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Economie, finances et monnaie
L’OCDE reconnaît "d’importantes erreurs" dans ses prévisions économiques qui se sont révélées "trop optimistes" pendant et après la crise financière, selon un rapport diffusé par l’institution
10-02-2014


OCDEAprès le Fonds monétaire international (FMI) qui avait, début janvier 2013, reconnu dans un document de travail produit par l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, intitulé "Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers" ("Erreurs de prévisions de croissance et multiplicateurs budgétaires", FMI, Working Paper no 2013/1, janvier 2013), une sous-estimation significative de l’impact des politiques de consolidation budgétaire sur l'augmentation du chômage et la baisse de la demande intérieure dans l’UE, et donc sur ses propres prévisions de croissance, c’était au tour de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) de reconnaître "d’importantes erreurs" de prévisions économiques dans son chef.

Dans un rapport intitulé "Prévisions économiques de l’OCDE pendant et après la crise financière : un post mortem" (OECD, Note de politique économique du département des affaires économiques de l'OCDE, No. 23, février 2014) présenté le 10 février 2014 à Londres, l’OCDE indique ainsi que "les prévisions économiques de l’Organisation ont sous-estimé la gravité de l’effondrement de l’activité en 2008-2009, et qu’elles ont été trop optimistes quant au rythme de la reprise ces dernières années. L’ampleur des erreurs de prévision relevée pour la période 2007-2012 est comparable à celle observée dans les années 70, au moment du premier choc pétrolier", peut-on y lire. Pour explication : en économie, un post mortem est un retour sur prévisions, avec explication des différences observées entre les valeurs prévues et les valeurs réalisées.

La lecture du tableau 1 repris dans le rapport est édifiante : les erreurs moyennes de prévisions, à moyen terme, pour la période 2007 à 2009, ont oscillées entre 1,9 et 2,6 points de pourcentage. Pour la période 2010 à 2012 elles ont été moindres, atteignant de -0,1 à 0,3 points de pourcentage. S’agissant ici de moyennes, le rapport laisse donc entendre que certaines de ces erreurs de prévisions, cette fois en termes absolus, se sont dès lors révélées encore plus importantes.

L’OCDE les justifie notamment par la "volatilité extrême qui a caractérisé la crise financière mondiale a compliqué les prévisions économiques et a été la cause d’importantes erreurs". Dans son rapport, l'OCDE analyse dès lors les principales sources des erreurs de prévision afin d’en tirer "des enseignements susceptibles d’être mis à profit pour améliorer ses analyses et ses prévisions", le rapport soulignant la nécessité "d’améliorer les méthodes de modélisation" et "de repenser la réalisation et la présentation des projections".

"La crise nous a enseigné beaucoup de choses", a assuré le chef économiste de l’OCDE, Pier Carlo Padoan, à l’occasion de la présentation du rapport. "Nous avons pris des mesures pour améliorer les modèles de prévision à court terme, construire de meilleurs indicateurs de la situation financière et étudier plus systématiquement les risques entourant nos prévisions."

Les conclusions principales du rapport de l’OCDE

Les principales conclusions relevées dans le rapport sont les suivantes:

La croissance du PIB a en moyenne été surestimée durant la période 2007-2012, reflétant des erreurs non seulement au plus fort de la crise financière, mais aussi pendant la reprise qui a suivi.

Les erreurs de prévision ont été plus importantes dans les pays les plus ouverts aux événements extérieurs et donc exposés aux chocs en provenance d’autres économies.

Les erreurs de prévision concernant la période 2007-2012 ont été plus importantes pour les pays dans lesquels la réglementation des marchés du travail et des produits était plus stricte avant la crise.

Une fois la reprise amorcée, la croissance a été plus fragile que prévu dans les pays où les banques avaient de faibles ratios de fonds propres avant la crise.

Les pays dans lesquels l’assainissement budgétaire a été plus vigoureux que prévu sont aussi ceux où la croissance a été inférieure aux prévisions, mais ce constat ne vaut que pour certaines années, et seulement lorsque la Grèce est prise en compte. L’hypothèse réitérée selon laquelle la crise de la zone euro allait s’estomper au fil du temps et les écarts de rendement des obligations souveraines se resserrer a constitué une source d’erreur plus importante.

Le bilan dressé à la suite de la crise a entraîné plusieurs changements dans les méthodes d’établissement et de communication des prévisions, à l’OCDE comme dans les autres institutions de prévision.

L’analyse des erreurs

Selon l’OCDE, l’exercice de l’analyse des prévisions permet d’avoir un éclairage nouveau sur la manière dont différents pays ont été atteints par la crise économique mondiale. L’évaluation met en effet en évidence que les erreurs moyennes de prévision de croissance du PIB pour l’année civile diffèrent suivant le groupe de pays et la date de prévision.

Ainsi, c’est dans les pays les plus ouverts en termes d’échanges et d’activités financières que les erreurs de prévision ont été les plus grandes, ce qui donne à penser que la mondialisation a accru la vulnérabilité aux chocs extérieurs et l’interdépendance entre les pays, estime le rapport.

L’OCDE souligne aussi que les erreurs de prévision ont été aussi plus importantes pour les pays dans lesquels la réglementation des marchés du travail et des produits était la plus stricte avant la crise, "signe peut-être d’une résilience inférieure à celle d’économies davantage déréglementées".

"Cela peut s’expliquer notamment par l’importance accordée à l’époque aux données d’avant la crise montrant que des réglementations rigoureuses pourraient contribuer à amortir les chocs économiques, ainsi que par la prise en compte insuffisante de la mesure dans laquelle des réglementations plus contraignantes pourraient retarder les réaffectations nécessaires entre les différents secteurs pendant la phase de reprise. Troisième explication possible : l’existence d’une corrélation entre les réglementations restrictives et la création de déséquilibres avant la crise qui n’a pas été totalement intégrée dans les prévisions", lit-on dans le rapport.

Enfin, l’ampleur des sous-estimations relatives à la croissance dans les pays dotés de systèmes bancaires fragiles confirmerait la nécessité d’accroître le poids des facteurs financiers dans les modèles économiques.

"Les aggravations successives de la crise de la dette souveraine dans la zone euro nous ont pris par surprise, à cause des effets de rétroaction plus marqués que prévu entre les défaillances du système bancaire et celles des émetteurs souverains, et ceci nous a conduits à surestimer les projections de croissance aux premiers stades de la reprise", a insisté Pier Carlo Padoan.

Cependant, si "certains ont vu dans les efforts massifs d’assainissement budgétaires l’explication de l’avènement d’une croissance plus modeste que prévu", l'OCDE n’est pas de cet avis, jugeant que "cela n’est vrai que pour certaines années, et uniquement si la Grèce est prise en compte dans l’analyse".

"L’OCDE n’a pas sous-estimé les multiplicateurs budgétaires", affirme encore Padoan, contrairement à ce que le FMI avait pour sa part reconnu. "Une autre explication existe : la corrélation entre assainissement budgétaire et erreurs de prévision de croissance pourrait résulter d’une sous-estimation de l’ampleur de l’assainissement, et non pas d’une sous-estimation du multiplicateur budgétaire", souligne le rapport, qui ne semble décidemment pas d’inspiration keynésienne.

"En réalité, c’est l’hypothèse maintes fois reprise selon laquelle la crise de l’euro finirait par se dissiper et les écarts de rendement des obligations souveraines par se resserrer qui a constitué la source d’erreur la plus importante", assure l’économiste en chef. Selon l’OCDE, ce serait donc surtout une intensification imprévue de la crise budgétaire dans les économies européennes qui serait une source majeure d’erreurs, estime encore le rapport.

"Les prévisions de l’OCDE au cours de ces années se fondaient sur une hypothèse 'du moindre mal' : la crise dans la zone euro était censée s’estomper lentement, et les écarts de taux des obligations d’État entre les autres pays européens et l’Allemagne étaient censés se resserrer pendant la période considérée. En réalité, les écarts de rendement se sont élargis dans de nombreux pays pendant la période étudiée. Il existe une corrélation indéniable entre les erreurs dans les hypothèses d’écarts de rendement et les erreurs de prévision de croissance en 2010-11", poursuit le rapport, qui relève que "ce résultat soulève des questions sur la pertinence des hypothèses formulées, notamment l’hypothèse courante d’une atténuation de la crise dans la zone euro durant la période de prévision". Dans le rapport, pas un mot, pourtant, sur l'origine de ces hypothèses qui seraient à la source des erreurs de prévisions.

L’organisation conclut que le bilan dressé à la suite de la crise a entraîné plusieurs changements dans ses méthodes d’établissement et de communication des prévisions. Ainsi notamment l’OCDE réalisera-t-elle davantage de quantification de scénarios alternatifs possibles et d’identification des événements extrêmes possibles et des réponses nécessaires, et publiera également davantage d’informations sur les risques autour de la projection centrale. L’OCDE précise encore que son examen des performances en matière de prévisions s’inscrit dans le cadre plus large des efforts déployés par l’institution pour mieux comprendre la crise mondiale et s’en inspirer afin de définir de nouvelles approches face aux défis économiques.