Les Midis de l'Europe organisés par le Bureau d’information du Parlement européen au Luxembourg, la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg et le Mouvement européen Luxembourg avaient invité le 2 octobre 2013 à une conférence-débat sur un sujet brûlant et qui importe à la Commission : "Le système des pensions luxembourgeois: une bombe à retardement ?" Pour "jeter un regard d'experts sur un dossier particulièrement controversé", elle avait invité Robert Kieffer, Directeur de la Caisse Nationale d'assurance pension (CNAP), auteur d’un article qui a fait date en 2011 dans le mensuel Forum et aussi auteur de l’avis de la CNAP sur le projet de loi sur la réforme de l’assurance pension.
Comme l’a rappelé Georges Bingen, le chef de la Représentation de la Commission européenne devant une salle archicomble, la Commission a recommandé au Luxembourg en 2013 de réformer son système des pensions au-delà du premier effort voté à la Chambre des députés en décembre 2012. Elle se base notamment sur les résultats d'une étude de durabilité des finances publiques (Fiscal Sustainability Report, August 2012) qui identifie le Luxembourg comme un pays qui ne présente pas de risques à court terme, mais représente bel et bien des risques structurels à moyen terme et est considéré comme un pays à risque "relativement élevé" à long terme.
Dans cette étude, Le Luxembourg affiche sur le long terme un écart de viabilité de l’ordre de 9,7 % du PIB, un chiffre record dans l’UE, où la moyenne est de l’ordre de 2,7 %. La notion d’écart de viabilité qu’utilise la Commission ressort d’un indicateur qui détermine dans quelle mesure il faudrait ajuster les taxes ou les dépenses, maintenant et de manière durable, pour faire en sorte que la dette publique reste dans des limites acceptables tout au long de la période de projection. Selon la Commission, la viabilité budgétaire à long terme du Luxembourg pose problème s’il ne change pas de politique.
A plus long terme et à politique égale, la dette du Luxembourg pourrait atteindre 30,8 % du PIB en 2020 et 65,5 % en 2030. L’écart de viabilité, considéré à partir des chiffres des prévisions d’automne 2012 de la Commission et de ceux liés à l’augmentation des dépenses liées à l’âge, et plus spécifiquement au vieillissement, calculés dans le rapport sur le vieillissement du mois de mai 2012, serait généré par le coût très élevé du vieillissement à long terme, chiffré à plus de 8,5 % du PIB, en raison d’une augmentation du coût des pensions (+6,4 %), des soins de santé et des soins de longue durée (+2,1 %). Les prévisions portant sur le système de pension luxembourgeois montre que celui-ci va connaître une très forte hausse des dépenses d’ici 2060, rappelle aussi la Commission, essentiellement liée à la détérioration du ratio de dépendance entre pensionnés et contributeurs. Résultat, le défi en termes de viabilité budgétaire est "relativement haut à long terme", constatent les auteurs du rapport.
C’est pourquoi la Commission a demandé que le Luxembourg complète la réforme du système de pension votée fin 2012 par des mesures additionnelles visant à réduire les départs à la retraite anticipés et à augmenter l’âge effectif de départ à la retraite, et ce y compris en adaptant l’âge légal de départ à la retraite, qui est actuellement de 65 ans, aux évolutions du niveau d’espérance de vie.
Car si le bas taux d’endettement actuel et les actifs accumulés par le gouvernement permettent au système de pension luxembourgeois de continuer à s’ajuster de façon à réduire les risques de viabilité, ils ne constituent pas une garantie suffisante en termes de viabilité à long terme, relève la Commission. La Commission a toutefois observé que, comparé au rapport sur la viabilité budgétaire de 2009, l’écart de viabilité à long terme du Luxembourg s’était nettement réduit : il était alors de 12,5 % du PIB. C’est là le fruit d’une réduction de 4,4 % des coûts à long terme du vieillissement dont les effets ont été toutefois en partie limités en raison de la détérioration de la situation budgétaire initiale.
Le point d’interrogation avait disparu dans le slide projeté au cours de la conférence de Robert Kieffer. Pour l’intervenant, qui devait tenir la gageure de présenter un système compliqué en moins d’une demi-heure, ce qui distingue le système luxembourgeois, c’est le haut niveau des prestations, les réserves élevées du système et le rapport entre actifs et pensionnés qui est resté stable depuis 1976.
Pourtant, le système présente les plus grands risques selon l’expert.
Pour fonder son propos, Robert Kieffer a décliné "grossièrement" les paramètres du système. Il dispose de trois régimes : un système général qui concerne 93 % des cotisants, un régime spécial qui touche les cotisants de la fonction publique qui ont été engagés à partir de 1999, ce régime assimilant les droits de ces cotisants à ceux du régime général, et un régime spécial transitoire qui concerne les cotisants de la fonction publique engagés avant 1999. Rien à voir donc avec la France et ses 38 régimes spéciaux, a ironisé l’orateur.
Le plafond cotisable est élevé : cinq fois le salaire social minimum, donc plus de 9 600 euros.
Le taux de remplacement l’est aussi : entre 89 et 112 % en semi-net, notamment pour les plus faibles revenus.
La pension de survie assure toujours un taux de réversion situé entre 75 et 100 %.
Les pensions sont indexées, ce qui se justifie selon Robert Kieffer, vue l’espérance de vie des pensionnés, et elles sont en règle générale ajustées à l’évolution des salaires.
Le financement du système se fait par le système de la répartition pure, de sorte que le système ne peut payer les pensions qu’avec les fonds dont il dispose.
Le taux de cotisation total est de 24 %, les salariés, les employeurs et l’Etat payant chacun pour leur part 8 %.
Les réserves représentent trois années de versements, 24 % du PIB. Mais ces réserves ne garantissent pas que les pensions du futur soient couvertes, pense Robert Kieffer.
Par ailleurs, le patrimoine retraite brut des pensions qui correspond à la valeur viagère totale du flux de revenus perçu par les retraités est au Luxembourg de l’ordre du salaire annuel moyen multiplié par 21,1 pour les femmes et de 24,5 pour les hommes, tandis que la moyenne pour les hommes dans l’OCDE est de 9.6, et pour les femmes de 11.1 fois le salaire individuel, l’espérance de vie des femmes étant plus grande.
Malgré tout, le poids des pensions dans le PIB a diminué entre 1998 et 2009, passant de 10,9 % à 9,5 %.
Autre élément : la prime de répartition pure, qui représente le taux de cotisation nécessaire au financement des dépenses annuelles en l’absence de réserves, est restée avec 22,6 % en 1985 et 21 % encore en 2011 inférieure aux taux de cotisation de 24 % malgré trois réformes – celles de 1987, de 1991 et de 2002 – qui ont amélioré les prestations et baissé l’âge de départ à la retraite pour les personnes ayant cotisé 40 ans et qui ont conduit à une augmentation structurelle des dépenses de 33 %.
Un tel système n’est pas tenable, pense Robert Kieffer, à moins que la croissance économique que le Luxembourg a connue entre 1985 et 2008 - 4,6 % de croissance du PIB en moyenne -, le double de la moyenne de l’UE des 15, une croissance de l’emploi et donc des cotisants de 3,7 %, en fait un nombre de cotisants qui double tous les 19 ans avec ce que cela signifie en termes de nouvelles recettes – soit maintenue. Cette évolution, où le nombre des départs à la retraite a été nettement inférieur aux entrées de nouveaux cotisants a « masqué pendant 25 ans l’évolution réelle du système ». Si le pays n’avait pas connu l’envol économique avec sa place financière, s’il avait stagné, il aurait déjà dû affronter selon les calculs de Robert Kieffer une crise profonde de son système des pensions au début des années 90, à moins de payer une cotisation de 42 %.
D’où la nécessité pour Robert Kieffer de s’interroger maintenant sur la « promesse de pension », sur la contrepartie reversé aux pensionnés pour leur cotisation de 24 %. En 1982, cette promesse était de 37,5 %, mais à cette époque le système n’était financé qu’avec 4 % par partenaire social, mais tous s’étaient mis d’accord d’aller si nécessaire jusqu’à un cofinancement d’un taux de cotisation de 30 %, espérant par ailleurs que la croissance démographique aiderait à combler le fossé. Cet accord sur les 30 % n’existe plus, le patronat ayant entretemps refusé de prendre ce chemin. Aujourd’hui, la promesse de pension est selon Robert Kieffer de l’ordre de 55 % face à un taux de cotisation de 24 %.
La réforme de 2012, qui a pu selon l’expert voir le jour "grâce à la pression de Bruxelles", constitue un revirement dans la réflexion politique au Luxembourg. A court terme, il n’y avait pas d’urgence, « mais le gouvernement a ressenti la nécessité d’une réforme » qui pour la première fois n’augmente pas les prestations mais les réduit graduellement pour les nouveaux pensionnés tout en exceptant les régimes spéciaux de la réforme. Le taux de remplacement devrait baisser de 14 % d’ici 2052. La réforme freine les ajustements à l’évolution des salaires, ce qui ne sera utile, a observé Robert Kieffer, qu’à condition que les salaires augmentent, alors que les chiffres montrent que les salaires réels ont eu ces deux dernières années tendance à diminuer au Luxembourg. Mais la promesse de pensions pour 2052 est toujours de 46 % et risque d’être absorbée par l’augmentation de l’espérance de vie, à moins que l’emploi augmente de 3 % par an en moyenne. Si cela n’est pas le cas, le problème sera immense pour les jeunes actifs.
Georges Bingen est intervenu au cours de la discussion pour insister sur le fait que la Commission n’avait pas exagéré en adressant ses recommandations au Luxembourg.
Robert Kieffer a relancé l’évidence qu’un système de pensions par répartition ne peut dépenser que ce dont il dispose et qu’il ne trouvera pas de créditeur pour le renflouer. Bref, donner plus aux pensionnés, cela veut dire prélever plus chez les plus jeunes. Or, un tel système a ses limites. Relever le taux de cotisation et agir sur l’âge de départ à la retraite, mais de manière équitable à terme selon la pénibilité des métiers, afin de réduire la fourchette entre taux de cotisation et de promesse de pension st la seule manière de le faire perdurer.
Le syndicaliste René Pizzaferri est intervenu pour expliquer que l’argent de la Sécurité sociale crée de l’emploi et donc de la richesse, dans les soins de dépendance et de santé. Il a mis en garde contre des systèmes comme le système allemand qui risque de créer à terme la pauvreté des personnes âgées, la "Altersarmut", où l’OCDE et la Commission ne disent jamais rien en demandant par exemple que les pensions des plus mal lotis soient relevées, alors qu’il reviendra en fin de compte à la collectivité de payer les dégâts occasionnés par la précarité des personnes âgées.