Le 28 mars 2014, la Commission européenne a publié une communication sur la politique de l’UE en matière de retour, eu égard à son obligation de présenter un rapport au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre de la directive Retour, adoptée en 2008 et entrée en vigueur dans les Etats membres en 2011. Sa communication contient également le rapport sur le contrôle des opérations de retour coordonnées par l’agence Frontex, auquel elle s’est politiquement engagée lors de la modification du règlement Frontex en 2011.
Dans son communiqué de presse, la Commission européenne souligne que la politique de retour des personnes en séjour irrégulier est un "instrument important dans la lutte contre l'immigration clandestine", à côté d’autres moyens que sont la gestion efficace des frontières, des sanctions efficaces à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ainsi que la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains. Le retour est "essentiel pour la crédibilité de la politique de l'Union européenne en matière de migration légale et d’asile", dit-elle encore.
La communication fait d’abord état des progrès accomplis depuis l’adoption de la directive "retour" en 2008, qui a fixé des règles communes "claires, transparentes et équitables", selon la Commission, en ce qui concerne le recours à des mesures coercitives, à la rétention et aux interdictions de réadmission.
Si le nombre d’arrestations de migrants en situation irrégulière dans l’UE a diminué chaque année depuis 2008, pour atteindre le nombre de 440 000 en 2012, soit une baisse cumulée atteignant près de 30 % sur la partie, ce n’est qu’en partie l’effet de la directive. "Un certain nombre de facteurs, tels que l’amélioration des contrôles aux frontières extérieures, la crise économique en Europe et l'amélioration de la situation économique dans certains pays d’origine importants, ont contribué à ce changement", souligne la Commission européenne.
Par ailleurs, les chiffres révèlent un écart considérable entre les personnes qui se sont vu notifier une décision de retour (environ 484 000 en 2012, 491 000 en 2011 et 540 000 en 2010) et celles qui, par conséquent, ont quitté l’UE (environ 178 000 en 2012, 167 000 en 2011 et 199 000 en 2010). Les principaux motifs de non-retour ont trait à des problèmes d’ordre pratique liés à l’identification des rapatriés et à l'obtention des documents nécessaires auprès des autorités des pays tiers, note la Commission européenne. Ainsi, "le renforcement de la coopération avec les pays tiers constitue un élément essentiel pour l’amélioration de l’efficacité des procédures de retour", dit la Commission européenne.
Le Fonds pour le retour, doté de 674 millions d’euros pour 2008-2013 et qui sera remplacé par le futur Fonds "Asile, migration et intégration", prévoyait un mécanisme de soutien financier, qui a permis l'attribution de crédits considérables de l’UE aux États membres afin de les aider à faire face aux difficultés auxquelles ils étaient confrontés dans le domaine de la gestion des retours. L’UE a également soutenu le renforcement des capacités dans des pays non européens pour plusieurs aspects de la gestion des retours, y compris l’intégration des personnes faisant l'objet d'une mesure de retour.
Le Système d’information sur les visas (VIS) s’est révélé être "un instrument utile pour donner plein effet à l’aspect européen des interdictions d’entrée imposées au titre de la directive sur le retour", ajoute-t-elle. Au cours de la période 2008-2013, une moyenne de quelque 700 000 interdictions d’entrée dans l'espace Schengen y ont été enregistrées. Le système est utile à l’identification des personnes. Toutefois, pour les cas d’identification qui ne peuvent pas être ainsi résolues, "de nouvelles solutions innovantes doivent être trouvées, qui reposent sur un renforcement de la coopération avec les pays tiers et respectent pleinement les droits fondamentaux", dit la Commission européenne.
Le rapport entre le départ volontaire et le retour forcé (selon les données de 2013 de l'analyse des risques annuelle réalisée par l’agence Frontex) dans l’UE était d’environ 44 pour 56 en 2012. "Une promotion accrue des départs volontaires restera l'un des principaux objectifs généraux de la politique de l’UE en matière de retour", prévient la Commission qui souligne par ailleurs que le Fonds "Asile, migration et intégration" se concentrera sur des mesures visant à encourager le départ volontaire, "tout en veillant à ce que les incitants au retour volontaire ne créent pas un effet d’attraction non voulu".
Enfin, entre 2006 et décembre 2013, l'agence Frontex a coordonné 209 opérations de retour conjointes, lors desquelles 10 855 personnes ont été renvoyées. La moitié de toutes les opérations de retour conjointes ont fait l’objet de contrôles par des observateurs indépendants. Un code de conduite de l’agence Frontex pour les opérations de retour conjointes, mettant l’accent sur la définition de procédures efficaces de contrôle du retour forcé et sur le respect, au cours des opérations de retour, des droits fondamentaux et de la dignité des personnes faisant l'objet des mesures de retour, a été adopté le 7 octobre 2013, se réjouit par ailleurs la Commission.
La Commission européenne constate que la directive a "contribué à la convergence et, d'une manière générale, à une réduction des durées de rétention maximales dans l'ensemble de l'Union", tandis qu'"une tendance soutenue a été constatée en faveur d'une plus large mise en œuvre de solutions alternatives à la rétention dans les États membres". Ce texte a également limité les possibilités, pour les États membres, d'ériger un simple séjour irrégulier en infraction pénale, tandis que "ses garanties procédurales ont contribué à une plus grande sécurité juridique", souligne-t-elle encore dans son communiqué.
Néanmoins, il existe encore de fortes variations au niveau de l’interprétation de ce qui constitue les "intervalles raisonnables" auxquels la rétention doit faire l'objet d'un réexamen varie considérablement. Dans certains États membres, les réexamens ont lieu sur une base hebdomadaire, alors que dans d’autres, elle n’est garantie qu'à la fin de la période de rétention, relève-t-elle.
Par contre, les pratiques sont plus uniformes en ce qui concerne les motifs justifiant le placement en rétention des personnes faisant l'objet d'une mesure de retour. Dans la plupart des États membres, les principales raisons sont le risque que l'intéressé prenne la fuite et/ou celui qu'il empêche le retour.
La Commission constate aussi une "tendance soutenue" en faveur d'une mise en œuvre plus large de solutions alternatives à la rétention dans l’ensemble des États membres pris en considération. Les principales solutions alternatives retenues dans la pratique semblent comporter "l'obligation de se présenter régulièrement aux autorités" et "l'obligation d'établir un hébergement dans un lieu défini par les autorités".
Néanmoins, l’application pratique n’est pas partout une réalité. Et notamment au Luxembourg où "les restrictions liées à la résidence et la présentation périodique aux autorités" sont prévues dans la loi mais ne sont pas pratiquées. L’obligation de remettre les documents, pratiquée notamment en France et en Allemagne, n’existe pas au Luxembourg, pas plus que le dépôt d’une garantie financière, possible en Autriche et en Finlande, ni même la surveillance électronique, effective en France et au Danemark par exemple.
La Commission européenne constate que dans la mise en œuvre de la directive, des questions restent en suspens. Elles concernent les dispositions suivantes : l'effet des interdictions d’entrée à l’échelle de l’UE, la définition du risque de fuite, les critères applicables à la prolongation du délai de départ volontaire, les règles à respecter en cas d'éloignement par voie aérienne, le contrôle des retours forcés, les critères à respecter pour imposer la rétention et les conditions de rétention.
En ce qui concerne ces questions en suspens, sept États membres ont déjà modifié leur législation nationale en vue de satisfaire aux demandes formulées par la Commission. Treize États membres sont en train de le faire et six États membres se sont engagés formellement à modifier leur législation nationale dans un proche avenir, sous l'étroite surveillance de la Commission, comme l’indique le rapport.
Ainsi, par exemple, six États membres sur les onze qui n'avaient pas pleinement transposé l'article 3, paragraphe 7, et l'article 15, paragraphe 1, ont modifié leur législation afin de définir juridiquement des critères objectifs permettant d'évaluer s’il existe des raisons de penser qu’un migrant en situation irrégulière prendra la fuite. Cela permet de limiter le nombre de migrants placés en rétention, souligne la Commission européenne. Dans la majorité des États membres, l'évaluation du risque de fuite repose principalement sur le fait que les personnes faisant l'objet d'une mesure de retour "ne fournissent pas les documents requis" ou "utilisent une fausse identité", lit-on d’ailleurs dans la communication.
Quatre États membres sur les six qui n'avaient jusque-là pas autorisé les ONG et les organisations internationales à se rendre dans les centres de rétention ont modifié ou modifient actuellement leur législation. Quatre États membres sur les six qui ne l’avaient pas encore fait ont à présent révisé leurs règles relatives à l’accès à l’assistance juridique gratuite (article 13, paragraphe 4). Treize États membres sur les seize qui n’avaient pas transposé l’article 8, paragraphe 6, ont déjà adopté ou sont en train d'adopter des dispositions législatives visant à mettre en place un système de contrôle du retour forcé.
Par ailleurs, neuf États membres ont une législation non totalement conforme à l’article 16, paragraphe 1, qui impose de séparer strictement les personnes placées en rétention des prisonniers de droit commun. La moitié seulement des États membres recourt toujours à des centres de rétention spécialisés, tandis que "la pratique, des manquements ont été constatés en ce qui concerne l'hébergement séparé pour les familles dans deux États membres, l’accès aux activités de loisirs dans trois États membres et l’accès à l’éducation dans cinq États membres", précise encore la Commission européenne.
En ce qui concerne l'utilisation pratique faite de la disposition de l'article 17 prévoyant que les mineurs ne sont placés en rétention qu’en dernier ressort, les résultats de l'évaluation montrent que dix-sept États membres placent en rétention des mineurs non accompagnés et que dix-neuf États membres placent en rétention des familles avec mineurs.
Enfin, la majorité des États membres ont arrêté des dispositions législatives, sous différentes formes, érigeant en infractions pénales les "entrées et/ou séjours irréguliers", regrette la Commission. Or, plusieurs arrêts de la CJUE ont limité la capacité des États membres à maintenir en détention dans ce cadre les personnes faisant l'objet d'une mesure de retour, notamment l’arrêt dans l'affaire C-61/11 (El Dridi). Selon la jurisprudence, une réglementation nationale qui rend le seul séjour irrégulier passible d'une peine d'emprisonnement est incompatible avec la directive sur le retour. Plusieurs États membres ont récemment modifié leur législation sur la base de cette jurisprudence. La Commission suit la situation de près et a déjà lancé des procédures "EU Pilot" à l’encontre de certains États membres.
"Les conditions de rétention dans de nombreux États membres sont source de sérieuses préoccupations", a déclaré la commissaire chargée des affaires intérieures, Cecilia Malmström, dans le communiqué de presse. "Il nous faut donc poursuivre nos efforts pour conduire une politique crédible et humaine en recourant à des pratiques qui soient garantes des droits fondamentaux et de la dignité de chaque individu, quel que soit son statut migratoire."
Ainsi, la communication de la Commission européenne propose de nouveaux progrès, afin que "toutes les garanties prévues par cette directive fassent l'objet d'une mise en œuvre uniforme dans l’ensemble de l’Union et se traduisent par la généralisation de pratiques efficaces et humaines".
Au total, la Commission a recensé cinq grands domaines d’action.
Elle dit qu’elle s’attachera à assurer une mise en œuvre adaptée et efficace des règles en vigueur. La Commission entend procéder à un suivi systématique de toutes les insuffisances relevées. Elle fera usage du mécanisme d’évaluation de Schengen pour mesurer le respect des règles dans le domaine du retour et l’amélioration des opérations de contrôle du retour forcé.
Soucieuse d’encourager des pratiques plus cohérentes et compatibles avec les droits fondamentaux, la Commission adoptera, dans un an, un manuel consacré à la question du retour, qui contiendra des lignes directrices communes, des bonnes pratiques et des recommandations destinées à être utilisées par les autorités compétentes des États membres dans le cadre de l'exercice des activités liées au retour et qui serviront également de référence pour les évaluations Schengen liées au retour.
"Il traitera, entre autres, de la promotion du départ volontaire, du recours proportionné à des mesures coercitives, du contrôle du retour forcé, du report de l’éloignement, du retour des mineurs, des moyens de recours effectifs, des garanties dans l’attente du retour, des conditions de rétention humaines et dignes, de même que de la protection des personnes vulnérables", prévient la Commission européenne. Il contiendra par ailleurs des recommandations sur des pratiques d'arrestation compatibles avec les droits fondamentaux.
La Commission européenne mise également sur la promotion de solutions alternatives à la rétention. A ce sujet, le réseau européen des migrations réalisera une étude en 2014, afin de veiller à ce que les personnes non éloignables "ne soient pas privées indéfiniment de droits fondamentaux et ne risquent pas d’être de nouveau retenues illégalement".
La Commission insiste également sur la poursuite du dialogue et la coopération avec les pays tiers. Les questions portant sur le retour et la réadmission continueront d'être régulièrement examinées, de manière équilibrée, dans le cadre de dialogues de coopération avec les pays tiers. Toutefois, il faudra "redoubler les efforts" visant à renforcer les capacités dans les pays tiers, notamment pour améliorer leur capacité à fournir une assistance et une aide à la réintégration aux rapatriés. Depuis 2005, la Commission a financé plus de 40 projets dans le cadre des instruments de coopération au développement de l’UE pour un montant de plus de 70 millions d’euros, précise-t-elle.
Enfin, le cinquième domaine d’action consiste dans le renforcement du rôle de l’agence Frontex dans le domaine du retour. Il convient de donner plus de poids à la coordination assurée par l'agence dans le domaine des opérations de retour conjointes, en veillant au respect des normes communes relatives au traitement humain et digne des rapatriés. Des formations sur les questions de retour devront être organisées.