Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
La Chambre des salariés a publié un avis critique sur le budget de l’Etat 2014 qui, selon elle, est "sans contenu politique", "manque de transparence" et est "hautement illustratif de ce que les contraintes légales européennes risqueront d’engendrer"
20-03-2014


Chambre des SalariésLe 20 mars 2014, la Chambres des salariés (CSL) a présenté son avis sur le projet de budget de 2014. Pour la CSL, il s’agit d’un budget "relativement sain qui cadre avec les exigences européennes", mais c’est aussi un budget qui grève plus les familles que les entreprises, dont seuls les revenus sont imposés. La CSL a regretté que "de manière générale, le projet de budget reste peu transparent", et cela "encore moins que les années précédentes".  

Dans sa présentation, le directeur-adjoint de la CSL, Sylvain Hoffmann, a salué le fait que les chiffres concernant la croissance au Luxembourg soient ceux de la croissance nominale qui exprime la valeur du PIB. Cette croissance serait de 6,7 % en 2014. Pour 2014, le Luxembourg aura la deuxième croissance la plus forte de l’UE. L’avis note aussi "que pour 2014, le taux de croissance du PIB en volume (ou croissance réelle, après déduction de l’inflation, ndlr) de 3,2 % est plus que le double de celui de la zone euro qui, selon les prévisions reprises dans le projet de budget, s’élèverait à seulement 1,3 %." (p.4)

csl-budget-140320-sylvain-hoffmannDans son exposé, Sylvain Hoffmann a constaté que les recettes courantes de l’Etat couvrent les dépenses courantes. Ce qui fait la différence, ce sont les investissements. Une approche restrictive des questions budgétaires, notamment l’invocation de la règle du solde structurel, pourrait même  conduire à ce que cela devienne difficile de recourir à des emprunts pour financer des investissements. L’avis dit à la page 23 : "Le solde structurel équilibré (erronément appelée "règle d’or" par certains) pousse à l’autofinancement des investissements (c’est-à-dire par un financement hors emprunt ou dépenses en capital), celui-ci constituant un solde incluant les effets budgétaires de l’investissement. Ceci nécessitera dès lors que l’on soit plus sélectif dans le choix des investissements, si ceux-ci doivent pénaliser les générations actuelles par des coupes sombres dans les budgets sociaux, instaurant là, en quelque sorte, une discrimination intergénérationnelle à rebours."

Sylvain Hoffmann a constaté par ailleurs que l’augmentation de la dette publique ne provient pas seulement du cumul des déficits budgétaires annuels car s’y ajoutent les effets de la loi de garantie. Et de demander si cette approche est juste.

La CSL différencie en tout cas les choses, quand elle essaie de définir la position financière nette de l’Administration centrale. Elle écrit : "La position nette correspond à la différence entre les avoirs et les engagements des États. Or lorsque l’on calcule le taux d’endettement, on ne regarde que les engagements et on ignore les avoirs. Or, encore plus que pour la dette, le Luxembourg fait figure de bon élève avec une position nette de 50 % du PIB ; rappelons que cette dette s’élève à 21,7 % du PIB en 2012. Le Luxembourg n’est devancé que par la Finlande et fait partie des cinq seuls pays à disposer d’une situation nette positive." (p. 42)

Respect des critères

Le Luxembourg doit en termes de déficit ne pas dépasser les 3 %. Le budget 2013 sera, en termes nominaux et effectifs, au vert en 2013 (0 %) et en 2014 (0,2 %). "Les révisions des comptes 2012 pourraient d’ailleurs sans doute mener à un résultat semblable pour cette année-là, actuellement annoncée comme légèrement déficitaire, voire amplifier les résultats de 2013 et 2014", écrit la CSL dans ses conclusions. Pour la CSL, même sans mesures d’économie pour 2014, "le solde effectif des finances publiques se serait élevé à -0,3 %, soit largement au-dessus du critère légal des -3 % du PIB."

Le solde structurel du Luxembourg ne doit pas afficher plus de -0,5 % du PIB. En fait, il affichera 1,2 % en 2013 et 0,9 % en 2014. L’objectif à moyen terme (OMT) du Luxembourg est cependant de + 0,5 %. Il devrait donc l’atteindre. La croissance des dépenses ne devrait pas, selon la Commission européenne, dépasser les 3,8 %. En fait, elles croîtront selon les prévisions de 3,5 %.  La dette publique ne va donc pas dépasser les 23,3 % du PIB en 2014, alors qu’une dette publique de 60 % du PIB est admissible selon les critères de Maastricht.

Dans ce contexte, Sylvain Hoffmann a souligné que le projet de budget n’aborde pas directement la question du solde structurel. Et l’avis dit : "Il paraît cocasse dans ce contexte que l’indicateur principal de la politique budgétaire européenne, à savoir le solde structurel ne soit même pas renseigné pour l’année 2014. Quelle transparence !" (p.27) D’autre part, le fait que les dépenses budgétaires progresseront de 3,5 % alors que la croissance nominale du PIB sera de plus de 6 % montre que "l’on réduit le rôle de l’Etat".

Qu’il n’y a pas eu de dérapage budgétaire au Luxembourg est par ailleurs démontré selon Sylvain Hoffmann par un autre élément que l’avis de la  CSL met avant : les dépenses de l’administration centrale sont restées à peu près constantes par rapport au PIB depuis 1995. Mais de l’autre côté, les recettes de l’Etat sont en diminution par rapport au PIB, et ce déjà avant la crise. Pour l’économiste, c’est là que le bât blesse.       

Un budget 2014 "sans contenu politique"

Pour la CSL, le budget 2014 est "sans contenu politique, par exemple face à un chômage en progression". Elle critique "que le ministre des Finances n’a aucunement évoqué ses grandes orientations de la politique budgétaire, comme le veut généralement la coutume." Apparemment, «"l’objectif principal du gouvernement (…) est d’être l’élève modèle de l’Europe en procédant au rétablissement de l’équilibre des comptes publics et au renversement de la tendance à l’accroissement de la dette publique." Et "le gouvernement respecte plus qu’à la lettre les critères budgétaires européens auxquels il s’est soumis."

La CSL constate d’autre part que "le dynamisme des activités ne sera peut-être pas suffisamment marqué pour enrayer naturellement la hausse du chômage de ces dernières années, concomitante à une hausse de l’emploi et à quelques belles progressions du PIB." Elle juge que le gouvernement aurait dû "afficher son volontarisme particulièrement dans la lutte contre le chômage, qui est en passe de devenir un problème socio-économique central, même si les résultats en la matière sont comparativement toujours positifs."

Les mesures d’économie budgétaire prises en font pour la CSL du projet de budget plus un "projet d’économies (…) qu’un projet de budget de recettes et de dépenses, en vue de respecter de manière exemplaire les critères européens surdéterminants." : "Pour éviter le dérapage défini par le cadre européen renforcé (alors que, y compris hors mesures budgétaires, les critères de Maastricht traditionnels sont respectés), en réponse à la nouvelle gouvernance européenne, des coupes claires uniformes (et aveugles ?) de 10 % à travers le budget sont imposées, même si elles ont pour le moment été limitées au frais de fonctionnement de l’Administration centrale." Et elle se demande : "S’agit-il là réellement d’une méthode adéquate pour conduire une politique budgétaire ? Cette méthode brutale a-t-elle d’ailleurs un quelconque sens économique, si ce n’est respecter des critères qui n’en ont guère plus ?"

Pour la CSL, "cette nouvelle gestion des finances publiques" est "dorénavant relativement mécanisée (mécanisme automatique, majorité qualifiée inversée, sanctions, viabilité à long terme)", et laisse "ainsi peu d’espace à une politique de projets."

csl-budget-140320-jean-claude-redingJean-Claude Reding, le président de la CSL, a estimé que cette absence de projets "risque d’étouffer la reprise". Il aurait fallu définir d’abord les grands axes de la réforme budgétaire que l’on s’apprête à entreprendre. Il aurait fallu mener un débat à la Chambre en amont, consulter les chambres professionnelles. Rien de cela n’a eu lieu. Au lieu de cela, on a chargé l’agence McKinsey de prendre en charge une partie du travail, sans marché public. Et il a  ajouté : "Je ne sais pas si les fonctionnaires d’Etat sont aussi médiocres pour remplir leurs tâches de monter un budget. Il s’agit là d’une rupture de confiance envers ces fonctionnaires et ce n’est pas le meilleur style de travail."

"Des budgets nationaux sous intense pression européenne"

"Deux accents marquent la politique budgétaire en 2014 : Europe et responsabilité", écrit la CSL dans ses conclusions. Il s’agissait de "répondre positivement aux observations et recommandations de la Commission européenne formulées en novembre 2013 par rapport au projet de plan budgétaire." Pour éviter la pressions des pairs, "le seul principe directeur qui vaille dorénavant en matière de politique budgétaire nationale est bien la conformité à tout prix aux prescriptions, indications, règles et injonctions européennes", estime la CSL.

Le projet de budget 2014 est selon la CSL "hautement illustratif de ce que les contraintes légales européennes risqueront d’engendrer."  Elle cite "la réduction systématique et forcenée des dépenses publiques" sous le coup de la nouvelle norme de croissance des dépenses ajustées, et ce "pour respecter des critères (structurels et potentiels) qui sont pourtant très peu fiables". Il s’agit d’une approche "purement comptable" de la chose budgétaire, qui est "certes très 'business friendly'", mais ne constitue pas "une méthode saine, ouverte et respectueuse du dialogue social". Le fait que les bourses d’études ont été autant touchées "parle de lui-même".

Pour la CSL, "la dépense publique rend la société efficace parce qu’elle permet de stabiliser les revenus, de développer les infrastructures, d’assurer le fonctionnement des institutions ou encore de former et de soigner la population." Et elle rajoute : "Même les dépenses de consommation intermédiaire des administrations (frais de fonctionnement), qui relèvent de la demande intérieure, exercent un effet certain sur le dynamisme économique et la croissance." Puis elle met en garde : "Il faut éviter que la prochaine étape ne soit pas la réduction de la dépense sociale par le biais de la sélectivité des transferts sociaux." Car pour la CSL, les dépenses de prestations sociales répondent "à une nécessité sociale permettant de diffuser le haut niveau de vie luxembourgeois auprès de l’ensemble de la population et des ménages, familles, actifs et non actifs" et "sont indissociables des bons résultats économiques du Luxembourg ". Et de citer le STATEC qui vient d’établir que "les prestations sociales bénéficient bien plus aux ménages modestes qu’aux ménages aisés."

La CSL invite donc le gouvernement "à prendre clairement et honnêtement position sur les orientations qu’il souhaite donner à la politique sociale au cours de la législature actuelle." "Va-t-il sacrifier la politique et la cohésion sociale au nom des sacro-saints critères budgétaires européens" ou entend-il au contraire les défendre ?"

La CSL "recommande également au gouvernement de mener une analyse critique des recommandations européennes et de ne pas les accepter benoîtement", comme l’a fait fin février 2014 la CSL elle-même sur les indicateurs dans le cadre du mécanisme d’alerte sur les déséquilibres macroéconomiques. Le Luxembourg faisait partie pour la première fois de ces pays, car un certain nombre d’indicateurs étaient supérieurs à leurs seuils indicatifs, à savoir: l’excédent du compte courant, les coûts salariaux unitaires, la dette du secteur privé et les pertes de parts de marché à l’exportation. La Chambre des salariés a donc passé au crible ces indicateurs et conclu qu’ils n’étaient pas très pertinents pour analyser la situation de l’économie luxembourgeoise. Et Jean-Claude Reding avait mis en évidence que derrière les questions méthodologiques se cachent des choix politiques.

Dans l’avis sur le projet de budget, la CSL appelle le gouvernement à "s’engager, par tous les moyens encore à disposition, contre toute tentative européenne de malmener la cohésion sociale par le truchement budgétaire ou encore par le biais du système de fixation des salaires." Et elle conclut sur ce chapitre : "Par exemple, des indicateurs entachés de nombreux problèmes méthodologiques, la montée de la pauvreté et des inégalités en Europe et au Luxembourg, un chômage inégalé, sont autant d’arguments et de pistes qui doivent permettre de canaliser ou, mieux, d’inverser la pression européenne sur les budgets nationaux qu’elle exerce par ses critères comptables en faveur du moins d’État, ou de moins d’impôts, dans l’économie et de davantage de marché et de libre entreprise dans les secteurs que la main publique domine."

La CSL souhaite plus de "transparence budgétaire"

Une des critiques de la CSL est le manque de transparence du projet de budget, qui ne mentionne pas la hausse de la TVA prévue pour 2014 déjà et ses conséquences, ou qui ne détaille pas "les investissements réellement touchés par l’annonce de la baisse de volume". Les  critères budgétaires européens "devraient également faire dorénavant partie intégrante des notifications des comptes budgétaires nationaux". Et de réitérer l’absence de mention des soldes structurels des années 2013 et 2014, "alors que celui-ci est devenu, de par le Pacte de stabilité renforcé et par le Pacte budgétaire dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le critère budgétaire central étroitement surveillé par les autorités européennes."

Le semestre européen 

Une revendication claire de la CSL concerne le semestre européen : "Dans le cadre du semestre européen, la CSL invite le gouvernement à ouvrir en début de chaque année un débat public et politique sur la situation macroéconomique, sur l’emploi et les évolutions sociales afin d’expliciter et, le cas échéant, d’enrichir la ligne politique qui sera défendue par les autorités luxembourgeoises à Bruxelles. De même, la procédure, les orientations budgétaires et la réforme de la loi budgétaire doivent pouvoir être préalablement discutées dans le cadre d’un débat public avec les organismes et associations représentatifs de la société civile."

Au cours de la conférence, Jean-Claude Reding a précisé la manière dont il envisageait un tel dialogue structurel qui se déroulerait en trois étapes.

En fin d’année, le gouvernement et les acteurs de la vie sociale et économique devraient scruter ensemble l’examen annuel de croissance, le rapport sur les déséquilibres macroéconomiques, mais aussi le rapport sur l’emploi de la Commission. Si la Commission devait constater un déséquilibre macroéconomique, il faudrait lui répondre, non sans soumettre ses indicateurs à une analyse critique.

La deuxième étape serait, en mars ou avril de l’année suivante, avant la déclaration sur l’état de la nation, une consultation sur l’élaboration du programme national de réformes et le programme de stabilité, qui développera les grands axes du budget de l’année suivante qui devront être à ce moment soumis à la Commission pour avis. Ici, il faut s’impliquer pour disposer de marges de manœuvre, puisque ce projet est soumis à une décision du Conseil et de la Commission, et qu’il faut "se dégager du carcan européen et arriver à plus de souplesse et de compréhension pour des objectifs sociaux." Or, ces objectifs économiques et sociaux n’ont pas été formulés dans le projet de budget qui sera finalement avisé par la Commission avec les retards dus au changement de gouvernement.

Après les recommandations de la Commission en mai-juin, une dernière consultation devrait avoir lieu pour peaufiner le projet de budget.