En novembre 2013, la Commission européenne lançait le semestre européen 2014 en publiant son examen annuel de croissance ainsi que son rapport sur le mécanisme d’alerte. Ce dernier vise à identifier les déséquilibres macroéconomiques et la Commission y recommandait l’examen approfondi de la situation économique de seize Etats membres, parmi lesquels le Luxembourg.
Le 5 mars 2014, la Commission a publié les résultats de ces bilans approfondis. On y devine déjà les recommandations qui vont être formulées à l’intention des Etats membres dans le cadre du semestre européen.
La Commission a évalué par la même occasion les progrès réalisés par ces Etats membres dans la correction de leurs déficits budgétaires et actualise les avis formulés en novembre 2013 sur leurs projets de plans budgétaires.
Les bilans approfondis examinent les caractéristiques des économies des Etats membres, en particulier l’évolution des comptes extérieurs, l’épargne et l’investissement, le taux de change effectif, les parts de marchés d’exportation, la compétitivité des coûts et hors coûts, la productivité, la dette publique et privée, les prix du logement, les flux de crédit, les systèmes financiers, le chômage et d’autres variables. L'appréciation des déséquilibres ou des déséquilibres excessifs tient compte de la situation de chaque économie à un moment donné, de la dynamique de chacun de ces phénomènes et, le cas échéant, des mesures adoptées récemment.
Il ressort des bilans approfondis menés par la Commission que les difficultés auxquelles les économies de l’Union européenne sont confrontées ont changé. Lorsque la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) a été créée, et durant les premiers cycles de sa mise en œuvre, les principaux défis étaient liés aux déficits non viables des comptes courants, à la perte de compétitivité liée à une évolution des coûts salariaux auparavant très dynamique, à la dette privée et aux prix élevés de l’immobilier. Désormais, les principaux défis de nature transfrontière sont également liés aux conséquences du désendettement engagé par bon nombre de pays sur la croissance à moyen terme; à la viabilité de la dette publique et privée et des passifs extérieurs dans un contexte d'inflation très faible; à la nécessité d'assurer un flux de crédit adéquat vers les activités viables - en particulier dans les secteurs non exportateurs - des économies vulnérables, compte tenu de la fragmentation du système financier; et au niveau très élevé du chômage dans de nombreux pays.
La Commission prévoit de mettre en place une surveillance spécifique pour les États membres qui enregistrent des déséquilibres excessifs (Croatie, Italie et Slovénie), ainsi que pour les pays dont les déséquilibres requièrent des mesures décisives (Irlande, Espagne et France).
Les pays soumis à des programmes d’ajustement économique (la Grèce, Chypre, le Portugal et la Roumanie) ne sont pas couverts par la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques, puisqu'ils font déjà l'objet d'une surveillance accompagnant ces programmes.
Les déséquilibres et les déséquilibres excessifs que les États membres devront corriger sont de nature variable. Les bilans approfondis individuels constituent une base analytique, qui permet d'engager le dialogue avec les États membres pendant que ceux-ci préparent leurs programmes nationaux de réforme ou leurs programmes de stabilité ou de convergence (plans budgétaires à moyen terme). Ceux-ci doivent être présentés à la Commission à la fin du mois d'avril et seront évalués au début de juin, lorsque la Commission présentera un ensemble actualisé de recommandations par pays dans la phase de clôture du semestre européen. Pour les États membres en situation de déséquilibre excessif, elle déterminera également si des mesures complémentaires sont nécessaires.
Pour la Croatie, l'Italie et la Slovénie, ces déséquilibres sont jugés excessifs.
La Croatie doit agir pour faire face au volume élevé des passifs extérieurs, à la détérioration des résultats à l’exportation, au fort endettement des entreprises et à la croissance rapide de la dette publique, le tout dans un contexte de croissance économique faible et de capacités d’ajustement insuffisantes. D'importants efforts d’assainissement budgétaire supplémentaires seront nécessaires pour réduire le déficit et pour empêcher une accumulation intenable de la dette publique. La Croatie connaît un déficit budgétaire excessif et doit prendre des mesures suivies d’effets pour remédier à cette situation au plus tard le 30 avril 2014. En l’absence de mesures supplémentaires, ce pays risque de ne pas atteindre ses objectifs en 2014.
L’Italie doit agir pour faire face à une dette publique très élevée et à une compétitivité extérieure faible, qui sont enracinées l'une et l'autre dans une croissance trop lente de la productivité et appellent une action politique urgente et décisive pour réduire les risques de retombées négatives sur l’économie italienne et sur la zone euro.
La Slovénie continue à connaître des déséquilibres macroéconomiques excessifs qui requièrent une surveillance spécifique et la poursuite d'une action politique forte, bien qu'un rééquilibrage se soit amorcé au cours de l'année écoulée, sous l'effet de l'ajustement macroéconomique et de l'action politique menée.
Dans le cas de l’Espagne, qui était également considérée il y a un an comme présentant des déséquilibres excessifs, la Commission estime qu’un ajustement substantiel a eu lieu au cours de l’année dernière et que, sur la base de la tendance actuelle, les déséquilibres devraient continuer à diminuer avec le temps. Bien que les conditions soient donc réunies pour conclure que les déséquilibres en Espagne ne sont plus excessifs, la Commission souligne que les risques sont toujours présents.
Se fondant sur l’analyse décrite en détail dans les bilans approfondis, la Commission considère que 14 Etats membres présentent des déséquilibres, à savoir la Belgique, la Bulgarie, l’Allemagne, l’Irlande, l’Espagne, la France, la Croatie, l’Italie, la Hongrie, les Pays-Bas, la Slovénie, la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni.
Dans le cadre du suivi permanent des obligations qui découlent de la procédure concernant les déficits excessifs, la Commission utilise aussi un nouvel instrument, inscrit dans le pacte de stabilité et de croissance renforcé, pour attirer l’attention de deux États membres de la zone euro, à savoir la France et la Slovénie, sur le risque de non-respect de l’objectif budgétaire recommandé pour cette année. Lors du semestre européen de juin prochain, la Commission réévaluera la situation globale sur le plan des obligations prévues par le pacte de stabilité et de croissance et, le cas échéant, proposera des mesures appropriées au Conseil.
Dans le cas de la Belgique, la Commission appelle à rester attentif à l’évolution de la compétitivité externe des biens, dont une dégradation persistante menacerait la stabilité macroéconomique. "Concilier des coûts élevés de main-d’œuvre avec une création d’emplois durables et un haut niveau de vie oblige à progresser vers des produits qui se situent plus haut dans les chaînes de valeur mondiales", explique la Commission qui considère qu’il faut "éviter que ne s'aggrave le découplage entre la croissance rapide des salaires et la faible progression de la productivité". Par ailleurs, pour la Commission, "le niveau élevé de la dette publique belge reste préoccupant pour la viabilité des finances publiques".
Dans le cas de l'Allemagne, la Commission souligne l’excédent très élevé enregistré par son compte courant. Si ce paramètre témoigne d’une forte compétitivité et d’un grand volume d’épargne investi à l’étranger, il indique aussi que la croissance intérieure reste faible et que les ressources économiques pourraient ne pas avoir été affectées de façon efficace. "Bien que les risques liés à un excédent du compte courant ne soient pas comparables à ceux liés à un déficit important, la persistance de cet excédent en Allemagne doit être suivie de près", indique la Commission qui s’inquiète des risques de retombées négatives sur l’ensemble de la zone euro compte tenu du poids de l'économie allemande. La Commission appelle donc à "définir et mettre en œuvre des mesures propres à renforcer la demande intérieure et le potentiel de croissance de l’économie" et souligne que "les grands défis politiques à relever consisteront à investir davantage dans le capital humain et physique et à promouvoir les gains d’efficacité dans tous les secteurs de l’économie, notamment en libérant le potentiel de croissance du secteur des services, ce qui contribuerait aussi à accroître l’offre de main-d’œuvre".
En ce qui concerne la France, la Commission pointe notamment la détérioration de la balance commerciale et de la compétitivité, ainsi que les implications du fort endettement du secteur public. La Commission qui ne perd pas de vue le poids de l’économie française dans la zone euro, va mettre en place un suivi particulier de la France. Le bilan tiré par la Commission est sévère : "l'accroissement du déficit commercial traduit le recul sur le long terme des parts de marché d'exportation lié à une diminution constante de la compétitivité-coûts et de la compétitivité hors prix", "le coût de la main-d’œuvre reste élevé et obère les marges bénéficiaires des entreprises", "la diminution de la rentabilité – déjà faible – des entreprises privées, notamment dans le secteur manufacturier, a peut-être compromis leur capacité à se développer et à améliorer leurs résultats à l'exportation", "l’environnement défavorable dans lequel évoluent les entreprises, et en particulier le faible degré de concurrence dans le secteur des services, aggrave encore le défi de la compétitivité". La Commission critique "la rigidité du système de fixation des salaires" et appelle à poursuivre l’assainissement budgétaire en insistant sur la réduction des dépenses par la recherche de gains d’efficacité.
Dans le cas des Pays-Bas, la Commission s’inquiète des développements macroéconomiques concernant la dette du secteur privé et du processus de désendettement en cours, couplés aux facteurs d'inefficacité non encore éliminés sur le marché du logement. Bien que les risques liés à l'excédent important du compte courant ne soient pas similaires à ceux liés à un déficit important, la Commission va suivre l'évolution du compte courant aux Pays-Bas dans le cadre du semestre européen. En effet, il ressort du bilan qu’un "ample excédent persistant du compte courant coexiste avec un niveau élevé de la dette brute et des actifs nets des ménages". "Le désendettement continuera de peser sur l'activité économique, mais la stabilisation en cours du marché du logement et le patrimoine net largement positif des ménages réduisent les risques", souligne toutefois la Commission.
Des bilans approfondis ont également été effectués pour le Danemark, le Luxembourg et Malte, mais la Commission a conclu qu’il n’existait pas de déséquilibres au sens de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques.
En ce qui concerne le Danemark et Malte, la Commission estime que par rapport à l'an dernier, les risques se sont résorbés ou sont mieux contrôlés; ces pays n'enregistrent donc plus de déséquilibres au sens de la PDM.
Les défis macroéconomiques du Luxembourg ne sont pas considérés comme des déséquilibres au sens de la PDM. Ils sont liés au modèle de croissance fondé sur un secteur financier efficace, qui a bien résisté à la crise. Selon la Commission, il convient néanmoins de continuer à surveiller la perte de compétitivité du secteur manufacturier, l'évolution du marché du logement et le niveau élevé de l'endettement du secteur privé.
Il ressort de l'analyse de l'excédent courant actuel que celui-ci n'est pas dû à une demande intérieure atone, mais au modèle de croissance particulier du pays, fondé essentiellement sur les services financiers.
Cette situation masque toutefois l'accroissement constant du déficit des échanges de marchandises, conséquence d'exportations décevantes, met toutefois en garde la Commission. Selon ses services, "si le Luxembourg perd des parts de marché à l’exportation, c'est essentiellement parce que ses coûts salariaux unitaires ont augmenté plus vite que ceux de ses partenaires commerciaux, situation qui s'explique dans une certaine mesure par le mécanisme de fixation des salaires". Pour la Commission "la recherche d'une solution structurelle à la modulation temporaire de l'indexation automatique des salaires constitue un défi".
La taille importante du secteur financier fait peser des risques sur la stabilité financière du pays, mais ceux-ci sont relativement limités du fait de la diversification et de la spécialisation du secteur, relève la Commission, qui souligne aussi que la situation des banques nationales en matière de fonds propres et de liquidités est solide. La Commission explique par ailleurs le niveau élevé de l'endettement du secteur privé et, en particulier, des sociétés non financières, par le fait qu'un grand nombre d'entreprises multinationales utilisent leurs succursales ou filiales implantées au Luxembourg pour mener des opérations de financement intragroupe.
La vigueur des prix de l'immobilier est source de préoccupation croissante, observe par ailleurs la Commission.
Enfin, la Commission pointe le fait que la situation actuellement favorable des finances publiques est fortement tributaire de la viabilité du modèle de croissance fondé sur le dynamisme du secteur financier; de ce fait, elle souligne que "des risques importants à long terme pèsent sur les finances publiques du Luxembourg". Or, de son point de vue, les réformes récemment mises en œuvre dans le domaine des retraites sont insuffisantes pour faire face à ce risque. Le solde structurel se situe au-dessus de l'objectif à moyen terme, conclut toutefois la Commission.