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Transports
4e Paquet ferroviaire – Le Parlement européen limite la libéralisation du transport de passagers, au grand dam de la Commission européenne
26-02-2014


La Commission a mis sur la table le quatrième paquet ferroviaire le 30 janvier 2013Le 26 février 2014, le Parlement européen a pris position en première lecture sur les textes législatifs qui composent le 4e Paquet ferroviaire, présenté le 31 janvier 2013 par la Commission européenne. Les eurodéputés ont modifié le compromis trouvé en commission Transports le 17 décembre 2013 au sujet de ce paquet visant la levée d’obstacles techniques et administratifs, ainsi que la libéralisation du transport de passagers.

C’est ce dernier aspect contesté notamment par les syndicats, aussi bien le 24 février 2014 à la gare de Luxembourg, que la veille devant le Parlement européen, qui a fait l’objet de modifications suffisamment profondes pour que la Commission européenne en dise, par un communiqué de presse diffusé à l’issue du vote, que "ce n’est pas le signal fort dont le chemin de fer européen a besoin et qu’il attend pour améliorer sa compétitivité".

Le Parlement européen veut maintenir la possibilité de choisir une entreprise intégrée

Les eurodéputés ont adopté le droit pour les entreprises ferroviaires européennes d’offrir des services nationaux de transport commercial de passagers dans tous les Etats membres à partir de 2019 mais ont différé à 2023 l’entrée en vigueur de procédures d’appels d’offre tout en y rétablissant une certaine flexibilité.

En effet, alors que le projet initial incitait fortement à la séparation de la gestion et de l’exploitation des réseaux, le texte adopté par le Parlement européen redonne aux Etats membres une flexibilité dans le choix entre une telle séparation et le maintien d’entreprises intégrées, tout en conservant l’objectif d’indépendance entre les activités du gestionnaire d’infrastructure et celles de l’entreprise ferroviaire.

Les nouvelles dispositions permettent à des nouveaux opérateurs de fournir des services et à tous les opérateurs d'avoir un accès équitable aux infrastructures ferroviaires, "tout en préservant le rôle essentiel des contrats de services publics", souligne le communiqué de presse du Parlement européen.

Les autorités nationales pourraient  continuer à octroyer les contrats de service à un seul opérateur "à condition de déterminer une durée maximum pour de tels contrats". Les autorités nationales devront aussi se justifier sur un tel octroi en fonction de critères comme la ponctualité des services, le rapport coût-efficacité, la fréquence des services et la satisfaction des usagers, comme le précise le Parlement.

Des limites sur le nombre de contrats de services publics, déterminant le nombre de contrats octroyés dans chaque État membre en fonction du volume du trafic, devraient aider les petits opérateurs à proposer des offres.

Il existe également une clause de réciprocité qui permet aux États membres d'exclure de la procédure d'adjudication, les entreprises de chemins de fer des États membres dont les marchés sont fermés ou lorsque des obligations de mise en concurrence sont ignorés.

Selon le compromis déjà adopté en commission Transports, les opérateurs sélectionnés par les autorités devraient fournir à leur personnel des conditions de travail conformes aux normes sociales nationales ou locales et maintenir ces conditions en cas de changement d'opérateurs. Ils devront également respecter les conventions collectives et garantir des conditions de travail décentes.

Siim Kallas dénonce "la ténacité des intérêts nationaux"

Dans son communiqué de presse, la Commission européenne a exprimé "sa déception" à l’issue de la prise de position, qu’elle juge "équivoque", du Parlement européen.

Certes, les eurodéputés ont ouvert la voie à la réduction des obstacles techniques et administratifs, avec l’adoption de la directive sur l’interopérabilité et le règlement sur l’Agence ferroviaire européenne. L’Agence ferroviaire pourrait ainsi obtenir de nouvelles taches telles que l’émission de certificats et d’autorisations valables à travers toute l’Union européenne, ce qui "augmentera les économies d’échelles et réduira les coûts administratifs et de procédures pour les entreprises ferroviaires", dit la Commission.

Néanmoins, pour ce qui est des directives sur la gouvernance et sur l’ouverture des marchés ainsi que du règlement sur les Obligations de service public, les eurodéputés ont adopté une orientation selon la Commission "peu ambitieuse qui pourrait mettre en péril le développement d’un espace ferroviaire européen unique".

Pour cause, la Commission européenne déplore la décision de différer à 2023 l’entrée en vigueur de procédures d’appels d’offre pour les contrats de services publics et l’introduction d’exceptions qu’elle qualifie de "très significatives". Ainsi, les amendements adoptés empêchent d’assurer une "indépendance réelle" du gestionnaire de réseau et la transparence financière à l’intérieur des structures intégrées, deux éléments que la Commission européenne juge essentiels pour assurer un "accès égal et non discriminatoire au réseau".

"Le vote d’aujourd’hui est une nouvelle démonstration de la ténacité des intérêts nationaux qui se sont avérés plus attirants pour les eurodéputés que le compromis équilibré et raisonné obtenu en décembre dans la commission des transports (TRAN)", a déclaré le commissaire en charge du transport, Siim Kallas.

Dans un communiqué de presse, la Communauté des chemins de fer européens (CER), qui réunit les compagnies de chemin de fer, a salué "une amélioration réelle de la proposition de la Commission", fruit de son dialogue intense avec  les eurodéputés.  Elle s’est réjouie que, concernant le modèle de gouvernance, les caractéristiques nationales spécifiques aient été prises en compte, en permettant aux Etats membres un réel choix entre les modèles intégrés et séparés.

Des eurodéputés luxembourgeois contre la libéralisation

pe-4pf-bachLe 25 février 2014, l’eurodéputé Georges Bach, qui avait auparavant rejoint les manifestants présents devant le Parlement européen, à l’appel des syndicats, est intervenu durant la séance plénière pour dénoncer les conséquences néfastes du Paquet ferroviaire. "Nous voulons plus de circulation sur les chemins de fer, nous ne sommes pas du même avis sur les moyens pour y arriver", avait-il dit. Il avait émis le souhait que l’attribution directe d’un marché public soit possible et aussi mis en avant le travail de la commission Transports, à laquelle il appartient et qui a restauré la défense des droits sociaux des travailleurs, dont l’absence dans le projet initial de la Commission européenne l’avait "déçue".

Favorable à l’attribution directe des contrats de service public, Georges Bach avait estimé, dans les colonnes du Tageblatt du 26 février 2014, que les Etats membres ne devraient pas même avoir à remplir des critères que la Commission européenne aurait définies, mais qu’ils devraient garder leurs propres critères, en déclarant : "S’il existe une grande satisfaction, nous n’avons pas besoin de la Commission européenne et de ses critères."

A l’issue du vote, George Bach a, par un communiqué de presse, rappelé que la séparation entre infrastructure et exploitation du réseau aurait des "conséquences insupportables pour le Luxembourg" et a déploré que la proposition de la Commission européenne ne prévoyait "aucune voie moyenne", obligeant ainsi la Société des chemins de fers luxembourgeois (CFL), à avoir la même structure que la Deutsche Bahn.

"Le dernier mot n’est pas encore prononcé. Le Conseil est encore très loin d’un accord et une seconde lecture au Parlement européen est incontournable", explique par ailleurs Georges Bach. Le Conseil n’a pas encore débattu de l’aspect libéralisation du Paquet, comme le souligne le communiqué de presse du Parlement européen qui précise par ailleurs que "les députés nouvellement élus en mai pourront ainsi poursuivre le travail déjà réalisé pendant cette législature" mais aussi "décider de reprendre à zéro si la commission parlementaire le demande et si la conférence des présidents de groupes politiques approuve cette demande".

D’autres eurodéputés luxembourgeois se sont montrés comme Georges Bach attentifs à la préservation de la situation luxembourgeoise. L’eurodéputé vert luxembourgeois, Claude Turmes, a voté pour cette raison contre la proposition de la Commission européenne qui "menace les entreprises ferroviaires dans les petits pays" et afin d’éviter que les CFL soient "victimes d’une libéralisation aveugle", a-t-il expliqué dans un communiqué. La balle est dans le camp du Conseil, dit-il, et en raison de la faible majorité au Conseil, Claude Turmes espère "une amélioration, tenant compte de l’intérêt des petits pays".

Dans son explication de vote, l’eurodéputé socialiste Robert Goebbels  juge, à son tour, que "la Commission se trompe lourdement quand elle préconise la libre concurrence tout en voulant casser les structures nationales existantes". "Les transports en commun ne seront jamais un marché permettant de faire jouer les forces du marché", sans quoi "beaucoup de régions ne seraient plus desservies par des transports en commun, parce que non rentables", a-t-il ajouté, en précisant qu’il avait voté en faveur des directives plus techniques, notamment sur l'interopérabilité.

Autres réactions politiques

Dans un communiqué de presse, l’Alliance des démocrates et libéraux européens, (ALDE), a pour sa part regretté que des propositions initiales de la Commission européenne aient été « édulcorées pour préserver des avantages acquis". "Les éléments les plus décevants, comme la faiblesse de l'ouverture des marchés nationaux aux services de transport de voyageurs, portent atteinte à cette réforme qui visait à créer un secteur ferroviaire unique européen", déplore l’ALDE.

"Nous aurions dû mettre un terme aux monopoles inefficaces des États nationaux. L'expérience nous montre qu'un marché ferroviaire réellement ouvert apporte un meilleur service aux passagers, en termes de fiabilité et de ponctualité des trains, et stimule la croissance du secteur lui-même. Depuis les années 90, par exemple, le marché ferroviaire au Royaume-Uni a augmenté de 70 % et le suédois de 40 %", a déclaré le libéral Philippe De Backer dans le même communiqué.

C’est notamment au nom des expériences hollandaise, britannique et française, que l’eurodéputé socialiste Gilles Pargneaux a introduit la série d’amendements, avec 71 membres de toutes nationalités et de tous groupes politiques, qui a bloqué la séparation totale entre infrastructure et exploitation. Dans un article publié son blog, il a écrit après le vote qu'"aucune preuve ne tend à démontrer que la séparation totale soit le meilleure modèle en termes d’efficacité économique et concurrentielle du système ferroviaire", tandis qu’"un impact perturbateur sur le fonctionnement se dessine clairement en France mais également aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, où de nouvelles formes de coopération renforcée entre gestionnaire d’infrastructure et entreprises ferroviaires sont expérimentées".

La Gauche Unitaire Européenne/Gauche Verte Nordique (GUE-NGL) se satisfait des gains en terme d’entreprises intégrées qui "seront protégées dans une certaine mesure", lit-on dans son communiqué. Elle se satisfait également qu’un amendement qui cherchait à attaquer le droit de grève en obligeant au service minimum ait été rejeté. Mais elle déplore que le vote du Parlement va malgré tout vers une privatisation excessive "au détriment des droits des travailleurs et des intérêts des passagers en termes de coût, sécurité et accessibilité".