Eurostat avait annoncé le 16 janvier 2014 que le PIB de l'Union européenne allait être augmenté de 2,4 % en raison d'une nouvelle méthodologie comptable dans le cadre du SEC 2010 applicable à partir de septembre 2014 qui tiendra compte des évolutions des travaux statistiques dans ce domaine au niveau international et des évolutions dans l’économie. Cette mesure n’a rien d’anodin. Le SEC 2010 est une méthodologie harmonisée qui doit être utilisée pour le calcul des comptes nationaux des Etats membres de l’UE afin que ces comptes soient consistants, comparables, fiables et à jour. Le SEC 2010 est par ailleurs compatible avec d’autres systèmes de calcul de ces comptes au niveau international.
Les chiffres calculés dans le cadre du SEC 2010 jouent un rôle central dans la gouvernance économique de l’UE. Les politiques budgétaires menées dans le cadre de la procédure de déficit excessif sont menées sur la base du ratio entre PIB, déficit public et dette publique. Les chiffres trimestriels sur le PIB des Etats membres jouent un rôle important dans la politique monétaire de la zone euro. Ces chiffres servent aussi au calcul du revenu national brut (RNB) pour déterminer la contribution des Etats membres au budget de l’UE. Finalement, les PIB régionaux servent à déterminer l’allocation de fonds structurels.
Les dépenses en matière de R&D seront considérées comme investissement, comme formation brute de capital fixe, et plus comme dépense. Cela seul conduira à une augmentation de 1,9 % du chiffre du PIB de l’UE. Pour la Commission européenne, c’est aussi une manière de mettre en évidence l’effectivité de la stratégie Europe 2020.
Les dépenses en matière d’armement seront considérées comme un investissement, alors que jusque-là, elles sont considérées, "vu leur nature potentiellement destructive", comme « immédiatement consommées". La Commission dit à ce sujet : "Le nouveau système reconnaît de manière tout à fait réaliste leur potentiel productif pour la sécurité extérieure d’un pays sur plusieurs années." Bref, l’armement devient de la formation brute de capital fixe qui impacte le PIB de l’UE avec un + 0,1 %.
Un autre changement sera que les biens envoyés à l’extérieur pour être transformés ne se répercuteront plus dans les chiffres des exportations et importations brutes. Le SEC 2010 ne tiendra compte que des services qui activent ces exportations. Cela réduira légèrement le niveau des exportations et importations, sans pour autant affecter la balance courante des paiements.
Une nouveauté qui interpelle est le fait que les chiffres du PIB seront assortis "d’une analyse plus détaillée des systèmes de pensions". Un tableau "obligatoire" devra documenter le passif de tous ces systèmes, y compris ceux des gouvernements, que les gouvernements contribuent ou non à ces systèmes. Il s’agit ici "d’améliorer la comparabilité entre Etats".
Le SEC 2010 essaiera aussi de mieux mesurer la contribution des services d’assurances au PIB.
Dans le cadre de la ventilation de cette augmentation du PIB par un autre calcul, le Luxembourg figure parmi les pays qui verront leur PIB en hausse de 1 % à 2 %. Ces chiffres ont été estimés par le Statec à la demande d’Eurostat. Mais il ne s’agit que de premières estimations, le système n’étant pas encore complet.
La radio 100,7 a publié le 15 avril 2014 un dossier avec des interviews menéespar la journaliste Pia Oppel avec John Haas du Statec et Robert Kieffer, le président de la CNAP (Caisse nationale des pensions) dans lesquelles elle a poussé l’enquête sur le nouveau SEC 2010.
Pour John Haas, le système de calcul du PIB doit changer parce que le monde change avec les TIC et l’accélération générale. L’expert a précisé que le SEC 2010 est fondé sur un règlement européen juridiquement contraignant qui est passé par le Conseil. Le Statec a participé à 19 réunions de préparation. Pour John Haas, il s’agit néanmoins de "petites adaptations".
Le changement qui aura le plus grand impact est le calcul des dépenses des entreprises en matière de R&D. Ces dépenses étaient considérées comme une dépense intermédiaire consommée en l’espace d’un an, et n’étaient donc pas inclues comme valeur ajoutée au PIB. Or, la R&D stimule la croissance. Elles seront donc considérées comme capital avec des périodes d’amortissement. Les investissements de l’Etat dans le R&D seront également pris en compte, capitalisés et amortis, mais l’impact sera ici de moindre mesure.
Quant aux dépenses militaires qui seront considérées comme un investissement, l’on a pris d’abord en compte leur rôle de dissuasion, et elles seront désormais en partie capitalisées. John Haas a également expliqué que les infrastructures et outils militaires qui pouvaient aussi être utilisés pour des fins civiles étaient d’ores et déjà capitalisés. Ce changement n’aura pour le Luxembourg presqu’aucun impact, d’autant plus que la plupart des grandes dépenses militaires comme l’avion de transport stratégique A400M auraient déjà été capitalisées dans l’ancien système.
L’obligation de fournir "une analyse plus détaillée des systèmes de pensions" dans un tableau « obligatoire » qui devra documenter le passif de tous ces systèmes est destinée à rendre comparables des engagements des deux grands systèmes de pensions : ceux qui fonctionnent par capitalisation et ceux qui fonctionnement par répartition. La dette implicite des systèmes de pensions est visible dans les pays où domine le système par capitalisation, explique John Haas, mais elle ne l’est pas dans les pays où domine le système par répartition, comme le Luxembourg.
Pour John Haas, cette démarche n’est pas liée à l’idée qu’il faudrait inciter les Etats membres d’opter pour un système plutôt que pour un autre. Il s’agit pour lui avant tout de faire œuvre de transparence.
Robert Kieffer le suit quand il dit que d’un point de vue technique, le tableau additionnel à livrer doit contenir les droits à la pension ou promesses accumulées pour voir ce qui est couvert par les contributions, histoire de rendre comparables les Etats membres à système par répartition ou par capitalisation.
Mais, objecte-t-il, ces droits ne se matérialiseront que dans le futur, pour certains dans 80 ans seulement. "Quel taux d’intérêt faut-il prendre pour calculer cet engagement ?", demande-t-il. Car si taux d’intérêt est élevé, cette dette implicite peut représenter jusqu’à 200 % du PIB, mais si les taux sont bas, cette dette peut aller jusqu’à 1000 % du PIB. Selon le taux d’intérêt de référence pour un tel calcul, la situation du Luxembourg pourra être considérée comme catastrophique ou comme bonne. Pour Robert Kieffer, la dette implicite est certes calculable, mais elle dépend en réalité de taux d’intérêt inconnus. "On peut donc créer autour de ce dossier une atmosphère catastrophiste ou positive", pense-t-il, en ajoutant qu’il faut "également tenir compte de l’indexation des pensions à l’inflation et à l’évolution des salaires".
Pour l’expert, "cela est politique", car il y a selon lui une forte pression dans l’UE pour financer dorénavant les systèmes de pensions à travers des systèmes par capitalisation. La place financière de Luxembourg est par ailleurs très intéressée à gérer les fonds qui doivent être créés pour ces systèmes.
Robert Kieffer attire l’attention sur un fait qui est éludé dans ce débat : que les engagements et promesses des systèmes de pensions ne peuvent pas être financés avec les réserves, mais uniquement par ce que l’économie produit vraiment, car s’il n’y a pas de rendement économique, il n’y a pas de financement des pensions. Or, l’idée couramment répandue sur les systèmes de capitalisation est de faire comme s’il était possible de miser par avance sur une plus-value réelle prévisible et que le système est financé par les seules contributions. Cette idée est fausse, selon Robert Kieffer, comme est fausse l’idée que la dette implicite des systèmes par répartition serait plus élevée que celle des systèmes par capitalisation. "En vérité, nous avons des promesses que nous devrons financer sur les 80 ans à venir, et nous ne disposons pas de cet argent actuellement", pointe le président de la CNAP.
Pour lui, il s’agit aussi d’un problème de méthode. Comparer la valeur des promesses en matière de pensions qui s’étendent sur 80 ans au PIB qui mesure les valeurs ajoutées économiques sur un an est une mauvaise approche. Au cas où les promesses sur tant d’années qui gravées dans la loi ne peuvent éventuellement plus être financées, la loi sera changée et réduira de ce fait la dette implicite. La dernière réforme des pensions a procédé de cette manière et réduit les promesses de 15 %.
Un autre aspect est que les systèmes par capitalisation et par répartition diffèrent dans le sens où les firmes privées du premier système doivent constituer des réserves, puisqu’à un certain moment, elles cesseront d’exister. Les Etats par contre peuvent décider au-delà des générations vivantes pour les générations vivantes et à venir et forcer tout un chacun à contribuer pour le système de solidarité tienne la route. "Mais il ne peut pas distribuer plus que ce dont il dispose", a conclu Robert Kieffer.