Le 15 novembre 2012, l'Association européenne des droits de l'homme (AEDH) a présenté à la presse luxembourgeoise son rapport sur la situation des Roms en Europe. Cette synthèse, intitulée "Les Roms en Europe au 21e siècle : violences, exclusions, précarité", dresse un rude constat sur la situation de la plus grande minorité transnationale d'Europe – dix à douze millions de personnes – dans les Etats membres de l'UE et d'autres pays européens (dont la Croatie, Suisse, Norvège et la Serbie). Le rapport a déjà été discuté avec le cabinet de la commissaire européenne chargée de la Justice, Viviane Reding. Il fera l'objet d'un échange avec des eurodéputés à Bruxelles le 4 décembre 2012.
Membre du comité directeur de l'AEDH, Philippe Goossens a commencé par pointer les manquements de la Commission européenne dans son projet-cadre de stratégies nationales d'intégration des Roms, à savoir l'absence de moyens pour les mettre en œuvre et de sanctions pour les contrevenants mais surtout le caractère de mesures qui se limitent aux droits économiques et sociaux "sans prendre en compte les violences vécues par les Roms". Ainsi, "l'AEDH veut attirer l'attention sur le fait que c'est l'ensemble des violences et discriminations que l'on doit prendre en compte si on veut améliorer leur sort".
Le rapport, présenté comme "éloquent, dramatique, violent" par Philippe Goossens lui-même, dresse donc un portrait qui prend en compte les discriminations "multiformes et permanentes qui existent dans tous les pays européens", à des degrés toutefois différents. Ces pays partagent le point commun de mettre des "moyens faibles et timorés" pour réagir. Pourtant, "l'urgence de la situation devrait mobiliser des moyens au moins égaux à ceux employés lors d'une catastrophe humanitaire", poursuit Philippe Goossens, qui explique que Médecins du monde déploient pour soutenir les Roms de la région parisienne des moyens égaux à ceux qu'ils avaient employés lors de la catastrophe humanitaire du Darfour…
Le rapport énumère donc les exemples "les plus marquants" recensés par les relais locaux de l'AEDH dans chacun des pays étudiés. Ils sont répertoriés en trois chapitres : les violences d'Etat, les violences et crimes commis par des particuliers ou des groupes de personnes et la violation des droits économiques et sociaux.
Les violences d'Etat sont exercées par des organismes d'Etat, des autorités politiques et policières. "Les Etats ne respectent pas leurs propres lois ni le droit européen", tonne Philippe Goossens, en citant les expulsions violentes, la destruction de biens personnels, les privations de liberté, l'incitation au racisme, la stérilisation illégale de femmes ou encore la ségrégation dans les espaces publics notamment les écoles, dont les exemples sont listés dans le rapport.
"Tous ces faits sont perpétrés par des autorités ou des organismes d'Etat qui, à force de les tolérer, créent un climat d'impunité et de racisme qui entraîne des violences physiques commises par des personnes non-roms vis-à-vis des Roms." L'antitsiganisme suivrait la même progression que celle des partis populistes en Europe.
Cela expliquerait les faits de violence commis par des citoyens évoqués dans le deuxième chapitre. Le laisser-faire des Etats génère "le racisme ordinaire", clame encore Philippe Goossens qui pointe par ailleurs l'importante responsabilité des médias par leur traitement de l'information. "Les réflexions dans les médias se traduisent par des comportements des citoyens." Ainsi sont recensées "des manifestations anti-Roms, des attaques racistes et même des meurtres" – observées notamment en Italie, en France et en Hongrie. "Les coupables sont rarement poursuivis et quand ils le sont, c'est de manière très prudente", explique Philippe Goossens en soulignant que l'AEDH imagine que de nombreux faits ne font pas l'objet de plaintes de la part des Roms, "par peur des représailles".
Au troisième et dernier chapitre, concernant la violation des droits économiques et sociaux, "qu'on voit peut-être le plus mais qui est la conséquence des deux premiers volets", l'AEDH observe notamment la difficulté de scolariser les enfants ou encore la moyenne d'âge de 15 années plus faibles que la moyenne européenne en raison des "conditions de vie très précaires".
Après ce rapide résumé, Philippe Goossens a expliqué que les Etats membres et l'Union européenne, se renvoient sans cesse les responsabilités vis-à-vis de la situation des Roms. "Je n'aurai pas de mots assez durs pour condamner les institutions européennes pour leurs manquements quand il s'agit de faire respecter les traités dont ils ont la garde". Il aura d'ailleurs déclaré plus tard lors des questions-réponses avec les journalistes : "En Europe, on abat des murs pour les riches et on les construit pour les pauvres. (…) On empêche la libre circulation de la pauvreté".
Toutefois, cette situation dépasse largement la simple question de compétences. Elle révèle selon Philippe Goossens "la faiblesse et la fragilité de nos démocraties". Ainsi : "Défendre les Roms, c'est aussi défendre les droits de tous les citoyens européens." Et, la crise économique, partie pour durer, "va réveiller des discours xénophobes" qui viseront "le maillon faible", à savoir la population rom qui "va être le coupable désigné". Or, l'histoire enseigne que "les dérives nationales racistes dégénèrent en guerre en Europe"."Ce problème révélé par la population rom nous indique que nous nous dirigeons vers une situation de crise beaucoup plus grave que celle que nous pouvons aujourd'hui constater", dit-il.
Secrétaire de la Ligue des droits de l'Homme luxembourgeoise mais aussi président de l'AEDH, Serge Kollwelter a plus particulièrement évoqué à l’attitude du Luxembourg vis-à-vis des Roms, lesquels sont principalement représentés par les demandeurs d'asile venant de Serbie et Macédoine. Or, l'afflux de demandeurs d'asile en provenance de ces régions a fait l'objet de décisions et déclarations politiques très mal vues par l'AEDH."La caractérisation irresponsable du ministre de l'Immigration, qui les a qualifiés de 'touristes de l'asile', a permis de rompre tout un tas de digues. La manière dont on se défoule sur les Roms sur les réseaux sociaux est, à ce sujet, éloquente", a déploré Serge Kollwelter. "Si le ministre appelle cela 'tourisme social', c'est qu'il n'a jamais mis les pieds dans un quartier rom en Serbie", a également dit celui qui avait emmené une équipe de RTL faire un reportage sur place.
Serge Kollwelter souligne dans ce contexte la réponse apportée par le musée de la Résistance qui a organisé une exposition sur les Roms, effort de connaissance de l'autre à travers lequel l'AEDH voit le moyen de rapprocher les populations.
La sortie du ministre de l'Immigration est l'une des dix mentions du Luxembourg qui figure dans le rapport. La mention du reportage didactique de RTL est la seule à être positive. Elle est mentionnée pour mettre en avant le bon travail de la presse luxembourgeoise sur la situation des Roms. Par ailleurs, le Luxembourg est entre autres mentionné : pour avoir fait adopter le règlement grand-ducal du 8 juin 2012 fixant les conditions et les modalités d'octroi d'une aide sociale aux demandeurs de protection internationale, réduisant son montant de 105 à 25 euros, pour limiter l'afflux de demandeurs d'asile ; pour le déchirement d'une carte d'identité d'un individu rom lors d'un contrôle par la police en avril 2009 ; parce que "des Roms ont été battus et soumis à des fouilles corporelles intégrales par des policiers luxembourgeois" lors d'une garde à vue en 2010 ; en raison d'une manifestation d'habitants de Pétange contre l'hébergement de Roms dans leur ville en novembre 2011 ou parce que les adresses de camping ne sont pas acceptés comme adresse de résidence par les administrations communales.
Interrogé par une journaliste radio à ce sujet, Philippe Goossens range le Luxembourg dans le groupe des pays d'Europe de l'Ouest dans lesquels les Roms "sont mal accueillis et rejetés", y compris par les tsiganes locaux qui les voit "comme une menace par leurs congénères". Il figure ainsi aux côtés de l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la France et la Belgique, pays d'Europe de l'Ouest qui ont vu arriver le plus grand nombre de migrants roms issus du premier groupe de pays.
Ce premier groupe est formé par les pays d'Europe orientale, où la population rom constitue plus de 5 % de la population, selon les chiffres du Conseil de l'Europe. "A l’époque communiste, la situation était aussi mauvaise pour les Roms que pour les autres. Après, le régime s'est amélioré pour les autres mais pas pour les Roms. Le fossé ne fait d'ailleurs depuis lors que s'approfondir. Leur appauvrissement et les discriminations sont les "raisons fondamentales des migrations", dit Philippe Goossens. Or, rappelle Serge Kollwelter, si les migrations ne sont pas intervenues avant la levée des visas, ce n'est pas que le problème n'existait pas mais qu'il fallait débourser mille euros auprès d'un passeur pour y parvenir. Dans ce contexte, Serge Kollwelter fait part de ses doutes sur le bon sens administratif qui voudrait que les raisons économiques de la demande d'asile ne soient pas considérées comme les raisons politiques. "Dans les deux cas, les personnes pensent que leur situation est invivable", dit-il.
Le troisième groupe de pays se compose des pays nordiques où sont menées des tentatives d'insertion " timorées et fragiles", notamment en Finlande et en Suède. Fragiles elles sont car "dès que ces tentatives sont un peu connues, elles attirent des nouvelles vagues de migrants et s'arrêtent. Elles restent des tentatives."
"On ne peut pas accepter ce jeu du bon et du méchant", clame Claude Weber, président de la Ligue luxembourgeoise des droits de l'homme, qui reproche aussi au ministre d'Etat luxembourgeois son silence. "Il y a un risque d'instrumentalisation des Roms", dit-il avant d'avancer une explication : "Quand un gouvernement nous dit qu'il nous protège des Roms, il n'a pas besoin d'augmenter le salaire social minimum. On parle aussi des Roms pour ne pas parler d'autres problèmes dans la société."
"On se demande si une société malade n'a pas toujours besoin d'un groupe repoussoir comme les Roms aujourd'hui. Avant la guerre, c'était les juifs. Ailleurs, c'est les Arabes, c'est les musulmans, c'est les Noirs", a déclaré également Claude Weber. Face à "un regard malade qui cherche son salut dans la misère des autres", "nous avons intérêt à soigner cette maladie avant qu'elle nous détruise".
Philippe Goossens estime qu'il y a un travail de déconstruction des préjugés sur les Roms à mener. On les dit nomades ? "90 % sont sédentaires et la moitié des 10 % de nomades sont des 'gens du voyage' installés en France". Ils volent ? "Placez 150 Luxembourgeois bon chic bon genre sur un terrain boueux et sans revenu, ne vont-ils pas essayer de survivre ? C'est une pratique de survie. Il n'y a ni trafic de drogue ni trafic d'armes dans les camps de Roms." Ils font augmenter de la délinquance ? "La police dit que l'environnement des camps de Roms sont sûrs car ils font eux-mêmes la police." Ils ne travaillent pas ? "Les mesures européennes les empêchent de travailler." Ainsi, ils doivent détenir une autorisation de travail pour travailler, sans quoi ils ne peuvent rester que trois mois sur le territoire au nom de la liberté de circulation. A cela s'ajoutent leurs problèmes de formation, conséquence des discriminations locales vécues dans leur pays d'origine et le pays d'accueil. En France, sur 2500 enfants roms, seuls 400 sont inscrits à l'école et 20 la fréquentent réellement.