Le 6 mai 2013, l’exécutif européen publiait un ensemble de propositions en vue de moderniser, de simplifier et de renforcer la filière agro-alimentaire. L’une d’entre elles entend simplifier l’enregistrement des semences dans le but de garantir la productivité, l’adaptabilité et la diversité de la production végétale et forestière de l’Europe, et de faciliter les échanges commerciaux en la matière.
Si les associations écologistes dénoncent depuis des années la rigidité du catalogue officiel des semences commercialisables qui porterait atteinte au maintien de la diversité des semences et notamment les semences anciennes, le nouveau règlement proposé par la Commission ne semble pas apaiser la critique. Au contraire, la proposition inquiète particulièrement le groupe des Verts/ALE au Parlement européen, ses eurodéputés dénonçant le danger de cette nouvelle législation pour les fruits et légumes régionaux, les petites entreprises et les agriculteurs biologiques. L’eurodéputé Vert luxembourgeois Claude Turmes l’a rappelé lors d’une conférence de presse à Luxembourg, le 24 janvier 2013.
Le règlement sur les semences proposé par la Commission européenne devrait remplacer 12 directives existantes afin de réglementer la production, la commercialisation et l'échange de semences dans l’UE.
"Le contexte politique derrière cette proposition est d'une part la soi-disant simplification de la législation de l'UE et d'autre part, un jugement de la CJUE dans l’affaire de l’association Kokopelli contre les producteurs de Graines Baumaux", a expliqué l’eurodéputé. Attaquée par la société Graines Baumaux pour concurrence déloyale, l’association Kokopelli, dont l’objectif est la préservation et la distribution de semences anciennes, avait été condamnée par la justice française à payer une amende.
Portée devant la Cour de Justice de l’UE, l’affaire avait donné lieu en 2012 à un arrêt confirmant la validité de la législation européenne. La CJUE avait ainsi jugé que les directives sur la commercialisation des semences de légumes étaient valides, car elles "prennent en compte les intérêts économiques des vendeurs des 'variétés anciennes' dans la mesure où elles permettent leur commercialisation sous certaines conditions". L’arrêt précisait que "la directive concernant la commercialisation des semences de légumes soumet la commercialisation de ces semences à l’admission préalable de leurs variétés dans au moins un État membre. De plus, une variété n’est admise aux catalogues officiels des États membres que si elle est distincte, stable et suffisamment homogène. Néanmoins, une autre directive prévoit certaines dérogations à ce régime d’admission aux catalogues nationaux pour les 'variétés de conservation' et les 'variétés créées pour répondre à des conditions de culture particulières'. En effet, ces 'variétés anciennes' peuvent être cultivées et commercialisées sous certaines conditions même si elles ne répondent pas aux exigences générales pour être admise aux catalogues officiels".
Commentaire de Claude Turmes: "Cela n’affecte pas seulement les producteurs professionnels de semences, mais aussi les agriculteurs et les petits jardiniers qui font le commerce de petites quantités de semences, ainsi que les organisations de conservation et les gouvernements qui se sont engagés en faveur d’une plus grande biodiversité". A partir de là, "l'objectif de ce règlement est d'accroître la productivité et l'intensification de l'agriculture industrielle. Il a été taillé sur mesure pour les quelques grandes multinationales semencières et chimiques, actives au niveau international telles que Monsanto, DuPont et Syngenta et repousse les petites entreprises dans un marché de niche".
Le député européen souligne que la base de la proposition de règlement est l'obligation d'enregistrement des semences dans les catalogues nationaux ou européen de variétés qui repose sur le respect de critères dits DUS (distinctness, uniformity, stability). "Sans enregistrement, il ne devrait plus être possible à l'avenir de vendre des semences", déplore-t-il.
La variétés traditionnelles, régionales ou locales ne satisfont en effet généralement pas à ces critères. "Elles se caractérisent précisément par le fait qu'elles présentent une variation génétique et ne restent également pas stables sur plusieurs générations. Or ce sont ces propriétés qui font que ces variétés s’adaptent mieux à l'évolution régionale ou climatique", poursuit l’eurodéputé.
Et de dénoncer en outre une charge financière et administrative associée à l'enregistrement trop élevée, "de sorte qu'il ne sera plus possible pour de nombreux agriculteurs à l’avenir, comme cela l’était pourtant pendant des siècles, de commercialiser des semences entre eux. Ils devront de plus en plus recourir aux produits des sociétés agro-chimiques".
Claude Turmes estime ainsi que le projet de règlement pourrait quasiment interdire, en catimini, la production naturelle de fruits et légumes des exploitations familiales de taille moyenne destinée aux besoins régionaux. "Si des réglementations très complexes peuvent être nécessaires pour les entreprises agro-chimiques mondiales, les exploitations moyennes ne pourraient pas en supporter les exigences." Le régime dérogatoire du projet prévoit en effet d’exonérer les micro-entreprises du paiement des redevances d’enregistrement, celles-ci pouvant commercialiser tout type de matériel en tant que "matériel de niche" sans procéder à l’enregistrement des variétés. Pour être considérée comme telle, l’entreprise doit employer un maximum de dix salariés et ne pas dépasser un chiffre d’affaires de deux millions d’euros par an, ce qui en limite d’un coup le nombre concerné.
Pour l’eurodéputé, il ne s’agit cependant pas uniquement de la compétitivité et de l'équité du marché des semences. "C’est une question de diversité de la faune et de la flore, de qualité des aliments et liberté de décider par soi-même ce qui atterri dans notre assiette. Si les jardiniers qui favorisent la diversité des semences et les agriculteurs biologiques étaient obligés d'arrêter la vente en raison de ce règlement, les jardiniers amateurs et les consommateurs seraient directement touchés. La perte pour la nature et la société, de même que pour les générations futures, serait inestimable".
La diversité végétale du Luxembourg serait d’ailleurs directement touchée. Ainsi l’association Seed asbl a-t-elle mis en garde contre le risque de disparition de certaines variétés très locales. C’est le cas de la "Wiesenapfel" ou de la variété de prune "Duederer".
"Bien que la proposition prévoie une exemption pour les variétés anciennes qui étaient commercialisées avant l'entrée en vigueur le règlement, les variétés citées et bien d'autres n’ont souvent été négociées que localement et jamais commercialisés par les pépinières. Dès lors, elles ne pourraient pas être enregistrées à l'avenir. En outre le règlement prévoit une limitation géographique, ces variétés n’étant susceptibles d’être vendues que dans leur région d'origine", juge Claude Turmes.
Celui-ci souligne que de nombreux jardins potagers au Luxembourg seraient concernés par la réglementation, qui pourrait signifier la fin de légumes traditionnels, tels que le "Marner Allfrüh" (chou), le "Roi des Belges" (haricot nain) ou le "Saint-Esprit à l'œil rouge" (haricots secs). Principalement cultivées et propagées par des amateurs et des initiatives de conservation, ces variétés ne pourraient plus être enregistrées.
"En raison des critères d'admissibilité strictes et des restrictions géographiques, il sera beaucoup plus difficile d'adapter les semences aux conditions locales et pour les agriculteurs biologiques de cultiver. Cela affecte l'aspiration actuelle des agriculteurs biologiques au Luxembourg d'une plus grande autonomie".
Le groupe des Verts/ALE au Parlement européen réclame ainsi purement et simplement le retrait de la proposition de la Commission européenne. Selon ses eurodéputés, le projet de règlement soumis menace la biodiversité génétique et restreint les droits des agriculteurs, des jardiniers et des initiatives de conservation des variétés à échanger, voire à ressemer leurs propres semences.
"Le groupe des Verts au Parlement européen milite depuis des mois avec véhémence pour s'assurer qu'il sera rejeté. Après des discussions avec les députés des autres groupes politiques au Parlement, la tendance semble montrer que ce rejet sera soutenu, y compris par les groupes traditionnellement plus sensibles aux arguments des agroindustriels", estime Claude Turmes. Les Verts comptent par ailleurs assortir le rejet du texte d’une résolution invitant la Commission européenne à prendre en compte plusieurs revendications.
Ils appellent notamment à la protection de l'agriculture biologique et des initiatives de conservation, en limitant le champ d'application du règlement à ceux qui produisent des graines en vue de les commercialiser. Pour les agriculteurs biologiques et les initiatives de conservation, des procédures d'autorisation et de certification simplifiées qui limiteraient la charge financière et administrative au minimum devraient être appliquées.
Les Verts appellent aussi à un régime dérogatoire sur l’application des critères de DUS pour les variétés locales qui ne répondent pas à ces critères en raison notamment de leur instabilité génétique. "Ces propriétés rendent les variétés adaptables aux conditions changeantes de l'environnement. Elles ne doivent pas seulement être disponibles dans les bases de données génétiques, mais aussi sur le marché", estiment les Verts
Les graines de fruits et légumes traditionnels devraient également bénéficier d’une exception abolissant les restrictions temporelles et géographiques pour qu'elles puissent être commercialisées partout, même si elles ne l’ont pas été avant la mise en œuvre de la réglementation.
Une plus grande flexibilité pour les États membres est également réclamée, notamment au travers d’une directive plutôt que d’un règlement. Ce dernier devant être traduit à la lettre, ne laisse aucune marge pour prendre en compte les particularités nationales et régionales.
Afin de mettre la pression sur la Commission européenne, Claude Turmes en appelle aux citoyens. Sur son site, il propose une lettre type destinée à la Commission européenne que chacun peut facilement et rapidement envoyer. En outre, une déclaration des citoyens (Citizen's Declaration) peut être signée sur le site de la Seed Freedom Campaign et sera également adressée à la Commission. Dans les prochaines semaines, la commission de l'environnement ainsi que la commission de l'agriculture du Parlement européen se prononceront sur le fond du dossier, avant qu'il ne soit débattu en séance plénière au mois d’avril. En vertu de la procédure législative ordinaire, le Conseil des ministres devra se prononcer sur le dossier .