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Migration et asile
Crise économique et liberté de circulation sont-elles compatibles ? – Une table-ronde du CLAE a dressé un nouveau bilan quantitatif et humain de l’immigration du Sud de l’Europe due à la crise
27-02-2014


Comité de Liaison des Associations d’étrangers - CLAELe CLAE a organisé le 27 février 2014  une table ronde autour de la question : "Crise économique et liberté de circulation sont-elles compatibles ?". Il s’agissait, deux ans après un événement similaire, de refaire le bilan avec Marco Morbilli de l'Ambassade d'Italie au Luxembourg, Rui Monteiro, Consul général du Portugal au Luxembourg, Paola Cairo, rédactrice du périodique en langue italienne PassaParola, Antoni Montserrat, ancien président du Centre Català de Luxembourg et José Trindade, président du Centro de apoio social et associativo no Luxemburgo (CASA). La réunion, axée sur la perspective des consulats et des associations des pays d’origine des nouveaux migrants, était animée par Furio Berardi, le président du CLAE.  

clae-furio-berardi-140227Dans son introduction, Furio Berardi a évoqué "le manque de perspectives d’avenir ou la pauvreté qui poussent de plus en plus d’Européens à quitter leur pays", ce qui crée de nombreux problèmes pour les pays d’émigration et pour les pays d’immigration. Et de les énumérer. Ainsi, est-ce vrai que les pays du Sud de l’Europe doivent affronter une fuite de "leurs cerveaux" ? La crise remet-elle en cause les valeurs fondamentales de l’Europe, certains pays prenant des mesures qui menacent le principe de libre circulation ? Et si l’UE a bien adopté en janvier 2014 une résolution ferme rejetant les demandes pour restreindre la liberté de mouvement en Europe, n’est-ce pas vrai néanmoins que les mythes selon lesquels certains citoyens émigrent pour profiter de systèmes de protection sociale plus généreux perdurent ? Furio Berardi a répondu de manière très terre-à-terre à certaines de ces questions. Si des jeunes quittent leur pays, c’est pour trouver autre part un travail "suffisamment stable". Parler d’émigration des cerveaux lui semble problématique. Tous ceux qui émigrent "en ont un". Les intellectuels qui quittent leur pays pour échapper à la précarité ne contribuent-ils pas à creuser l’écart entre le Nord et le Sud de l’UE ?

clae-paola-cairo-140227La journaliste Paola Cairo a essayé de dresser le cadre du problème. 14 millions de citoyens de l’UE vivent dans pays de l’UE qui n’est pas le leur. Dans sa rédaction, le ton des lettres reçues de la part des nouveaux émigrés italiens a changé. Il y a deux ans, c’étaient des demandes de renseignement et de contact. Aujourd’hui, le désespoir prime. Ces correspondants sont des avocats, des scientifiques, des pédagogues, mais aussi des femmes seules avec enfants. Actuellement, 4 millions d’Italiens se sont expatriés, avant tout vers l’Allemagne, la France, la Suisse et l’Argentine. Ils viennent avant tout du Sud du pays, la majorité sont des célibataires et 15 % des mineurs, souvent des diplômés à la recherche d’un premier travail. La crise est à l’origine de la plupart de ces expatriations.

La perspective des Consulats portugais et italiens

clae-rui-monteiro-140227Le consul du Portugal, Rui Monteiro a cité le fait que "les consulats reviennent à la mode" comme un des indices de la nouvelle migration due à la crise, et ce à un moment où son pays en a fermé certains dans le monde. Les Portugais affluent au Royaume Uni, en Allemagne, au Luxembourg, en Suisse. 5 millions de Portugais vivent à l’étranger, contre 10 millions au pays. Le Consulat général au Luxembourg recense 116 000 inscrits. Mais la réalité sur le terrain peut différer avec une marge de 5 à 10 % vers le haut, car une inscription au Consulat n’est pas obligatoire. Le STATEC luxembourgeois recense par contre 88 000 résidents portugais. Mais cela peut être dû au fait que depuis 2009, plus de 5000 Portugais ont demandé la double nationalité. Par ailleurs, les Portugais de Trêves ou de Thionville ont aussi tendance à s’inscrire au Consulat à Luxembourg. Par contre, le Consulat fait état d’une forte croissance des enfants inscrits dans les cours en portugais – plus de 400 par an – et 1200 actes de naissance ont été établis en 2012 et 1340 en 2013.

Rui Monteiro a parlé d’une émigration qui continue malgré le fait que le Portugal s’apprête à sortir des programmes d’aide et que le chômage a baissé légèrement. Le personnel de santé s’oriente notamment vers le Brésil et l’Angola. Autre indice : pour un poste au Consulat à Luxembourg précisément, 300 personnes, très souvent des universitaires, ont fait acte de candidature, alors que le poste ne requérait qu’un baccalauréat.

Rui Monteiro a ensuite évoqué les efforts faits pour informer les candidats à l’émigration de ce que cela veut dire concrètement avec des brochures qui ont pour sujet "travailler à l’étranger" ou "travailler au Luxembourg", cette dernière en coopération avec l’ambassade du Luxembourg à Lisbonne, l’OLAI et l’ADEM. Dans ces brochures, l’accent est mis sur la nécessité d’avoir des connaissances de la langue française, qui a cessé d’être la première langue étrangère au Portugal, ayant été remplacée par l’anglais, mais aussi sur les difficultés du système scolaire luxembourgeois. Le consul général en est venu à conclure qu’un "Consulat n’est plus une entité fermée", mais qui doit coopérer avec les autorités nationales et les associations portugaises, étant devenue une sorte de lieu de consultation de l’émigration dans la région.

clae-marco-morbilli-140227Marco Morbilli, du Consulat italien a fait état de 78 000 Italiens qui ont quitté leur pays en 2013 pour la Suisse, le Royaume Uni, la France et l’Allemagne. Le chômage a atteint les 13 %  et même les 41 % chez les jeunes. Marco Morbilli estime qu’à peu près 630 personnes, tous des résidents avec contrat de travail, sont venues dernièrement s’ajouter aux 26 000 Italiens qui vivent au Luxembourg. Mais ce pourraient être 2 à 3000 personnes qui se trouvent nouvellement au Luxembourg, de jeunes diplômés, mais aussi beaucoup de personnes qui cherchent un travail quelconque et qui deviennent les premières victimes de l’émigration, car socialement les plus faibles. La moitié des arrivants sont diplômés, un tiers cherchent un "travail humble". Parmi ces personnes, on trouve aussi des Italiens naturalisés, d’origine africaine, albanaise, etc. Contrairement aux Portugais, les Italiens doivent s’inscrire au Consulat endéans les 90 jours de leur arrivée au Luxembourg.

La perspective des associations

clae-jose-trindade-140227José Trindade a, lui, donné son opinion sur la situation en Europe et évoqué ce que fait son association, la CASA, pour les nouveaux arrivants. Lorsqu’il a immigré au Luxembourg en mars 1970, l’Europe était selon lui à l’époque "malade". Aujourd’hui, estime-t-il, "elle est pourrie", assumant qu’il "parle un autre langage que les autorités". La CASA a compté en 2009 plus de 5000 nouveaux arrivants, plus de 6000 en 2010, plus de 7100 en 2011 et plus de 9 500 en 2012. Son association s’occupe des malades, des sans-travail et des chômeurs, des jeunes et du 3e âge. Mais ce sont les nouveaux arrivants qui « donnent le plus de travail ». La CASA a reçu 2500 personnes de ce cercle en 2012 et reçu 4500 courriels. "Nombreux sont ceux qui sont retournés chez eux, car ils n’ont trouvé ni travail, ni logement, ni école". En 2014, la CASA a déjà eu à traiter jusqu’à fin février 218 dossiers. Le référendum en Suisse a conduit de nombreux Portugais qui s’y trouvent d’envisager la migration vers le Luxembourg, d’autant plus qu’il existe de nombreuses relations familiales entre les Portugais en Suisse et au Luxembourg. 17,5 % des Portugais du Luxembourg vivent dans la misère, estime José Trindade, certains ne sachant pas comment manger et où dormir. Les associations portugaises au Luxembourg ont participé au Portugal à des conférences d’informations, notamment à Porto. Le message était de dire : le SMIC au Luxembourg est peut-être élevé, mais attention, il faut connaître les langues, etc. … Le grand handicap des nouveaux arrivants est qu’ils parlent l’anglais, mais pas le français.

clae-antoni-montserrat-140227Antoni Montserrat, qui a excusé le consul d’Espagne qui n’avait pu venir, a parlé de 2,9 millions d’Espagnols qui vivent hors de leur pays. 150 000 Espagnols ont quitté leur pays l’an dernier, 1 million de personnes, citoyens espagnols et autres résidents, ont quitté l’Espagne depuis le début de la crise. Les associations espagnoles ont décidé dans ce contexte de crise de ne plus distinguer entre les nationalités de ceux qui ont quitté le royaume. Il suffit de leur dire : "Je viens d’Espagne." De sorte qu’elles s’occupent aussi de citoyens roumains ou latino-américains. 5 200 personnes sont inscrites au Consulat, mais le nombre d’Espagnols au Luxembourg doit être nettement plus élevé. D’abord parce que rien ne les incite à s’inscrire – le système de vote à l’étranger est par exemple jugé "déficient" - et que l’on vient d’abord quand un problème se pose. Son association, le Centre Català, estime le nombre des citoyens espagnols à plus de 8 000.

L’idée qu’il s’agisse d’une émigration particulièrement jeune pourrait être fausse. 58 % des personnes prises en compte sont âgées de plus de 35 ans. Et ce sont eux qui ont le plus de problèmes, car ils sont souvent des chômeurs en fin de droits, ne bénéficiant plus que d’un soutien de 426 euros par mois.

Les associations espagnoles ont décidé de coopérer, de la droite à l’extrême gauche, des nationalistes régionaux aux nationalistes espagnolistes, de l’Eglise catholique à la Chambre de commerce, avec pour modèle de référence le mode d’action de la CASA portugaise. Elles s’évertuent entre autres de contrer ceux qui veulent profiter de la situation et des difficultés dans lesquelles se trouvent les émigrés. Et vis-à-vis de ces derniers, la ligne de conduite est de dire la vérité, ce qui engendre une foule de déceptions.

Les associations espagnoles reçoivent peu de soutien des autorités luxembourgeoises : "L’OLAI commence seulement à comprendre un peu ce que nous faisons". Et le Ministère de l’Immigration ne semble pas préparé aux nombreuses nouvelles arrivées. Les nouveaux arrivants sont par ailleurs selon Antoni Montserrat pas trop bien accueillis dans les petites communes, quand ils vont chercher une attestation d’enregistrement. Il parle de "signes pas très encourageants" et "de temps peu favorables à la libre circulation". 

Les autorités espagnoles ont, quant à elles, réduit les budgets, même s’il existe maintenant un poste budgétaire pour aider les actions de soutiens aux émigrés. Antoni Montserrat s’attend en tout cas à de nombreux nouveaux arrivants. L’évolution des chiffres macroéconomiques espagnols, qui est de nouveau plus positive, ne se répercute pas encore sur les chiffres microéconomiques. Bref, pour Antoni Montserrat, "les associations font le travail que les autorités espagnoles et luxembourgeoises ne font pas".