Le Parlement européen a voté le 11 décembre 2013, après un débat qui a duré vingt minutes et qui s’est tenu tard dans la nuit la veille, le rapport du député européen social-démocrate roumain George Sabin Cutaş, qui apporte son soutien à la proposition de la Commission européenne d'élargir l'échange automatique d'informations (EAI) entre les administrations fiscales européennes.
Dans son intervention, George Sabin Cutaş a expliqué les tenants de la proposition du 12 juin 2013 de la Commission européenne. Selon cette proposition, les dividendes, les plus-values et toutes les autres formes de revenus financiers et de soldes des comptes devraient être ajoutés à la liste des catégories faisant l'objet d'un échange automatique d'informations au sein de l'Union européenne. Cela permettrait à l'Union européenne de disposer du système d'échange automatique d'informations le plus étendu au monde.
Cette proposition, conjuguée à la directive "Épargne" revue et à la directive relative à la coopération administrative, qu'elle entend modifier, aurait pour conséquence « que les États membres partageraient autant d'informations entre eux qu'ils se sont engagés à le faire avec les États-Unis en vertu de la loi américaine sur la conformité fiscale des comptes étrangers (FATCA)". Pour George Sabin Cutaş et nombre de députés intervenus dans le débat, c’est cette loi américaine qui est invoquée comme aune à laquelle l’EAI sera mesurée.
George Sabin Cutaş, qui a apporté son plein soutien à la proposition de la Commission, "estime qu'elle s'inscrit dans le droit fil aussi bien du plan d'action de la Commission contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale que de la position du Parlement européen exprimée dans son rapport d'initiative sur la lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale et les paradis fiscaux".
"En temps de crise, alors que les citoyens européens doivent faire face à une recrudescence des impôts, il est éminemment nécessaire de s'attaquer aux problèmes de la fraude fiscale et de l'évasion fiscale, qui entraînent des pertes estimées à 1000 milliards d'euros par an, ce qui représente en moyenne un coût de 2 000 euros par an pour chaque citoyen européen", a-t-il ajouté.
Pour lui, la proposition de la Commission "répond également aux demandes présentées par plusieurs États membres visant à mettre en place une loi FATCA européenne, après la conclusion d'accords bilatéraux entre certains États membres et les États-Unis en vertu de la législation FATCA. Elle se rattache également, en les complétant, à diverses initiatives au niveau de l'OCDE, du G8 et du G20 ainsi qu'à l'échelle planétaire."
Pour le social-démocrate roumain, "il est désormais essentiel d'entretenir cette dynamique et de veiller à l'adoption et la mise en œuvre rapides de cette proposition, en respectant le calendrier proposé par la Commission", c’est-à-dire le 1er janvier 2015.
A l’unisson avec la Commission, il est d’avis que "l'Union européenne se doit d'être en première ligne au moment d'établir une norme mondiale en matière d'échange automatique d'informations et, en instaurant un système européen d'échange automatique d'informations, la Commission peut prendre la tête des efforts visant, en collaboration avec l'OCDE, à élaborer une norme au niveau mondial".
Pour mieux surmonter les difficultés actuelles, le rapporteur a proposé quelques améliorations supplémentaires au texte de la Commission dans les domaines de la protection des données, des accords bilatéraux, des ressources et des sanctions.
Concernant la protection des données, "l'échange automatique d'informations doit respecter scrupuleusement la réglementation actuelle de l'Union européenne en matière de protection des données et de vie privée". Malgré les articles 16 et 25 de la directive du Conseil 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal - transposée en février 2013 par le Luxembourg - des articles sur la divulgation des informations et documents ainsi que la protection des données, il a formulé des amendements qui apportent, selon lui, « quelques éclaircissements, en particulier au vu de la sensibilité que revêt le sujet et des dernières évolutions internationales". Le commissaire européen, Joaquín Almunia, était par contre d’avis qu’il ne fallait pas surcharger le texte, dans la mesure où des textes sur cette question sont d’ores et déjà en vigueur, et que, par ailleurs, il existait un avis du Contrôleur européen des données.
Le rapporteur a également estimé que c’est la Commission qui devrait, à l'avenir, "négocier seule les accords avec les pays tiers en matière d'échange automatique d'informations – comme c'est déjà le cas dans le domaine commercial – plutôt que de laisser les États membres continuer à négocier, comme ils le font à l'heure actuelle, des accords bilatéraux".
George Sabin Cutaş pense en tout cas que "les négociations avec les États-Unis sur la loi FACTA auraient été plus avantageuses pour l'Union européenne et les États membres si la Commission avait été chargée par les États membres de négocier au nom de l'Union européenne". Mais pour ne "pas altérer les accords déjà conclus" son amendement précise que "la Commission ne recevrait un mandat pour négocier à l'avenir au nom de l'Union européenne qu'à compter de l'entrée en vigueur de la nouvelle directive".
Par ailleurs, son rapport demande que les États membres veillent à une mise en œuvre efficace de la directive "en mobilisant toutes les ressources humaines, technologiques et financières nécessaires, en tenant compte de la quantité et de la complexité des informations devant faire l'objet d'un échange automatique à partir de 2015".
Finalement, il a demandé que les États membres prévoient "nécessairement d’avoir recours à des sanctions pour obtenir les informations nécessaires à un échange automatique efficace et éviter que certaines entités ne respectent pas les normes adoptées."
Seule voix discordante, et bien consciente de l’être, dans ce débat court et unanime, celle d’Astrid Lulling, qui a affiché son scepticisme face à l'échange automatique d'informations.
Pour elle, "avec la crise, les débats autour de la fraude fiscale ont pris une tournure morale voire moralisatrice". Elle estime néanmoins que "si l'échange automatique d'informations dans le domaine fiscal devient la norme et la règle internationale, il n'y a rien de plus naturel pour l'Union européenne que d'y participer."
"Mais la méthode qui consiste à refuser tout débat sérieux a de quoi rendre sceptique", a-t-elle lancé à l’assemblée, alors que, selon elle, "il est des contradictions étonnantes dans ce texte que ce Parlement européen s'apprête à voter avec une forte majorité".
Elle a posé quelques questions qui pourraient être gênantes : "Savez-vous que l'échange automatique qui est imposé entre les Etats membres n'est pratiqué sur le plan intérieur que dans la moitié de ceux-ci ? En d'autres termes, nous introduisons là un déséquilibre fondamental entre ce qui est pratiqué à l'intérieur des Etats membres et ce qui est pratiqué entre Etats membres au sein de l'Union."
Astrid Lulling a aussi ironisé, en disant son étonnement "qu'il devienne tout d'un coup obligatoire de communiquer les soldes de tous les comptes alors qu'il s'agit d'échanger les données sur le revenu". Car, pour elle, "jusqu'à preuve du contraire, un solde de compte ne constitue pas un revenu". Elle considère que "l'échange automatique en matière de fiscalité de l'épargne connaît déjà des ratés innombrables, mais c'est un tabou que de l'affirmer."