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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Pour Amnesty International, "les États européens ne font pas barrage à la discrimination, à l’intimidation et aux violences envers les Roms, et parfois même les favorisent"
08-04-2014


ai-romsLe 8 avril 2014, à l’occasion de la Journée internationale des Roms, Amnesty International a publié un rapport de 42 pages, intitulé "Nous réclamons justice", à la lumière duquel elle déplore que "les États européens ne fassent pas barrage à la discrimination, à l’intimidation et aux violences envers les Roms, et parfois même les favorisent".

Alors qu’entre 10 et 12 millions de Roms vivent aujourd’hui en Europe, beaucoup d’entre eux sont "sous la menace quotidienne d’une expulsion forcée, du harcèlement de la police et d'agressions violentes", constate Amnesty. "La discrimination, les expulsions forcées, la ségrégation et l’éducation de qualité inférieure sont la norme dans de nombreux pays."

Cette situation ne devrait pas être une fatalité, selon Amnesty. Il revient aux Etats et à l’UE d’y pallier. Or, ils seraient défaillants en la matière. "Les conditions dans lesquelles de nombreux Roms sont contraints de vivre constituent un réquisitoire accablant contre la négligence et la discrimination dont font preuve les autorités à leur égard depuis des années. Cependant, loin de reconnaître que cette situation résulte du manque de protection qu'ils accordent aux droits fondamentaux des Roms, certains dirigeants européens préfèrent en rejeter la responsabilité sur les Roms eux-mêmes, les accusant de 'ne pas s'intégrer'." Ainsi, trop souvent, les autorités "se complaisent dans les préjugés qui alimentent la violence contre les Roms en qualifiant ces derniers d'antisociaux et d'indésirables".

Amnesty International cite à cet égard plusieurs exemples de déclarations pernicieuses de la part de responsables politiques aux affaires. Il cite notamment, le cas hongrois, survenu en mai 2013, du quotidien Magyar Hirlap, qui a reçu une amende de l'autorité hongroise de contrôle des médias pour avoir publié une tribune de Zsolt Bayer, journaliste et co-fondateur du parti au pouvoir en Hongrie, le FIDESZ, dans laquelle ce dernier qualifiait les Roms d'"animaux", "indignes de vivre parmi les êtres humains". "La FIDESZ n'a critiqué que très mollement cette déclaration", souligne Amnesty.

Amnesty International épingle également la commissaire européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, Viviane Reding, au rang des responsables politiques qui ont déjà laissé entendre dans leurs déclarations que les Roms étaient en partie responsables de leur propre exclusion. Ainsi, le 16 janvier 2014, Viviane Reding, a déclaré : "Beaucoup de Roms vivent dans une grande pauvreté, […] ils quittent leurs pays d'origine parce qu'ils n'y ont pas d'avenir. […] Les États membres doivent s'engager [à résoudre ces problèmes], mais les populations roms doivent aussi avoir la volonté de s'intégrer et d'avoir un mode de vie normal", selon les propos cités dans le rapport.

Les cas de la République tchèque, de la France et de la Grèce

Le rapport Amnesty International passe en revue les actes de violence et de harcèlement infligés aux Roms par des représentants de l’État et de simples citoyens dans trois Etats membres, à savoir la République tchèque, la France et la Grèce, tout en soulignant bien que ses préoccupations concernent toute l’Europe. "En maintes occasions, les organes chargés de faire respecter la loi n’ont pas empêché les attaques racistes ni garanti que les crimes de haine fassent l’objet d’investigations et que leurs auteurs présumés soient traduits en justice. Le fait que les comportements racistes soient bien ancrés au sein de nombreuses forces de police est plus souvent nié que pris en considération", a déclaré à ce sujet John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

En République tchèque, durant l’été et de l’automne 2013, des groupes tchèques d’extrême-droite, tels le Parti ouvrier pour la justice sociale (DSSS),  ont organisé une série de manifestations contre les Roms dans des dizaines de villes à travers le pays. Elles furent l’occasion d’un "harcèlement systématique envers les communautés roms", dit Amnesty International. Et "beaucoup de communautés roms vivent dans la hantise d'une reprise de ces manifestations avec le retour des beaux jours en 2014". Or, il n’y a pas eu de condamnation politique de ces actions : "Malgré l'ampleur et la gravité de ces manifestations, la réaction du gouvernement central est restée ambivalente." De même, la recherche du caractère discriminatoire des crimes dans le cadre des enquêtes reste un problème.

Le harcèlement policier, la violence et l’impunité règnent également en France selon Amnesty. "Les préjugés négatifs restent profondément ancrés dans la société", dit-elle, en soulignant la responsabilité de déclarations d’hommes politiques telles celles du nouveau Premier ministre français, Manuel Valls, qui, en tant que ministre de l’Intérieur, avait  déclaré que les Roms "ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres" et que "cela veut bien dire que les Roms ont vocation à retourner en Roumanie ou en Bulgarie".

Les 20 000 Roms installés en France n’ont que rarement accès aux services élémentaires, tels que l’eau et les installations sanitaires, lit-on encore dans le rapport, et ils sont "souvent expulsés de force de leurs abris, harcelés par la police ou d’autres citoyens, voire agressés".

Selon les recherches d’Amnesty International, "le manque de garanties spécifiques contre les expulsions forcées dans le droit français se traduisait par des violations des normes internationales relatives aux droits humains concernant les expulsions forcées et le droit au logement" tandis que "la police n'a mis en place aucun mécanisme spécifique, ni établi aucune ligne directrice interne, visant à identifier les éventuels mobiles discriminatoires qui peuvent être à l'origine de ces agressions".

En Grèce, les 250 000 à 350 000 Roms qui y vivent sont "la cible de traitements discriminatoires depuis des générations". Beaucoup sont installés dans des campements sauvages et supportent des conditions difficiles. "Les expulsions forcées sont fréquentes et dans bien des cas aucune solution de relogement n'est proposée aux personnes concernées, ou bien celles-ci sont réinstallées dans des endroits isolés ou inadéquats", dit encore Amnesty.

Les Roms en Grèce sont "en butte à une profonde discrimination dans tous les domaines de leur vie". Au cours des quatre dernières années, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu trois décisions ordonnant qu'il soit mis un terme à la ségrégation des élèves roms dans les écoles d'Asprópyrgos et de Sofades, rappelle l’ONG. 

Par ailleurs, l'organisation dénonce "des cas où des agents n'interviennent pas pour stopper des attaques motivées par la haine raciale alors qu’ils sont présents sur les lieux, interpellent des victimes en situation irrégulière plutôt que les auteurs de crimes de haine, ne protègent pas les personnes contre des attaques de groupes d'extrême droite, découragent les victimes de déposer plainte et n'enquêtent pas, ou pas véritablement, sur les plaintes", tandis que, "dans de nombreux cas les policiers eux-mêmes se rendent coupables de crimes inspirés par la haine". Pas moins de 1 131 opérations de police ont été menées dans des camps roms du pays durant les neuf premiers mois de 2013, selon les chiffres de la police grecque, ce qui constitue, des opérations "discriminatoires", "donnant lieu à des arrestations et des privations de liberté arbitraires", ajoute l’ONG.

Les moyens des Etats membres

Amnesty International estime que les États devraient veiller à ce que "toutes les formes de crimes inspirés par la haine soient interdites par la loi". Elle souligne l’importance que "les autorités et les dirigeants politiques reconnaissent et condamnent publiquement les crimes inspirés par la haine" : "C'est indispensable pour combattre la discrimination et les messages destructeurs que ces crimes envoient aux personnes, aux groupes et à la société, ainsi que pour donner aux populations visées confiance en la capacité et la volonté de l'État de protéger leurs droits", dit-elle.

Ainsi, il y a lieu de rechercher le caractère racial des crimes, insiste Amnesty, en rappelant que la Cour européenne des droits de l'homme a déjà conclu à plusieurs reprises que "l'absence d'enquête approfondie sur le mobile raciste présumé d'un crime était une violation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales".

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme de 2013, dans l'affaire Vona contre Hongrie, un État devait protéger le droit de vivre sans subir d'intimidation, en particulier lorsque les membres d'un groupe ont été "visés pour des motifs raciaux et ont fait l’objet d’intimidation […] [provoquée par] la présence physique d’un groupe menaçant d’activistes organisés", rappelle le rapport.

Le rôle de l’UE

La publication de ce rapport est intervenue  quatre jours après la tenue du 3e sommet européen sur les Roms, dans le cadre de l’évaluation par la Commission européenne de l'état d'avancement de la mise en œuvre des stratégies nationales d’intégration des Roms en 2014. Le 4 avril 2014, dans une conférence de presse consacrée à ce rendez-vous, la commissaire européenne en charge de la Justice, Viviane Reding, avait souligné que "le combat pour faire respecter les droits des Roms dans l'UE a été difficile" et reconnu que "beaucoup reste à faire pour intégrer ces communautés".

Quatre ans ont passé depuis la crise de 2010, et l'intégration des communautés Roms s'est imposée comme une priorité pour tous les gouvernements de l'UE. Ils se sont engagés sur des stratégies nationales pour aider la scolarisation des Roms, leur donner des emplois et leur faciliter l'accès aux soins de santé et aux logements, avait dit Viviane Reding, selon l’AFP. "Il faut que ces stratégies ne restent pas sur le papier et, pour cela, il faut de la détermination politique", avait-elle poursuivi. "Si quelques miracles ont été enregistrés, beaucoup de problèmes demeurent et ils sont loin d'être résolus."

Pour Amnesty International, l’UE a eu le tort jusqu’alors d’"hésiter à remettre en cause ses États membres au sujet de la discrimination systémique et criante dont sont victimes les Roms". Elle a pourtant plusieurs moyens législatifs de réagir, que ce soit contre la violence ou contre les discriminations.

La Commission européenne pourrait théoriquement prendre des mesures sévères, par la procédure d’infraction, quand les gouvernements n'appliquent pas correctement le droit européen en matière de prévention et de sanction de la discrimination à l'égard des personnes et des communautés roms et notamment la directive sur l’égalité raciale, adoptée en 2000 et destinée à combattre la discrimination raciale dans tous les domaines, notamment l'emploi, l’éducation et l’accès aux biens et services. Amnesty affirme que, "selon cette directive, les États doivent éviter d'expulser de force des communautés roms" et "mettre un terme à la ségrégation des enfants roms dans les écoles", pratiquée encore en Grèce, Hongrie, République tchèque et Slovaquie.

Par ailleurs, en 2008, le Conseil de l'Union européenne a adopté une décision-cadre (2008/913/JAI) sur la lutte contre le racisme et la xénophobie au moyen du droit pénal, dont l’article 4 dit que les États membres doivent "faire en sorte que la motivation raciste et xénophobe soit considérée comme une circonstance aggravante ou, à défaut, que cette motivation puisse être prise en considération par la justice pour la détermination des peines". Malgré cela, il n’y a pas encore d’enquêtes approfondies sur les crimes de haine présumés. Amnesty International demande ainsi à ce que cette décision soit revue et à ce que sa nouvelle version "interdise tous les crimes à caractère discriminatoire, quel que soit le motif de discrimination" et impose aux États "d'enquêter systématiquement sur le mobile discriminatoire présumé d'un crime".

"Comme le montre ce rapport, il est plus urgent que jamais que la Commission européenne et les États membres fassent preuve de la volonté politique nécessaire pour traduire en actes les engagements législatifs", estime Amnesty.