Le 10 mai 2014, en marge de la Fête de l’Europe, a eu lieu un débat qui mettait aux prises le président du Conseil économique et social européen (CESE), Henri Malosse, et le ministre du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit, débat qui portait sur les recommandations du CESE sur l’avenir de l’Europe, publiées dans un document d’avril 2014, réunies sous le titre de "Plan d’action pour l’Europe". Dans ce document, le CESE prône une trentaine d’actions qui se déclinent en trois volets : une Europe prospère qui passerait par la consolidation de l’union économique, une Europe équitable qu’il s’agit de construire en repensant l’union sociale pour stimuler l’emploi et la croissance, et une Europe démocratique et citoyenne qui sera construite par l’émergence d’un espace public européen.
Dans son introduction, Henri Malosse a fait la part de ce qui va bien et de ce qui va mal en Europe. Il a salué la mise en place de l’Union bancaire, mais regretté que l’UE n’ait pas de politique commune de l’énergie et de la défense. Il a aussi regretté que l’UE se soit dotée d’une union monétaire mais n’ait pas encore réussi à mettre en place une union économique. Cette absence d’union économique a déclenché, selon Henri Malosse, "des ressentiments qui se retournent contre l’UE", de sorte qu’avec la crise, "le sentiment de solidarité au sein de l’UE a été mis à mal". D’où pour lui la nécessité "que l’UE change de cap après le 25 mai", donc après les élections européennes.
Le "Plan d’action pour l’Europe" que le CESE a publié fin avril 2014 s’adresse à la nouvelle Commission. Henri Malosse le résume à sa manière en quatre points :
L’Europe doit protéger plus, à travers une défense commune, une politique étrangère et de sécurité commune, à travers la cohésion sociale aussi, mise en œuvre selon des traditions sociales de chaque Etat membre. Ces dernières passent par le respect du travail, le dialogue social, le partage des bénéfices, de meilleures conditions de travail, en mettant en avant la santé, la sécurité et la non-discrimination. Il est nécessaire qu’un virage s’amorce ici, estime le président du CESE, car "les citoyens ont l’impression que le modèle de protection a été mis à mal et que l’UE est contre eux".
La réindustrialisation de l’UE doit passer par une politique industrielle commune qui ne devrait pas dépendre des interventions étatiques, mais pour laquelle il faudra envisager une convergence fiscale et une lutte contre le dumping fiscal.
Plus d’échanges de jeunes devraient avoir lieu, mais qui ne se limiteraient pas à ERASMUS, qui ne touche que 10 % des étudiants, qui ne forment que 10 % de la jeunesse.
Finalement, Henri Malosse a prôné un renforcement du marché unique et une plus forte convergence économique et sociale, d’abord pour les Etats membres de la zone euro, puis pour les 28 Etats membres de l’UE.
Le ministre Nicolas Schmit a parlé quant à lui "d’une timide sortie de crise", tout en soulignant que les réalisations positives de l’UE dans ce cadre n’étaient pas perçues ainsi par les citoyens, qui, à 60 %, ne font plus confiance aux institutions européennes. Partant de là, les populistes mettent en cause l’existence du projet européen, et ils font, avec le Front national en France, le mouvement de Geert Wilders aux Pays-Bas, le M5S de Beppe Grillo en Italie, et d’autres partis de ce genre dans d’autres pays comme la Finlande, la Suède, la Hongrie, etc. peser un vrai danger sur l’UE. Une des conséquences à tirer de cette situation est que les politiques menées par l’UE ces dernières années doivent être questionnées, estime le ministre.
La confiance dans l’UE a d’abord chuté, a déclaré Nicolas Schmit, à cause des politiques d’austérité. S’y ajoute que "l’UE n’est pas une entité à forte légitimité politique et est perçue comme technocratique alors que son contrôle démocratique est peu visible". Le CESE a, selon le ministre, raison de demander le retour à la méthode communautaire alors que la lutte contre la crise s’est faite en recourant à des moyens intergouvernementaux en dehors du cadre de l’UE, comme pour le TSCG, le traité budgétaire, même si cela a été le cas "pour de bonnes raisons", puisqu’il fallait aussi inclure le FMI dans les accords.
Le problème fondamental de l’UE reste le chômage, qui touche toujours plus de 26 millions de personnes, des personnes qui sont de plus en plus stigmatisées, a mis en garde Nicolas Schmit. Le commissaire en charge de l’emploi, Laszlo Andor, a selon lui pris des initiatives "très louables", comme par exemple la Garantie Jeunesse, mais le problème de la manière de créer de l’emploi à travers la croissance reste entier dans l’UE. La compétitivité à l’exportation a été exacerbée et a conduit à des baisses de salaires, mais entretemps, l’on commence à comprendre dans les Etats membres que la dévaluation interne n’est pas la bonne solution. Elle a conduit en Grèce à la destruction de dizaines de milliers de PME. Bref, il faut donner de nouvelles impulsions au marché intérieur. Il faut revoir la question des dépenses publiques. Il faut investir dans la relance, à l’instar des politiques de relance des USA. Il faut "reconstruire le modèle social européen", en sachant que le salaire minimum n’est pas en soi la panacée, puisque 22 Etats membres en ont un, mais le niveau des salaires, car la création de PME ne se fera pas sans demande interne.
Dans ce contexte, Nicolas Schmit a critiqué le débat sur la meilleure façon d’obliger la France à respecter les 3 % de déficit budgétaire. Si l’on devait insister sur ces 3 %, cela "risque de mettre la France à feu et à sang" et aura pour effet une récession et une déflation catastrophiques en France. Il faut "une autre approche de la consolidation budgétaire", a jugé le ministre, pour qui même le très orthodoxe commissaire aux affaires financières, le libéral Olli Rehn, "commence à comprendre". Les citoyens doivent percevoir l’union économique et monétaire comme une œuvre qui a une légitimité démocratique. Par ailleurs, il n’est pas possible de priver les parlements nationaux de leur pouvoir budgétaire souverain, d’ores et déjà entamé par les normes budgétaires communes. Si tous ces éléments ne sont plus respectés, l’UE courra des dangers et entrera dans une phase de turbulences imprévisibles, a conclu Nicolas Schmit.
Au cours du débat avec le public, les deux intervenants ont fustigé les conséquences des politiques d’austérité et de dévaluation interne. Henri Malosse a évoqué les 15 % de Lituaniens qui ne peuvent pas se chauffer en hiver et les 56 % de jeunes Grecs qui sont au chômage, une "génération perdue" auxquels on recommande l’émigration. Nicolas Schmit a parlé des 3 millions d’enfants espagnols qui ne mangent à leur faim que grâce à leurs repas à l’école, du démantèlement des systèmes de protection sociale qui fait que 2 millions de Grecs n’ont plus d’assurance-maladie et que les hôpitaux n’ont plus assez de crédits pour se procurer les médicaments nécessaires.
Henri Malosse a exigé "un changement de comportement des nouvelles institutions européennes". Elles devraient se mettre à l’écoute des citoyens, se distancier d’une "vision très idéologique de la macro-économie" et prendre une "voie déontologique" en tenant plus systématiquement compte de la charte des droits fondamentaux. La réaction de la Commission européenne fin mars à l’initiative citoyenne européenne (ICE) sur l’eau illustre, selon Henri Malosse, cet enjeu. La communication que la Commission a publiée le 19 mars 2014 en réponse à cette ICE décrit "l’énorme volume de travail déjà accompli par l’UE dans le domaine de l’eau et de l’assainissement" ainsi que les efforts supplémentaires qui devront être déployés - à l'échelon de l’UE ou au niveau national - afin de répondre aux préoccupations à l'origine de cette mobilisation des citoyens. Par ailleurs, la Commission s’est engagée à prendre des "mesures concrètes" et de "nouvelles actions", notamment le lancement d’une consultation publique, dans les domaines qui présentent un intérêt direct pour l’initiative et ses objectifs. Mais elle ne propose pas de nouvelle législation et reporte le débat au-delà des élections européennes. Cela a été critiqué en mars déjà, et Henri Malosse estime que la réaction de la Commission traduit ses réticences à l’égard des citoyens et a été "une erreur politique".
De même, Henri Malosse a mis en garde contre une tendance à vouloir détruire, à travers la privatisation, des services d’intérêt général qui fonctionnent. Leur privatisation a souvent été, notamment dans le domaine de l’énergie, une catastrophe et on a vu les prix s’envoler. Même s’il faut une politique commune de l’énergie, il faut savoir faire la part des choses.
Nicolas Schmit a de son côté mis en avant le fait que l’UE ne respecte pas dans son ensemble les conventions de l’OIT, l’Organisation internationale du travail, et ce sont d’autres organisations internationales, comme le FMI et l’OCDE, et non pas l’UE, qui ont relevé la problématique des inégalités croissantes et le danger que représente une constante compression des salaires. La revalorisation des salaires est devenue pour le ministre du Travail et de l’Emploi un problème majeur de l’UE comme des USA.
Un autre obstacle à la croissance, ce sont pour lui les normes d’émissions de CO2 que l’UE octroie à ses propres entreprises qui les empêche d’être concurrentielles dans le monde.
Le ministre a aussi mis en garde contre le danger que le TTIP peut représenter pour une politique agricole commune (PAC) qui ne saurait résister à un marché complètement ouvert à "la machine agricole américaine".
Il a mis en garde contre une politique de réduction des investissements publics pour réduire la dette publique, alors que ces investissements sont censés durer plusieurs générations, et a cité l’exemple de l’Allemagne, qui, à force d’économies dans ce domaine, se retrouve d’un coup avec une telle masse d’infrastructures défaillantes que cela nuit au déroulement normal des activités de transport terrestre par route et par rail.
Mais, si dernièrement, l’UE n’a pas réussi à établir le lien entre le social et l’économique, alors qu’elle n’est pas supposée n’être qu’un marché, c’est bien à cause des Etats membres qui ont rejeté les propositions de Mario Monti dans ce sens.