnage américain a néanmoins continué à s'étendre le vendredi 25 octobre 2013 et a poussé les dirigeants européens à demander à Washington de s'engager sur "un code de bonne conduite". "Nous allons essayer d'avoir un code de bonne conduite avec les Etats-Unis, sur ce qui est acceptable et sur ce qui ne l'est pas", a expliqué le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, selon des propos rapportés par l’agence AFP. "Il ne s'agit pas de commencer à faire monter la pression inutilement" avec Washington, a assuré le Premier ministre belge, Elio Di Rupo.
Le Premier ministre italien, Enrico Letta, a annoncé que son pays se joindrait à l'initiative franco-allemande prise la veille et que chaque Etat membre est libre de rejoindre ou non. La déclaration des chefs d'État sur ce sujet a été ajoutée en annexe aux conclusions du Conseil. Toutefois, le texte se garde d'évoquer les accords bilatéraux déjà en vigueur, comme celui sur la lutte contre le terrorisme, duquel le Parlement européen a demandé la suspension par son vote du 23 octobre 2013, ou en cours de négociation, comme celui sur le libre-échange. Le 25 octobre 2013, le président du Parlement européen, Martin Schulz, avait également exprimé son souhait d'une suspension provisoire de ce dernier accord.
Dans un communiqué de presse diffusé le 25 octobre 2013, les Verts européens ont rappelé qu’ils réclament la suspension de ces dernières négociations depuis le début de la déjà longue liste de révélations d’Edward Snowden. "Nous voulons, au préalable, des normes contraignantes concernant la protection des données, normes qui doivent également s'appliquer aux services secrets", déclarent-ils. L’échéance de 2015, décidée la veille, pour la réforme de la protection des données "montre bien que le système de protection des données au niveau européen et les droits civils ne sont pas une priorité pour Angela Merkel , François Hollande et la majorité des membres du Conseil de l'UE", ont-ils dit.
Les Verts sont ainsi déçus de ce Conseil. "Les dirigeants européens ne veulent apparemment pas de partenariat d'égal à égal avec les Etats-Unis. L'agitation concernant les écoutes téléphoniques infligées à Mme Merkel est à son comble. Réaction pathétique. C'est pourtant l'occasion pour l'UE de faire pression sur les Etats-Unis", a déclaré la coprésidente du groupe des Verts au Parlement européen Rebecca Harms.
Le chef de file du groupe S&D au Parlement européen, Hannes Swoboda, a fait savoir qu’il aurait préféré "une action coordonnée forte au niveau européen avec les Etats membres et le Parlement". Les dirigeants de l’UE "semblent uniquement préoccupés par les écoutes inacceptables de leur téléphone portable, laissant de côté la protection des données des 500 millions de citoyens européens", a-t-il dit dans un communiqué de presse.
Dans une autre déclaration, le PPE a appelé le Conseil européen à signifier "clairement à l’administration américaine qu’ils sont en train de franchir une ligne rouge". "Des leçons doivent en être tirées pour pouvoir continuer notre bonne coopération", disent les conservateurs en soulignant par ailleurs que les Etats membres de l’UE devraient disposer de leurs propres moyens pour lutter contre le terrorisme.
Une autre actualité, abordée le 25 octobre, s’était invitée à l’ordre du jour du Conseil européen, à savoir la tragédie de Lampedusa, qui a coûté la vie à plus de 350 migrants le 3 octobre dernier. Le Conseil s’est entendu pour remettre à son sommet du mois de décembre une première décision pour pallier à court terme au problème des migrations en Méditerranée. Un Conseil européen en juin 2014, dédié spécifiquement à ce sujet, devrait aborder une éventuelle révision des politiques migratoires.
La 'task force', récemment mise en place le 8 octobre 2013 à Luxembourg, a par ailleurs reçu pour mission de travailler sur une série de mesures à court terme, en identifiant par exemple les moyens de mieux utiliser les instruments existants. Son rapport sera transmis par la Commission au Conseil européen de décembre. "Nous devons agir maintenant. L’Union européenne ne peut pas accepter que des milliers de personnes meurent à nos frontières. Mais je crois qu’il y a un sens de l’urgence qui fera que les choses vont se passer", a déclaré, dans son discours officiel, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso. La Commission pense que la réponse repose sur quatre piliers : le renforcement des opérations de recherche et de secours pour sauver des vies, l’aide apportée aux pays-frontières, la coopération avec les pays d’origine et de transit pour maîtriser les flux de migration et enfin la lutte contre le crime organisé et le trafic d’êtres humains.
Il "importe de s'attaquer aux causes profondes des flux migratoires en renforçant la coopération avec les pays d'origine et de transit, notamment par un soutien approprié de l'UE dans le domaine du développement et par une politique de retour effective" dit pour sa part le Conseil dans ses conclusions. Il songe également au renforcement des activités de l'agence Frontex en Méditerranée ainsi qu’à la mise en œuvre rapide du nouveau système européen de surveillance des frontières (EUROSUR), adopté par le Parlement européen le 10 octobre 2013.
"Confronté à une telle souffrance, nous sommes tous en colère. Mais nous savons aussi que les flux migratoires sont un phénomène complexeé, a déclaré à son tour le président de l'Union européenne , Herman Van Rompuy. "Notre action sera guidée par trois principes : prévention, protection, et solidarité."
Le Premier ministre italien, Enrico Letta, a indiqué que l'Italie, qui assumera la présidence de l’UE au deuxième semestre 2014, présenterait en juin 2014 ses idées pour aménager le régime d'asile européen. Il voudrait notamment discuter de la répartition des migrants, prévus par le règlement Dublin II. "Si modification des politiques d'asile il doit y avoir, ce sont les ministres de l'Intérieur et de la Justice qui doivent se pencher sur le sujet", a toutefois dit la chancelière allemande Angela Merkel, ajoutant qu'à ce stade "il faut continuer sur la base de Dublin 2 et se concentrer sur les mesures à court terme", rapporte l’Agence Europe. La Grèce, qui aura la charge de la présidence de l’UE au premier semestre de 2014, et l'Italie, entendent en tout cas travailler ensemble sur de nouvelles pistes pour les politiques européennes en matière d'immigration.
Les Verts/ALE au Parlement européen n’ont pas apprécié le plan de route proposé par le Conseil européen, qu’ils estiment trop lent à réagir. "Le report de toute décision concernant les conséquences de la crise des réfugiés dans la Méditerranée est la preuve que les valeurs européennes comptent de moins en moins", ont-ils souligné dans leur communiqué. "C'est une honte qui va rattraper les dirigeants européens dès la prochaine grande catastrophe en Méditerranée", a dit Rebecca Harms.
Le vice-président du groupe PPE, Manfred Weber, a, dans un communiqué, appelé "à des stratégies efficaces pour finir le désastre humanitaire en mer Méditerranée", via un un renforcement de Frontex et une action solidaire de l’Europe. "Toute politique européenne d’asile qui produirait plus d’immigration n’est pas une solution", prévient-il.
Le Conseil européen a repoussé également à son sommet de décembre 2013 toute décision sur la dimension sociale de l'Union économique et monétaire (UEM). Elle se basera alors sur les propositions de la Commission européenne du 2 octobre 2013, qui incluent avant tout l'utilisation d'un tableau de bord avec des indicateurs en matière sociale et d'emploi dans le processus du Semestre européen. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a toutefois fait savoir que "dès l'année prochaine, dans le Semestre européen, nous passerons en revue les priorités en se basant également sur l'emploi et les indicateurs sociaux et davantage sur le dialogue social, à la fois dans les États membres et au niveau de l'Union".
Les conclusions du Conseil préviennent que la dimension sociale de l'UEM et les changements prévus dans les coordinations des politiques "sont volontaires pour les États hors zone euro et seront entièrement compatibles avec le marché unique dans tous les aspects". Finalement, le Conseil souhaite intégrer davantage les partenaires sociaux dans les processus décisionnels, en particulier dans le cadre du Semestre européen, comme cela fut évoqué lors du Sommet social tripartite du 24 octobre 2013. Parallèlement, le Conseil européen a également indiqué vouloir améliorer la coordination des politiques économique, sociale et de l'emploi, en renforçant le rôle joué par le Conseil de l'UE chargé des affaires sociales et de l'emploi (EPSCO), face aux prérogatives du Conseil des ministres des Finances (ÉCOFIN).
Les dirigeants européens ont également évoqué la perspective du sommet du Partenariat oriental prévu les 28 et 29 novembre à Vilnius, "un sommet qui a le potentiel pour devenir un événement réellement historique et je n’exagère pas sur le terme d’historique", a déclaré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. En effet, durant cette rencontre, l’UE et l’Ukraine pourraient signer un accord d'association.
Néanmoins, auparavant l’Ukraine est priée par le Conseil européen de résoudre sans attendre le cas de l'opposante emprisonnée Ioulia Timochenko, condamnée à une peine de 7 ans de prison pour abus de pouvoir, en raison d’une "justice sélective". Lors du sommet de Vilnius la Moldavie et la Géorgie devraient aussi faire un pas de plus vers la signature d’un accord similaire à l’automne 2014.
Le sujet de la réduction de la bureaucratie européenne a aussi retenu une attention plus grande que prévue, alors que la Commission européenne, à travers son programme REFIT présenté le 3 octobre 2013, a déjà prévu de nouvelles mesures.
Pour cause, en marge du Conseil, le Premier ministre britannique, David Cameron a organisé une réunion intergouvernementale, le 25 octobre dans la matinée, dédiée à ce sujet. Y participaient en plus des leaders européens et grands patrons britanniques qui accompagnaient David Cameron, le président de la Commission européenne, la chancelière allemande, Angela Merkel, et les Premiers ministres italien, Enrico Letta, polonais, Donald Tusk, suédois, Fredrik Reinfeldt, néerlandais, Mark Rutte, et finlandais, Jyrki Katainen.
"Nous voulons examiner comment nous pouvons en faire plus pour la dérégulation, pour aider les entreprises à être compétitives et à réussir", a affirmé, selon l’AFP, David Cameron en ouverture de la réunion. Un récent rapport d’un groupe de travail britannique intitulé "Cut EU red tape" faisait des revendications tonitruantes telles que veiller à ce que la législation sur la protection des données n'engendre pas des coûts démesurés pour les entreprises, s'abstenir de présenter des propositions législatives sur le gaz de schiste ou encore abandonner les nouvelles propositions coûteuses en termes d'études d’impact environnemental.
Ces propositions n'ont pas été retenues. Dans ses conclusions, le Conseil a même souligné qu’il y a toujours lieu de "prendre en compte la nécessité d'une protection adéquate des consommateurs, de la santé, de l'environnement et des salariés". Néanmoins, avec l’adoption d’un chapitre baptisé "Adéquation de la règlementation", dans ses conclusions "un changement de mentalité dans ce que la Commission européenne va faire et la priorité donnée à l'identification et la suppression des législations inutiles", a estimé David Cameron. Il est notamment prévu de fixer de nouvelles mesures d’allègement bureaucratique lors du Conseil de juin 2014 et d’aborder la question chaque année dans le cadre du Semestre européen.
"La Commission a déjà identifié de nouveaux pas pour rendre le cadre règlementaire européen plus léger et adapté, et nous sommes tous d’accord pour avancer rapidement", a déclaré Herman Van Rompuy.
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso a estimé que la question ne devait pas tourner à "un débat idéologique entre États membres" mais à un "agenda pragmatique" et a apporté des garanties en déclarant que "c’est grâce aux règles communes que nous fûmes capables de construire le marché unique, permettant aux entreprises de prospérer et assurant également un niveau décent de protection des travailleurs, des consommateurs, de l’environnement et de la santé publique".
Les discussions du vendredi ont abordé la croissance et l’emploi, aboutissant notamment à l’engagement de la mise en œuvre complète de l’Initiative pour l’emploi des jeunes à partir de janvier 2014. "Les fonds européens ont déjà aidé, en 2013, 800 000 jeunes gens à entrer sur le marché du travail. A partir de l’année prochaine, avec la Garantie pour la jeunesse, nous allons faire encore davantage", a souligné Herman Van Rompuy. La Conférence sur l’emploi de la jeunesse à Paris, du 11 au 13 novembre 2013, doit y contribuer.
Le Conseil s’est mis d’accord pour augmenter le financement des PME à travers les fonds structurels et les fonds d’investissement de la BEI. C’est "très important dans les pays qui subissent de grosses pressions sur leurs budgets", a déclaré José Manuel Barroso expliquant que 85% des PME allemandes obtiennent le crédit qu’elles désirent mais seulement 40 % des entreprises en moyenne dans le Sud de l’UE et moins de 25 % en Grèce.
Le 28 octobre 2013, la Confédération européenne des syndicats (CES) a diffusé un communiqué de presse résumant ce Conseil européen à "des mots creux sur l’Europe sociale, mais un fort soutien à la déréglementation". La vision de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire (UEM) se situe "à des kilomètres de l’Europe sociale telle que la voit la Confédération européenne des syndicats", juge la CES. Elle se réduit à "une 'meilleure compréhension' des injustices et des déséquilibres sociaux", mais ces "conclusions du Conseil n’offrent aucune perspective de réorientation des politiques économiques vers plus d’égalité, moins de pauvreté, vers des investissements à long terme pour une croissance durable et des emplois de qualité".
"Ils essaient vainement de nous convaincre que le noir est blanc. La dimension sociale se réduit à un tableau de bord et à des statistiques. Aucune action pour une croissance durable et des emplois décents, aucune initiative pour plus de justice sociale mais, au lieu de cela, nous pouvons nous attendre à ce que l’UE progresse sur le front de la déréglementation. Aujourd’hui, les travailleurs sont en colère et terriblement déçus", a prévenu Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la CES.
Ce Conseil européen était particulier pour le Luxembourg et Jean-Claude Juncker. Le Premier ministre vivait vraisemblablement son 120e et dernier Conseil européen d’affilée, selon ses propres calculs, tandis qu’il a assisté à 350 Conseils ECOFIN. Confiant à une presse avide d’un témoignage, que ça "fait mal" de quitter la scène européenne, Jean-Claude Juncker a souligné que le sujet politique le plus décisif à l’avenir serait, "aujourd’hui comme hier", la "dimension sociale" de l’UEM car son insuffisance pourrait "conduire à des actes subits de défense des travailleurs européens". Il a estimé également que les Etats membres devaient faire plus en matière politique de développement, notamment eu égard à la tragédie de Lampedusa : "Il faut aider là où naissent les problèmes", a-t-il dit. "Nous ne le faisons pas du tout suffisamment."
Chargé de former le nouveau gouvernement du Luxembourg, celui qui devrait devenir Premier ministre du Luxembourg, le libéral Xavier Bettel, a, dans une interview au journal Le Quotidien parue le 28 octobre 2013, signalé toute l’importance pour le Luxembourg d’être présent au Conseil européen du mois de décembre 2013. "Ce serait triste d'être absents en décembre pour ce Conseil européen où la place financière de Luxembourg devra faire face à des obligations auxquelles elle ne peut plus échapper. J'espère que nous aurons d'ici-là un gouvernement formé, et un ministre des Finances avec lequel je pourrai faire le maximum pour le Luxembourg. La machine est déjà lancée, je ne vais pas arriver à Bruxelles et dire stop", a-t-il expliqué.