L’évolution de la situation en Ukraine et le dernier développement en date, la signature d’un traité de rattachement de la péninsule ukrainienne de Crimée par le président russe, Vladimir Poutine le 18 mars 2014 a été largement abordée lors du premier jour du Conseil européen à Bruxelles le 20 mars.
Comme plusieurs d’entre eux l’avaient expliqué à leur arrivée au sommet, les chefs d’Etat et de gouvernements européens ont finalement décidé une extension de la phase deux des sanctions – qui consistait en une interdiction de visas et un gel des avoirs dans l’UE à l’encontre de 21 "responsables" Russes et Ukrainiens de Crimée. "On est dans la phase 2, on n'a pas encore épuisé toutes les possibilités qu'il y a dans cette phase et j'aimerais aujourd'hui qu'on ne parle pas déjà de la phase 3, mais qu'on épuise toutes les possibilités de la phase 2", avait notamment expliqué le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel.
Les conclusions diffusées par le Conseil européen reprennent ainsi en grande partie celles des ministres des Affaires étrangères du 17 mars et la déclaration conjointe des présidents de la Commission et du Conseil du 18 mars. Le Conseil y souligne que l’UE "reste déterminée à défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l’Ukraine" et que le "Conseil européen ne reconnaît pas le référendum illégal de Crimée, qui constitue une violation manifeste de la constitution ukrainienne. Il condamne fermement l'annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol à la Fédération de Russie et ne la reconnaîtra pas".
Soulignant l'absence de toute mesure d'apaisement de la Russie, le Conseil européen "convient d'étendre la liste des personnes devant faire l'objet d'une interdiction de visa et d'un gel des avoirs", lit-on dans les conclusions. L’annulation du prochain sommet UE-Russie est également actée par le Conseil européen qui note encore que "les États membres ne tiendront pas de sommets bilatéraux périodiques pour le moment".
Selon le président du Conseil de l’UE, Herman Van Rompuy, douze personnes supplémentaires, des officiels de haut rang, seront ajoutées à la liste qui en comptait jusqu’à présent 21. Leurs noms devraient être connus dans la journée du vendredi 21 mars.
L’annulation du sommet du G8 prévu en juin en Russie à Sotchi, qui avait plusieurs fois été évoquée, semble également entérinée par le Conseil européen et les États membres qui "soutiennent la réunion des pays du G7 qui doit se dérouler prochainement à La Haye" notent les conclusions. "Ils soutiennent également la suspension des négociations relatives à l'adhésion de la Russie à l'OCDE et à l'Agence Internationale de l’Energie", y lit-on.
Les conclusions des chefs d’Etat et de gouvernements, convaincus "que le recours à la force et à la coercition pour modifier les frontières n'a pas sa place dans l'Europe du vingt-et-unième siècle", vont cependant plus loin que celles des ministres des Affaires étrangères. Le Conseil européen demande ainsi "à la Commission d'évaluer les conséquences juridiques de l'annexion de la Crimée et de proposer des restrictions économiques, commerciales et financières en ce qui concerne la Crimée destinées à être mises en œuvre rapidement".
Pour ce qui est de l’envoi d’observateurs sur place, les Européens continuent de demander "instamment que soit trouvé rapidement un accord concernant le déploiement dans les meilleurs délais d'une mission de l'OSCE en Ukraine, afin de contribuer à stabiliser la situation. Dans ce contexte, le Conseil européen demande à la Haute Représentante d'élaborer d'urgence des plans concernant une contribution de l'UE pour faciliter le travail de la mission de l'OSCE". Et de prévenir qu’"en l'absence d'un accord dans les jours qui viennent sur une mission de l'OSCE qui soit crédible, l'UE préparera une mission de l'UE".
Le Conseil européen souligne encore dans ses conclusions que l’UE "est investie d'une responsabilité particulière en ce qui concerne la paix et la stabilité en Europe. Elle continuera de jouer un rôle de premier plan dans les efforts déployés pour faciliter et mener un véritable dialogue associant l'Ukraine et la Russie, notamment par la mise en place d'un mécanisme multilatéral, en vue de trouver une solution politique".
Reprenant les conclusions du Conseil européen extraordinaire du 6 mars qui avaient été rappelées par celles du Conseil Affaires étrangères le 17 mars, le Conseil européen rappelle que la phase trois des sanctions, qui viserait cette fois les relations économiques et commerciales avec la Russie, n’est pas écartée.
Le Conseil souligne que "toute autre initiative que prendrait la Fédération de Russie afin de déstabiliser la situation en Ukraine entraînerait […] d'autres conséquences d'une grande portée dans toute une série de domaines économiques" pour les relations entre l'UE et ses Etats membres, d'une part, et la Russie, d'autre part.
"À cet égard, le Conseil européen demande à la Commission et aux États membres de réfléchir à d'éventuelles mesures ciblées", ajoute le Conseil. De son côté, le président du Conseil de l’UE, Herman Van Rompuy, a jugé dans une déclaration datée du 20 mars que "l'ombre de sanctions avait déjà un effet sur le climat d'investissement en Russie".
Les sanctions "ne sont pas une question de représailles", a-t-il estimé, "elles sont un outil de politique étrangère. Pas un but en soi, mais un moyen pour une fin. Notre but est d'arrêter l'action de Russie contre l'Ukraine, de restaurer la souveraineté de l'Ukraine - et pour ce faire nous avons besoin d'une solution négociée".
Les conclusions des chefs d’Etat et de gouvernements européens réaffirment par ailleurs le "soutien de l’UE" aux "Ukrainiens et [à] leur droit de décider de leur propre avenir. Elle se tient aux côtés du gouvernement ukrainien dans les efforts qu'il déploie pour stabiliser l'Ukraine et engager des réformes. Dans ce contexte, l'Union européenne consentira davantage d'efforts avec la communauté internationale pour venir en aide à l'Ukraine", promettent-ils.
La signature des dispositions politiques de l'accord d'association avec l’Ukraine est confirmée par le Conseil, qui souligne que l’UE et ses États membres "sont déterminés à signer les dispositions restantes de l'accord d'association et de l'accord de libre-échange approfondi et complet, qui constituent, avec les dispositions politiques, un seul et même instrument".
Ont donc été signés le 21 mars par les Vingt-Huit le préambule de l'accord, l'article 1 sur les objectifs, le chapitre 1 sur les principes généraux, le chapitre 2 relatif au Dialogue politique et la réforme, l'association politique, la coopération et la convergence dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité ainsi que le chapitre 7 concernant les dispositions finales, générales et institutionnelles et enfin l'acte final. En revanche, les parties relatives à la justice et aux affaires intérieures, à la coopération financière et à la zone de libre-échange complet et approfondi n'ont pas été signées.
La première réunion du dialogue politique prévue au titre de l'accord "devrait se tenir en avril" selon le Conseil européen qui appelle à l’adoption rapide, par le Parlement européen et le Conseil, de la proposition de la Commission européenne visant à supprimer temporairement les droits de douane (les "mesures commerciales autonomes") sur les exportations ukrainiennes à destination de l'Union européenne.
Le Conseil européen estime en effet que "la priorité immédiate consiste à rétablir la stabilité macroéconomique en Ukraine. Il faut que le gouvernement ukrainien lance rapidement un ambitieux programme de réformes structurelles, portant notamment sur la lutte contre la corruption et le renforcement de la transparence de toutes les opérations budgétaires".
Le Conseil européen demande encore "instamment au Conseil d'arrêter rapidement une assistance macrofinancière et souligne que, pour permettre l'octroi de cette assistance, un accord avec le FMI est essentiel. Les Etats membres de l'UE conviennent de coordonner leurs positions au sein du FMI en ce qui concerne les conditions de l'assistance à l'Ukraine. Le Conseil européen salue la création d'un point de contact pour coordonner les efforts qui devraient étayer la transition structurelle en Ukraine, avec la participation de la communauté internationale et des institutions financières internationales".
Les chefs d’Etat et de gouvernements salue encore une fois la "réaction modérée dont a fait preuve jusqu'à présent l'Ukraine". Le Conseil européen note en outre "avec satisfaction que le gouvernement ukrainien est déterminé à faire en sorte que les structures gouvernementales soient représentatives et ouvertes à tous et reflètent les diversités régionales, à assurer pleinement la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, à engager une réforme constitutionnelle, à enquêter sur toutes les violations des droits de l'homme et sur tous les actes de violence, et à lutter contre l'extrémisme".
À cet égard, "l'Union européenne encourage le gouvernement ukrainien à garantir le caractère libre et équitable de l'élection présidentielle du 25 mai", précisent encore les conclusions.
L'Union européenne réaffirme qu'elle a pour objectif de renforcer encore l'association politique et l'intégration économique avec la Géorgie et la République de Moldavie.
"Nous confirmons que notre but est que les accords d'association que nous avons paraphés à Vilnius en novembre dernier, qui prévoient notamment l'instauration de zones de libre-échange approfondi et complet, soient signés au plus tard en juin 2014".
Le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a commenté la situation en Ukraine et les décisions du Conseil européen dans une interview diffusée par la radio allemande SWR2 le 21 mars. Le ministre luxembourgeois y a répété que si "le président Poutine a de facto gagné la Crimée, il a également perdu l’Ukraine politiquement".
Selon Jean Asselborn, la signature du volet politique de l’accord d’association avec l’Ukraine est "une réponse" aux "drapeaux de l'Union européenne" qui "ont flotté sur la place Maïdan" mais le ministre d’insister sur l’importance de "donner le message à l’Ukraine" qu’en plus de l'élection présidentielle, la "primauté du droit doit être soutenue" et que "des élections législatives devraient avoir lieu plus tard cette année". Jean Asselborn appelle également l’Etat ukrainien à ce que "le monopole de la sécurité" soit "contrôlé par la police" et que la "lutte contre la corruption" soit une priorité.
"L'aide financière de la communauté internationale dépendra également de la manière dont l'État de droit en Ukraine peut se développer, dans le bon sens, bien entendu", ajoute-t-il.
Pour ce qui est de l’aide financière que l’UE devrait apporter à l’Ukraine pour la "protéger d’un effondrement financier actuellement en cours", le ministre luxembourgeois confirme que des "plans" sont à l’étude. Les fonds proviendraient pour partie de l’UE mais également de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la Banque européenne pour la reconstruction (BERD) selon Jean Asselborn.
Interrogé sur les risques d’escalade dans l’est de l’Ukraine et de partition pure et simple du pays, Jean Asselborn a estimé que "cela devait être évité". Sur la question des sanctions supplémentaires à infliger à la Russie, le ministre a expliqué croire "que Vladimir Poutine s’était lui-même puni, sachant que les relations entre l'économie européenne et l'économie russe sont dix fois plus interdépendantes que celles entre Russes et Américains".
"Les Russes ont besoin de nous sur le plan économique", a-t-il poursuivi. "Et quand je vois qu’au Conseil de sécurité de l'ONU, la Chine se distancie" ou "des pays tels que l'Arménie, le Kazakhstan, le Bélarus, qui sont des partenaires de la Russie, se désolidarisent, alors je suis convaincu que ce message sera aussi compris en Russie", a jugé Jean Asselborn.
Le ministre précise encore que la ligne rouge de la troisième phase de sanction, à savoir des mesures sur les relations économiques et commerciales, serait franchie "si l'armée russe, les troupes russes opér[ai]ent en dehors de la Crimée" sur le territoire ukrainien, ce qui n’est actuellement pas le cas.
Questionné sur une "résignation de l’UE" sur l’appartenance de la Crimée à la Russie et sur les "hésitations" ou le manque de courage de l’UE pour décréter des sanctions économiques alors que celles-ci étaient évoquées avant même l’annexion de la Crimée, le ministre des Affaires étrangères s’est défendu, jugeant que "la seule alternative à ne pas reconnaître ce qui est de facto arrivé serait la guerre et personne n’en veut, personne ne le peut. Et avec toutes les sanctions du monde que nous avons à notre disposition – diplomatiques, économiques – on ne défera pas ce qui est arrivé".
Le président du Conseil de l’UE, Herman Van Rompuy a de son côté salué la signature des dispositions politiques de l'Accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine dans une déclaration le 21 mars. Il y souligne que "ce geste symbolise l'importance que les deux parties attachent à cette relation, et notre volonté commune d'aller plus loin. Il reconnaît les aspirations du peuple de l'Ukraine à vivre dans un pays régi par des valeurs, la démocratie et la primauté du droit, où tous les citoyens ont un intérêt dans la prospérité nationale. Et le désir populaire pour une vie décente en tant que nation, pour un mode de vie européen", a-t-il dit.
Le refus de signer l'accord d'association avec l’Union européenne en novembre 2013 "a créé un soulèvement populaire, un virage politique et culturel", a-t-il poursuivi. "Nous rendons hommage à ceux qui ont donné leur vie pour la liberté, et nous soutenons tous ceux qui sont aujourd'hui s'efforce de construire une Ukraine ouverte et inclusive". La signature de l’accord par l’UE "témoigne de notre soutien indéfectible au chemin courageusement poursuivi par le peuple de l'Ukraine. Aujourd'hui n'est que la première partie: nous nous attendons à signer bientôt les parties restantes de l'Accord, notamment les dispositions économiques – qui avec les dispositions politiques forment un seul et même instrument", a-t-il conclu.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a lui aussi commenté la signature du volet politique de l'accord d'association entre l'Ukraine et l'UE: "Je pense que ce n'est pas une mesure dictée par les intérêts de l'économie ukrainienne, du peuple ukrainien dans sa totalité mais une tentative de gagner des points dans le jeu géopolitique", est-il cité par l’AFP. Pour lui, "la direction actuelle de Kiev a annoncé la signature de cet accord sans avoir le soutien de tout le pays". Et de conclure : "Il me semble que ce n'est qu'en s'étant mis d'accord chez soi, en étant parvenu à une entente nationale que l'on peut résoudre des problèmes qui suscitent d'énormes contradictions en Ukraine", laissant ainsi entendre que la décision aurait dû être prise après les élections prévues le 25 mai.
Le président du Parlement européen, Martin Schultz avait pour sa part qualifié la crise en Crimée de "menace massive pour notre système de sécurité", ajoutant que "les citoyens craignent le déclenchement d’une nouvelle Guerre Froide", s'adressant au Conseil européen lors de l’ouverture du sommet le 20 mars.
Martin Schulz a notamment dénoncé la Russie pour avoir utilisé la force afin d’annexer une partie d’un autre Etat et déclaré qu’il était important que l’UE parle d’une seule voix et envoie le message suivant : "les événements de Crimée ne sont pas tolérables et ne doivent jamais et nulle part se reproduire", selon des propos rapportés par un communiqué diffusé sur le site du Parlement européen.
Cependant, Martin Schulz a également mis en garde l’Europe contre le "somnambulisme" dans un conflit sans cesse croissant : "le Parlement européen recommande de réfléchir sur ce conflit en partant de la fin, et de prendre soin de garder les canaux de communication ouverts avec la Russie".
Les citoyens ukrainiens ont besoin du soutien de l’Union européenne, à la fois politique et financier, a souligné le président du Parlement. "Nous devons aider ce pays à se rétablir économiquement et à surmonter les fractures sociales auxquelles il est confronté, afin de prévenir les tensions et la radicalisation". Le Parlement européen "fera tout ce qui est en son pouvoir" pour assurer que les trois milliards d’euros du budget de l’Union européenne soient mis à disposition dès que possible, a-t-il encore promis.