A l’occasion du 32e Sommet UE/Russie organisé le 28 janvier à Bruxelles, le président russe Vladimir Poutine était présent dans la capitale belge pour s’entretenir avec les présidents de la Commission européenne, José Manuel Barroso et du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Une discussion dans le cadre d'un sommet au format réduit qui aura avant tout porté sur les relations économiques bilatérales sur fond de tensions quant à la situation tendue en Ukraine.
Au-delà du dossier ukrainien, c’est surtout le nouvel accord de partenariat pour la modernisation, l'énergie et le commerce qui était à l'ordre du jour. Un dossier sur lequel les responsables européens et leur hôte russe ont dû se rendre à l’évidence que leurs divergences persistaient.
"Notre relation et nos intérêts communs sont trop importants pour ne pas répondre à nos différences. Nous avons besoin l’un de l'autre pour assurer la stabilité et la prospérité de notre continent commun et pour produire des solutions aux nombreux défis auxquels nous sommes confrontés ensemble. Pour ce faire, nous avons besoin de compréhension mutuelle et de confiance stratégique", a déclaré José Manuel Barroso à l’issue du Sommet.
"Nous avons eu une discussion franche et nous avons reconnu les nombreux intérêts communs qui devraient nous aider à faire progresser nos relations", a poursuivi Herman Van Rompuy. Les points de divergence sont néanmoins devenus "permanents" et "entravent les relations économiques", a reconnu José-Manuel Barroso, qui dit néanmoins rêver de "créer un espace économique commun de Lisbonne à Vladivostok".
Sur le volet des relations commerciales, l'Union a rappelé son mécontentement face à la Russie qu’elle accuse de ne pas respecter une partie de ses engagements au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). "L'UE a soutenu activement l'adhésion de la Russie à l’OMC, mais depuis lors, un certain nombre de mesures que nous jugeons restrictives pour le commerce ont été mises en place", a-t-il ajouté. Il a ensuite cité certaines questions en suspens de longue date, tels les survols de la Sibérie par les compagnies aériennes européennes, mais également l’Etat de droit et les libertés fondamentales.
Vladimir Poutine a répondu en notant l'agacement de son pays face aux mesures antidumping de l’UE contre ses exportations de nitrate d'ammonium et ses produits en acier, litige qui fait l’objet d’une procédure lancée par la Russie au début de l’année 2014 contre l’UE devant l'OMC.
En matière d’énergie, les discussions ont également achoppé sur des divergences persistantes. Ainsi l’UE et la Russie continuent-elles de s’opposer sur les règles du 3e paquet de libéralisation du marché intérieur de l'énergie de l'UE.
Devant la presse, Vladimir Poutine a reconnu les divergences continuelles sur ce dossier, les relativisant néanmoins en parlant de "questions techniques". "Avec le temps, il y a toujours des progrès, même sur les dossiers les plus difficiles", a-t-il estimé.
L’Agence Europe rapporte de son côté que José Manuel Barroso a réexpliqué l’importance de ce 3e paquet pour l'UE, et que celui-ci ne visait "pas à discriminer les entreprises russes mais qu'il s'adresse à toutes les entreprises de l'UE comme des pays tiers". UE et Russie seraient néanmoins "prêtes à un dialogue constructif sur les normes énergétiques", a-t-il assuré. Un groupe de travail pour discuter des questions juridiques et techniques pour réduire les dissensions sur le projet de gazoduc South Stream devrait être prochainement mis en place.
Les dirigeants européens et russe ont encore discuté des moyens de relancer les négociations, débutées en 2008, pour le nouvel accord de partenariat et de coopération régissant la coopération politique, les dialogues sectoriels et les relations commerciales et d'investissement et dont la dernière mouture date de 1994. Dans ce cadre, Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso ont dit espérer des progrès suffisants dans un avenir proche pour relancer ce processus à l'occasion du prochain sommet bilatéral, le 3 juin 2014 à Sotchi.
Les responsables politiques ont également évoqué les questions du Partenariat oriental, des accords d'association proposés par l'UE et de l'union douanière entre le Belarus, le Kazakhstan et la Russie, ainsi que les implications économiques possibles de ces accords pour les deux parties. Ils ont convenu de poursuivre les consultations bilatérales au niveau des experts sur ce sujet.
Herman Van Rompuy a ainsi souligné "les avantages du Partenariat oriental pour tous nos voisins de l'Est y compris la Russie. Un environnement économique et institutionnel plus stable, un meilleur accès au marché et l'intensification des relations commerciales vont renforcer la demande et créer de nouvelles opportunités d'affaires pour tous. Les entreprises russes sont bien placées pour tirer parti de ces nouvelles opportunités". Le président du Conseil européen a par ailleurs réfuté que le Partenariat mette en danger les liens de la Russie avec ses voisins. "Au contraire, [ils seront] stimulés par un développement économique plus dynamique et efficace dans les pays partenaires".
Vladimir Poutine a pour sa part mis en avant les conséquences négatives possibles du Partenariat sur l'industrie russe. "Ce n'est pas une question politique, c'est l'intérêt économique qui domine", a-t-il insisté. "La Russie a toujours respecté et va toujours respecter les droits souverains de nos partenaires. Nous avons ce respect pour les pays de l'ex-URSS et tous les autres. Chaque pays doit prendre des décisions qui concernent ces droits fondamentaux d'une manière indépendante", a souligné le président russe.
De nombreux responsables Européens avaient accusé, lors du recul de l'Ukraine sur sa signature de l'accord d'association lors du sommet de Vilnius fin 2013, la Russie de faire pression sur Kiev et de ne pas respecter sa souveraineté. Herman Van Rompuy a réitéré cette critique de manière plus diplomatique en soulignant que "le respect de la liberté de choix des pays souverains en matière de politique étrangère, de coopération régionale économique et commerciale est un droit fondamental et un principe que j’ai une nouvelle fois rappelé".
Le président russe a rejeté toute "interférence" étrangère en Ukraine, au moment même où la chef de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton, se rendait à Kiev, ville où le président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, Elmar Brok (PPE, D), a également été très actif depuis le début de la crise. "Je pense que le peuple ukrainien est capable de résoudre" ses problèmes "par ses propres moyens", a affirmé Vladimir Poutine, soulignant que "la Russie n'interfèrera jamais" dans cette crise.
Le chef de la diplomatie luxembourgeoise, Jean Asselborn, qui s’exprimait en marge du Sommet de l’Union Africaine à Addis Abeba, a de son côté réitéré la position traditionnelle du Luxembourg sur le sujet. "La question ne se pose pas de savoir si l'Ukraine a davantage besoin de la Russie ou de l'Europe. Le pays a besoin de la Russie et de l'Union européenne ", a répondu le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères au Luxemburger Wort.
Enfin, dirigeants européens et russes ont discuté de la situation des droits de l'homme en Russie et dans l'UE et des questions internationales telles que la Syrie, l'Afghanistan, le processus de paix au Proche-Orient et la lutte contre la piraterie dans la corne de l'Afrique. Les deux parties ont par ailleurs ont signé une déclaration commune pour combattre le terrorisme, réaffirmant leur "ferme intention de coopérer dans la lutte contre le terrorisme, fondée sur le respect de l'état de droit et des droits de l'homme".