L’accord de Partenariat transatlantique d’investissement et de commerce en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique (TTIP) donnera-t-il un pouvoir démesuré aux entreprises et aux investisseurs étrangers aux dépens des Etats et par conséquent, des citoyens ?
C’est ce qu’avance un nouveau rapport publié le 10 mars 2014 par les ONG Transnational Institute (TNI) et Corporate Europe Observatory (CEO) et qui révèle notamment, références et chiffres à l’appui, comment des investisseurs spéculatifs réclament plus de 1,7 milliard d'euros de compensations financières à la Grèce, l'Espagne et Chypre devant des tribunaux d'arbitrage privés internationaux pour des mesures prises par ces pays en réponse aux crises économiques.
Selon cette analyse, ces poursuites constituent dès lors "une mise en garde salutaire contre les coûts potentiellement élevés de l'accord commercial proposé entre les USA et l'UE", dont la quatrième session de négociations démarrait à Bruxelles le jour de sa publication.
Ce rapport n’est pas le premier à mettre en cause le TTIP comme une "attaque contre la démocratie". Des universitaires, des ONG, le mouvement syndical européen, des parlementaires européens et nationaux et même désormais certains gouvernements d’Etats membres, à savoir la France et l’Allemagne, s’inquiètent publiquement des conséquences de ce type d’accords sur la capacité des Etats à faire des choix politiques.
Une inquiétude croissante qui a d’ailleurs poussé la Commission européenne à "geler" la négociation sur la protection des investissements le temps de mener une consultation publique sur le sujet. "Mais la Commission a déjà indiqué qu'elle ne souhaite pas renoncer à ces droits contestés, mais veut plutôt les encadrer", notent les auteurs.
Intitulé "Profiter de la crise – Comment des entreprises et des avocats s'enrichissent aux dépens des pays européens en crise", le rapport – disponible uniquement en anglais – décrit ainsi "la vague croissante de poursuites juridiques lancées par des entreprises contre des économies européennes en difficulté, et comment celles-ci pourraient contraindre les contribuables européens à renflouer de nouveau des spéculateurs à coups de millions d'euros d'argent public".
Ce type de poursuites résulte tout particulièrement de la mise en place, au travers de traités d’investissement bilatéraux (TIB) négociés entre Etats, de règles spécifiques de protection des investissements : les mécanismes de règlement des différends investisseurs-Etats (RDIE ou ISDS en anglais). Les auteurs notent qu’ils se fondent sur les plus de 3000 traités internationaux d’investissements actuellement en vigueur – dans l’UE, quelque 150 TIB ont été signées entre les Etats membres – qui contiennent des dispositions très fortes en matière de protection de la propriété privée incluses dans des clauses très générales comme celles de "traitement juste et équitable" ou de "protection contre l’expropriation indirecte".
"Le problème est que ces clauses sont interprétées si largement qu’elles donnent carte blanche aux entreprises pour poursuivre les États pour n’importe quelle réglementation qui affecterait leurs profits actuels ou futurs", soit "chaque fois qu'ils trouvent que la réglementation dans le domaine de la santé publique, de la protection environnementale ou sociale interfère avec leurs profits". De ce fait "les traités d’investissements garantissent aux entreprises des protections conséquentes sans donner de droits équivalents aux États pour protéger leurs propres citoyens", relève le rapport.
Les accords internationaux de commerce et d'investissement négociés par l’UE avec des pays comme les États-Unis, le Canada et la Chine prévoiraient tous d’inclure de telles dispositions. Or celles-ci "octroieraient aux entreprises multinationales qui investissent en Europe le droit de poursuivre directement des gouvernements de l'UE", soulignent les auteurs du rapport. Les entreprises de l'UE investissant ailleurs auraient le même privilège à l'étranger.
Le rapport relève enfin qu’environ 42 % des cas connus de RDIE conclus ont été tranchés en faveur de l'Etat concerné, 31 % en faveur de l'investisseur et 27 % des cas ont fait l’objet d’un règlement négocié, pour la plupart "susceptibles d'impliquer des paiements ou d'autres concessions envers l'investisseur". La plus importante compensation connue à ce jour a été infligée à l'Equateur qui a dû payer 2,3 milliards de dollars à la compagnie pétrolière américaine Occidental Petroleum.
Les auteurs jugent donc que ces règles "offrent aux investisseurs privés un statut à part et privatise la justice" car ils "se voient dotés de droits plus importants que les entreprises nationales, les individus ou collectivités locales, quand bien même ceux-ci seraient affectés au même titre par les mesures incriminées". Les exemples "d’attaques" en cours contre des politiques de santé publique et de protection de l'environnement menées par des investisseurs sont nombreux. Ainsi, le rapport rappelle que :
Le rapport avance encore que divers universitaires ont fait valoir que ces droits servent aussi de camisoles de force, qui pourrait aboutir à "gel réglementaire" pour les Etats qui tentent de lutter face à une crise économique. Les auteurs rapportent quelques-unes des mesures prises pour protéger la population et de l'économie d'un pays au cours d'une crise financière qui pourraient être "gravement compromises".
Favoriser les investisseurs nationaux par rapport aux investisseurs étrangers : l’analyse relève que selon divers économistes, "la capacité de traiter les créanciers nationaux et étrangers de manière différente est une option politique nécessaire pour les gouvernements face à une crise financière". Ainsi des politiques discriminatoires pourraient être nécessaires pour préserver les industries nationales, pour relancer le système financier national ou assurer le respect des engagements en termes de salaires et de pensions. "Les créanciers nationaux opèrent dans l'économie nationale et ont donc un impact direct sur l'emploi et les moyens de subsistance. Il est dans l'intérêt d'un gouvernement en crise que ces entreprises continuent de stimuler l'économie. Mais les traités d'investissement pourraient contraindre une telle décision" en vertu des clauses de "traitement juste et équitable" entre autres.
Restructuration de la dette souveraine: la restructuration de la dette est "un instrument commun" de la boîte à outils d’atténuation des crises économiques des pays. Quand un Etat ne peut plus payer ses dettes, il négocie avec ses créanciers en vue soit de réduire la valeur de sa dette, soit d'abaisser les taux d'intérêt qu'il doit payer. Or, les règles de protection des investissements "peuvent compromettre la capacité des gouvernements à négocier et à manœuvrer pour résoudre leurs problèmes d'endettement", notamment en vertu "de la protection contre l’expropriation indirecte", soulignent les auteurs. La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a mis en garde: "Il est important de veiller à ce que [les accords internationaux d'investissement] n'empêchent pas les pays débiteurs de négocier la restructuration de la dette d'une manière qui facilite la reprise économique et le développement", relèvent les auteurs qui notent que des arguments similaires ont été mis en avant par des universitaires.
Le contrôle des flux de capitaux: selon le rapport, "les universitaires et les organisations internationales ont reconnu que les contrôles des flux capitaux sont des outils légitimes de politique pour prévenir et atténuer les crises financières". Mais, selon la CNUCED et le Fonds monétaire international (FMI), les traités internationaux d'investissement pourraient compromettre la décision des gouvernements d'imposer des contrôles de capitaux.
Le droit international coutumier permet néanmoins normalement aux Etats de violer leurs obligations internationales lorsque cela est nécessaire pour protéger les intérêts des citoyens (principe de la défense de nécessité). Dans ces situations, l'Etat ne doit pas être le seul à se justifier. L’'investisseur devra prouver que l'Etat a violé le droit international et que des mesures alternatives pour protéger les intérêts de la population du pays, sans affecter les droits des investisseurs, sont réalisables. "Mais les tribunaux d'arbitrage ont tendance à considérer le droit des investissements comme un régime juridique autonome où les principes généraux du droit international, tels que la défense de nécessité, deviennent une exception, ce qui oblige l'Etat à démontrer son droit d'intervenir pour protéger son peuple", poursuivent les auteurs.
Même en cas d’inscription de clauses d’urgence explicites dans les traités qui dégagent l’Etat de ses obligations en cas de crise, les investisseurs peuvent les contourner. Les auteurs relèvent en effet qu’il suffit de se référer au principe de la nation la plus favorisée qui est inclus dans tous les traités d’investissement. "Avec ce principe, les gouvernements s'engagent à accorder aux investisseurs étrangers de tous les pays avec lesquels ils ont signé des traités d'investissement le même traitement favorable. Si un État a signé un tel traité sans une clause d'urgence, un investisseur peut 'importer' les conditions plus favorables aux investisseurs de cet autre traité et prétendre que la clause d'urgence ne s'applique pas".
Selon les auteurs, ces traités donnent ainsi "des pouvoirs considérables aux investisseurs étrangers, y compris le privilège particulier de porter directement plainte devant les tribunaux internationaux d'arbitrage, sans nécessairement passer par les tribunaux locaux".
Les litiges en la matière sont en effet le plus souvent tranchés par un tribunal international dit "arbitral" qui est normalement composé de trois avocats du secteur privé, les arbitres. Ceux-ci sont désignés par les parties et sont "à même de prendre des décisions qui concernent la vie de millions de personnes", souligne le rapport. Et de poursuivre : "Des précédents montrent comment ceux-ci peuvent passer par pertes et profits les principes juridiques qui permettent aux États de violer leurs obligations internationales quand cela est nécessaire pour protéger les intérêts de leurs citoyens, en particulier dans les situations de crises".
Les auteurs notent par ailleurs qu’ils "ont tendance à être engagés au sein d’un petit club de personnes ayant un intérêt financier dans le système". Contrairement aux juges, ils n'ont pas de rémunération fixe "mais plus de revendications ils traitent, plus ils gagnent. Et on a pu constater qu’ils font de larges interprétations, très favorables aux investisseurs, des clauses formulées vaguement dans les traités d'investissement, ouvrant la voie à plus d'affaires".
"Quand je pense à l'arbitrage, cela ne cesse jamais de me surprendre que les Etats souverains ont accepté l’idée même de l'arbitrage pour les différends d'investissement... Trois individus privés se voient octroyer le pouvoir de réviser, sans aucune restriction ni procédure d'appel, toutes les actions du gouvernement, toutes les décisions des tribunaux et les lois et règlements émanant du Parlement." La citation précédente, que les auteurs du rapport mettent en lumière, a été prononcée par un arbitre, l’Espagnol Juan Fernández-Armesto.
Le rapport souligne encore que les "avocats d'investissement alimentent la ruée vers l'or de l'arbitrage". Les investisseurs privés ont été "soutenus et encouragés" par des juristes spécialistes de l’investissement "généreusement rémunérés" et qui "ont continument et activement identifié les opportunités de poursuites". Dans certaines affaires, les cabinets de conseils qui organisent les poursuites envers les pays en crise conseillaient les mêmes compagnies qui ont réalisé les investissements risqués concernés par ces poursuites, le rapport évoquant une véritable "industrie de l'arbitrage".
"Dans ce 'nouvel Eldorado', les avocats ont des rôles multiples - et ils exercent un énorme pouvoir", détaille le rapport. Comme avocats, "ils représentent les parties dans des litiges de plusieurs millions de dollars, mais ils siègent également à titre d'arbitres, jugeant les cas". En amont ils "conseillent les gouvernements sur l'élaboration des traités d'investissement, qui constituent la base juridique des différends".
De même, "ils conseillent les entreprises sur la manière de structurer leurs investissements pour avoir accès aux voies de l’arbitrage les plus favorables aux investisseurs". Enfin ils ont lancé des "campagnes de lobbying féroce pour contrer les tentatives des gouvernements de réduire leur exposition juridique à l'action des entreprises prédatrices en réformant les traités d'investissement", poursuit le rapport.
Le document cite encore le cabinet d’affaires Skadden "qui représente la Cyprus Popular Bank (Laiki) dans une poursuite imminente à hauteur de plusieurs milliards d’euros contre la Grèce". En avril 2013, il "applaudissait" "l’intérêt croissant et l’utilisation novatrice des traités bilatéraux d’investissement". Le cabinet expliquait : "l’intérêt des tribunaux prévus dans les TIB et l’incertitude économique ambiante expliquent le recours croissant au TIB pour résoudre les conflits, et nous estimons que cette tendance devrait se poursuivre".
Les auteurs révèlent en outre que les juristes et les entreprises utilisent la menace de poursuites juridiques pour modifier les politiques ou pour empêcher la mise en place de réglementations qui affecteraient leurs profits. Dans un document d’information à destination d’un client daté d’octobre 2011, le cabinet juridique K&L Gates basé aux USA recommandait aux investisseurs d’utiliser la menace de poursuites comme un "levier de négociation" dans les discussions sur la restructuration de la dette. De la même manière, le cabinet britannique Clyde & Co suggérait d’utiliser la "mauvaise publicité potentielle" d’une poursuite comme "levier de négociation en cas de conflit avec un gouvernement étranger".
Par ailleurs, les auteurs jugent le rôle de la Commission européenne "complice et trompeur". Celle-ci "a été critique des TIB entre Etats membres (ou TIB intra-UE) [mais] elle continue à promouvoir activement l’utilisation de l’arbitrage investisseur-Etat dans le monde, et notamment dans le cadre des négociations en cours sur le controversé accord de commerce UE-USA. Défendre la protection des investisseurs privés tout en remettant en cause la protection sociale, voilà la tendance problématique qui caractérise les politiques économiques et commerciales de l’Union européenne", lit-on dans le document.
Les poursuites entre investisseurs et Etats dans le cadre des mécanismes de RDIE ne sont pas un phénomène nouveau. Elles sont intimement liées aux crises économiques qui se sont répétées au cours des deux dernières décennies dans le monde: du Mexique (1994), en passant par le Brésil (1999) ou l’Argentine (2001), jusqu’aux États-Unis / en Europe (depuis 2008).
Face aux crises qui ont frappé le Mexique et l’Argentine notamment, "ces États ont désespérément tenté de prendre des mesures pour protéger leurs économies en décomposition", relèvent les auteurs. Il s’agissait notamment de la restructuration de la dette souveraine, de la dévaluation de la monnaie ou du gel des prix des services publics.
Or, ces mesures d’urgence ont "fait l’objet d’attaques systématiques" de la part d’investisseurs étrangers en vertu d'accords internationaux d'investissement. Le cas de l’Argentine est emblématique. Le rapport souligne ainsi qu’aucun pays dans le monde n’a été poursuivi plus souvent en raison des traités internationaux d'investissement. Quelques 55 cas de RDIE contre le pays sont connus, dont deux tiers puisent leurs racines dans les mesures prises par l'Argentine, notamment le défaut sur sa dette souveraine, pendant et suite à la crise économique de 2001-2002 (voir pour le détail la p. 12 du rapport).
"Ces mesures ont permis à l'Argentine de récupérer mais ont mis à mal les bénéfices des sociétés étrangères qui avaient investi dans le pays, qui ont ensuite décidé de poursuivre le pays", poursuit le rapport. Ainsi "des entreprises comme CMS Energy (USA), Suez et Vivendi (France), Anglian Water (Royaume-Uni) et Aguas de Barcelona (Espagne) ont exigé plusieurs millions d’euros de compensation pour les pertes de recettes causées par certaines nationalisations et le gel des prix des services de base", note-t-il.
Si les auteurs soulignent que pendant longtemps, les pays européens ont été épargnés par la vague de différends investisseur-Etat qui ont surtout affecté les pays en développement, "dans le sillage de la crise financière, les entreprises et les avocats spécialistes de l’investissement se sont tournés vers de possibles opportunités de profit en Europe".
Le rapport s’intéresse particulièrement à la manière dont les investisseurs privés ont réagi aux mesures prises par l’Espagne, la Grèce ou encore Chypre pour protéger leurs économies dans le sillon de la crise de la dette européenne. Les enjeux pour ces pays sont de taille. Les investisseurs privés ont réclamé, dans leurs poursuites, près de 700 millions d’euros à l’Espagne; plus d’un milliard à Chypre et des sommes non connues à ce jour à la Grèce, révèle le rapport qui évoque une "véritable stratégie" de certains investisseurs en la matière.
Il s’agit "d’acheter de la dette pas chère, sous la forme d'obligations souveraines de la dette publique réduites en raison d'une crise. Ensuite, refuser de négocier une réduction de la valeur de l'obligation lorsque le pays concerné tente de restructurer sa dette pour alléger le fardeau financier. Ces porteurs demandent alors à être payés en totalité, s’assurant de gros profits car ils ont acheté des obligations à des prix cassés. Si les gouvernements refusent de payer, les créanciers obligataires crient au scandale et tentent de faire exécuter le paiement par la saisie des avoirs à l'étranger ou en poursuivant devant les tribunaux d'arbitrage internationaux. Ces types d'investisseurs ont été à juste titre nommé 'fonds vautours'", ajoutent les auteurs.
En Grèce, c’est notamment ce qu’a fait la banque slovaque Postová Bank. Elle a acheté des obligations grecques après que celles-ci ont été dégradées, bénéficié d’un très généreux accord de restructuration de la dette (par ailleurs imposé par les créanciers publics du pays, la troïka FMI, BCE et Commission européenne), et néanmoins tenté d’en obtenir un meilleur en poursuivant la Grèce sur la base du traité d’investissement bilatéral (TIB) entre la Slovaquie et la Grèce.
À Chypre, un fonds de placement référencé en Grèce, Marfin Investment Group, impliqué dans une série de prêts douteux, réclame à Chypre 823 millions d’euros en compensation d’investissements perdus au motif de la nationalisation de la Laiki Bank, qui figurait dans l’accord de restructuration de la dette passé avec l’Union européenne.
En Espagne, 22 entreprises, pour la plupart des fonds d’investissements, poursuivent le gouvernement devant des tribunaux internationaux pour des coupes dans les subventions aux énergies renouvelables et notamment l’énergie solaire. "Ces coupes ont été aussi critiquées par les écologistes, mais seuls les investisseurs étrangers ont la possibilité de les attaquer en justice, et il va sans dire que s’ils gagnent, ce seront les citoyens espagnols, déjà largement affectés par la crise, qui paieront pour enrichir ces fonds d’investissements", notent les auteurs.
Les auteurs relèvent enfin que nombre de poursuites en cours contre les pays européens frappés par la crise "sont lancées par des investisseurs spéculatifs". "Il ne s’agissait pas d’investisseurs de long-terme puisqu’ils ont investi après le déclenchement de la crise ; ils étaient donc pleinement conscients des risques. Ils utilisent pourtant des accords d’investissement pour ne pas payer les coûts de ces investissements risqués, et soutirer de l’argent aux pays en crise", appuie le rapport.
Ainsi la banque Postová Bank, par exemple, avait acheté des obligations début 2010 au moment où Standard & Poor’s qualifiait la dette grecque d’actif toxique, ajoutent les auteurs qui relèvent que l’approfondissement de la crise dans la périphérie de l’UE "a attiré de plus en plus de vautours, alléchés par les profits". En 2012, le new-yorkais Greylock Capital annonçait que les obligations grecques, payées de 19 à 25 % de leur valeur, étaient "l’affaire de l’année". En Espagne, sur les 22 entreprises impliquées dans des poursuites, 12 ont investi après 2008 alors que les premières restrictions sur les subventions à l’énergie solaires étaient mises en place ; huit autres ont continué à y investir malgré les "menaces" sur leur mise.
Les investisseurs impliqués dans des poursuites ont par ailleurs "dégagé des profits considérables malgré les 'menaces' sur leurs investissements dans les pays en crise". Le rapport souligne que Postová Bank a ainsi annoncé un profit net de 67,5 millions d’euros en 2012 ; l’investisseur dans les énergies renouvelables Abengoa SA a annoncé une augmentation de 17 % de ses bénéfices à hauteur de 5,23 milliards d’euros dans les neufs premiers mois de 2013.
"Cela a été une toute autre affaire pour les citoyens des pays qui ont fait l’objet de poursuites. Les Grecs par exemple, sont en moyenne 40 % plus pauvres qu’ils n’étaient en 2008, et on a assisté à une hausse considérable du nombre de sans logis. Un enfant sur trois (environ 600 000) vit désormais sous le seuil de pauvreté".
Selon les auteurs, ces différends investisseur-Etat s’inscrivent donc "dans un contexte particulier révélé par la crise économique qui frappe l’Europe, dans lequel les entreprises et leurs investissements à risques sont protégés alors que les citoyens doivent subir les conséquences des coupes budgétaires ; où les pertes privées sont socialisées, les contribuables payant l’addition ; et où les entreprises se voient garantir des recours juridiques alors même que les droits fondamentaux sont mis de côté". Et de prévenir : "les affaires évoquées ne représentent probablement qu’une première salve de poursuites contre des pays européens".
Les auteurs de l’étude estiment dès lors qu’il est "désormais urgent de jeter la lumière sur le sauvetage des investisseurs qui s’annonce et d’appeler à une refonte des règles internationales de protection des investisseurs". Une première étape pourrait consister, pour les gouvernements européens, à remettre en cause les accords d’investissement existant.
"En particulier, les citoyens européens et les élus devraient exiger que les mécanismes de RDIE soient exclus des nouveaux accords commerciaux en cours de négociation, comme l’accord de commerce UE-US. En tout, ce sont près de 75 000 entreprises enregistrées de part et d’autre de l’Atlantique, avec des filiales à la fois dans l’UE et aux USA, qui pourront lancer des poursuites sur la base d’un tel accord transatlantique. L’exemple des spéculateurs qui tentent de tirer parti de la crise européenne, évoqué dans ce rapport, est un avertissement salutaire : les droits dont bénéficient les investisseurs devraient être revus et passer après les droits des populations", concluent-ils.