Dans son édition datée du 9 avril 2014, la rédaction du magazine The European publie un entretien avec le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel.
Il y revient sur le feu vert donné par le Luxembourg à l’élargissement du champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne, ou encore sur la crise ukrainienne. Il est aussi question des arrangements contractuels, une proposition qu’il juge "très sensée" mais dont il veut connaître tous les détails.
Les élections européennes sont un sujet important de cet entretien. Le Premier ministre les aborde avec un sentiment mitigé en raison de la "véritable europhobie" qu’il constate, mais c’est surtout en tant que libéral que répond Xavier Bettel sur ce sujet. Et il dit avoir bon espoir que sa famille politique reste la troisième force du Parlement européen.
Le Premier ministre luxembourgeois est invité à revenir sur le feu vert donné par le Luxembourg et l’Autriche à l’élargissement du champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne lors du Conseil européen de mars, rappelant les garanties obtenues quant aux négociations que la Commission va mener avec les pays tiers comme la Suisse. Et il précise ses vues quant à la position que devrait tenir la Suisse dans ces négociations dont l’enjeu va être l’application du standard que l’OCDE est en train d’élaborer en matière d’échange automatique d’information : "Les hommes politiques suisses doivent se demander s’ils veulent voir leur pays inscrit sur les listes noires des places financières", estime Xavier Bettel.
Interrogé sur la Crimée, Xavier Bettel souligne que la politique de l’UE est de "discuter plutôt que de menacer" et il fait part de son espoir de voir la crise résolue "aussi vite et aussi pacifiquement que possible". "J’ai le sentiment que la volonté de dialoguer est là", ajoute-t-il en affirmant que "l’Ukraine n’est pas un jouet entre la Russie et l’Europe".
Lorsque le journaliste lui fait remarquer que "Vladimir Poutine voit apparemment les choses autrement", le Premier ministre explique que c’est bien pour cela que des mesures ont été prises à l’encontre des dirigeants russes. "Et nous prendrons d’autres sanctions si cette politique expansionniste se poursuit", met-il en garde tout en insistant sur le fait que le dialogue doit toutefois rester central.
Quand Max Tholl lui demande s’il juge possible une extension du conflit à la Moldavie ou à la Géorgie, Xavier Bettel répond que l’on ne peut l’exclure. "C’est d’ailleurs pourquoi nous préparons des mesures pour ce cas", explique-t-il en soulignant que "Vladimir Poutine doit comprendre que nous sommes sérieux".
Autre sujet abordé, la question des arrangements contractuels, aussi appelés instruments de convergence et de compétitivité. Selon la proposition de la Commission de mars 2013, ces accords bilatéraux par lesquels les États membres de la zone euro s’engageraient auprès de l’UE à entreprendre certaines réformes prévoiraient aussi un soutien financier pour les aider à les mettre en œuvre. Ce projet, soutenu par la chancelière allemande Angela Merkel, ne manque pas de faire débat, comme ce fut le cas en décembre 2013, à l’occasion d’un sommet Benelux, mais aussi du Conseil européen.
"Pour le moment nous ne savons pas exactement qui va payer quoi et dans quelles conditions", explique Xavier Bettel qui dit pouvoir imaginer que certains pays, qui ont dû prendre nombre de mesures impopulaires ces dernières années ne se réjouiraient pas à l'idée d’être invités à "passer à la caisse pour que d’autres pays puissent faire leurs devoirs plus facilement". Pour autant, le Premier ministre juge la proposition "très sensée". "Si nous devions mettre en place demain un nouveau plan de sauvetage pour un des pays en crise sans qu’il n’ait fait les devoirs qui lui ont été donnés, je douterais fort qu’une majorité soit trouvée dans les parlements nationaux", explique Xavier Bettel qui juge donc qu’il n’est pas erroné de réfléchir à des alternatives, pourvu qu’elles soient assez détaillées.
A l’approche des élections européennes, le Premier ministre luxembourgeois explique son sentiment mitigé au vu de "la véritable europhobie" qu’il constate. "Nous devons nous défendre de toutes nos forces contre les populistes et les clichés qu’ils propagent", affirme-t-il, craignant dans le cas contraire que le résultat des élections ne soit "pas réjouissant". Il admet dans ce contexte la part de responsabilité des hommes politiques qui utilisent l’Europe comme bouc émissaire quand les choses vont mal au niveau national. "Nous vendons simplement mal l’Europe", reconnaît Xavier Bettel qui déplore le fait que "les conquêtes sont tues tandis que les règlements sur les bananes ou les petits pots d’huile d'olive sont constamment critiqués". "C’est une perception très unidimensionnelle du projet européen et cela fait le jeu des eurosceptiques", conclut-il.
En tant que représentant du parti libéral, Xavier Bettel fait part de son espoir que l’ALDE restera la troisième force au Parlement européen à l’issue des élections car, de son point de vue, "le Parlement européen a besoin d’une fraction libérale forte pour pouvoir travailler efficacement". "Les libéraux sont souvent la clef pour trouver une majorité solide sur bien des questions", explique-t-il. Xavier Bettel estime par conséquent que son groupe politique aura de bons résultats aux élections, même s’il avoue qu’il ne serait pas surpris si ce n’est pas le cas dans certains pays, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni.
Xavier Bettel met l’accent sur la division qui marque selon lui les partis populistes que d’aucuns voient comme la future troisième force au Parlement européen. Prenant l’exemple de De Wilders et Le Pen, il souligne qu’ils n’ont en commun que "leur ressentiment contre l’UE" et il conclut en affirmant qu’une fraction populiste de droite pourrait difficilement ne pas imploser.
Pour ce qui est du S&D et du PPE, Xavier Bettel estime que leurs candidats respectifs, Martin Schulz et Jean-Claude Juncker, sont très proches idéologiquement, mais que leurs partis sont en revanche très éloignés l’un de l’autre. "Il y a des différences énormes au sein même de ces familles politiques", pointe par ailleurs Xavier Bettel en soulignant que les libéraux sont la seule fraction où les différents partis nationaux ont le plus en commun, et ce notamment en termes de valeurs. "Contrairement à d’autres partis, nous ne nous référons pas à un livre millénaire et nous n’obéissons pas à des syndicats qui ne nous lâchent pas", affirme Xavier Bettel.
Interrogé sur les déclarations récentes de Guy Verhofstadt, candidat tête de liste des libéraux qui estime qu’il n’y a pas un euro, mais 18, Xavier Bettel tempère. "C’est peut-être formulé de façon un peu outrancière", estime-t-il, expliquant qu’il n’y a qu’une seule zone euro et qu’un seul euro, mais qu’il y a des différences entre les pays de la zone euro. "Il y a des pays qui doivent entreprendre des réformes pour ne pas tirer vers le bas le reste de la zone euro", poursuit Xavier Bettel sans vouloir citer d’exemple.