Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Face aux critiques de la Commission contre le système d’indexation des salaires, une étude de l’Université du Luxembourg conclut qu’il n’y a pas de différence systématique entre la formation des salaires dans les pays avec ou sans ce système
15-07-2014


uni.luL’Observatoire de la compétitivité a commandité auprès de l’Université du Luxembourg une analyse approfondie des effets potentiels de l’indexation automatique sur la formation des salaires au Luxembourg, et une comparaison avec ses pays voisins, le Luxembourg et la Belgique connaissant un tel mécanisme tandis que la France et l’Allemagne n’en disposent pas. L’objectif de l’étude est de vérifier si la formation des salaires au Luxembourg (et en Belgique) est effectivement plus rigide qu’en Allemagne et en France, et ce après les critiques lancées par la Commission européenne contre les systèmes d’indexation automatique des salaires qui se sont répercutées dans les recommandations de la Commission.

Publiée le 15 juillet 2014, l’étude intitulée "Formation des salaires et indexation automatique. Analyse comparative de quatre pays européens" a présenté les conclusions suivantes : "De manière générale, les différents coefficients estimés dans le cadre de cette étude présentent plus de similitudes que de différences entre pays. Cela veut dire qu’il n’y a pas de différence systématique concernant la formation des salaires entre les pays avec un système d’indexation automatique et les pays sans un tel système d’indexation automatique, ceci en observant à la fois les relations de long terme et les réactions dynamiques face à un choc exogène. En effet, l’impact d’un choc de prix sur les salaires réels est d’ampleur limitée sur le court terme pour les quatre économies concernées et devient nul au-delà de quelques années. En d’autres termes, si des différences de rigidité salariale existent entre pays, leurs causes seraient à trouver ailleurs que dans les mécanismes d’indexation automatique, comme par exemple les salaires d’embauche, la flexibilité intersectorielle, la part variable des rémunérations ou des changements dans la composition sectorielle de la main d’œuvre".

L’étude était partie du fait que "les mécanismes d’indexation automatique sont régulièrement visés par le reproche d’être une source essentielle de la rigidité des salaires réels et ainsi responsables d’un mauvais ajustement sur le marché du travail et d’une détérioration de la compétitivité-coût." Ces reproches proviennent notamment de la Commission européenne. Les auteurs de l’étude ont donc évalué "empiriquement le bien-fondé de ce point de vue".

Leurs travaux statistiques et économétriques se sont portés sur quatre pays : deux avec indexation institutionnalisée des salaires sur les prix à la consommation - le Luxembourg et la Belgique - et deux sans indexation institutionnalisée – l’Allemagne et la France. Ils ont choisi cette approche comparative "pour déceler les éventuels contrastes en termes de fixation des salaires entre les pays avec ou sans mécanisme d’indexation automatique des salaires sur les prix à la consommation."

Dans leurs aprioris, les auteurs signalent "qu’en l’absence d’indexation automatique, l’ajustement des salaires nominaux à l’évolution des prix peut bien sûr être obtenu dans le cadre des négociations salariales, mais cet ajustement dépend alors davantage du pouvoir de négociation des salariés et de leurs syndicats." Ils se réfèrent quant à eux aussi à "la théorie économique récente" qui "prend en compte l’influence, relativement complexe, de l’indexation sur la transmission de chocs et les fluctuations économiques." Partant de là, ils veulent "éviter les conclusions simplistes sur les effets de l’indexation des salaires sur les prix" et "invitent à poursuivre des travaux empiriques sur la formation des salaires".

Le mode de formation et l’évolution des salaires dans quatre pays

Dans leur résumé analytique, les auteurs expliquent que "même si certaines modalités diffèrent, le Luxembourg et la Belgique ont en commun un mécanisme d’indexation mécanique des salaires sur les prix à la consommation", mais "qu’au contraire, en Allemagne, l’aversion envers tout système potentiellement inflationniste a conduit à l’interdiction de l’indexation dès 1948." Et "en France, depuis 1983, les conventions collectives ne doivent plus faire référence à l’indexation."

Un des constats faits par les auteurs de l’étude est que "les évolutions des salaires horaires réels et de la productivité horaire dans le secteur marchand apparaissent particulièrement conjointes depuis le début des années quatre-vingt pour la France, le Luxembourg et dans une moindre mesure pour la Belgique." De l’autre côté, tous ces pays étudiés ont connu un infléchissement de la progression des salaires réels au début des années quatre-vingt, mais "l’Allemagne se distingue clairement par une austérité salariale mise en œuvre dès le milieu des années quatre-vingt-dix." Les auteurs de l’étude constatent : "Ces évolutions conduisent dans chaque pays à une baisse plus ou moins prononcée de la part salariale. Cependant, la simple observation de ces tendances ne permet pas de détecter d’éventuelles spécificités liées à l’existence ou non de mécanismes d’indexation automatique."

Un modèle théorique de la formation des salaires

Les auteurs se sont ensuite concentrés sur l’élaboration d’un modèle théorique précis de négociation salariale qui "permet de comprendre comment les différentes variables clés peuvent intervenir dans la formation des salaires". Ce modèle, expliquent-ils, "conduit à une équation de salaires comprenant essentiellement" :

  • un salaire de réserve, c’est-à-dire un salaire de base acceptable pour les salariés qui dépend notamment des revenus de remplacement et des prix à la consommation,
  • les influences négatives du taux de chômage,
  • les influences positives du pouvoir de négociation des travailleurs,
  • les influences positives des profits des entreprises.

Une étude de la Commission européenne sur la sellette

Les auteurs se concentrent ensuite sur un rapport de la Commission européenne datant de 2011 sur les tendances sur le marché du travail de l’UE. Ce rapport comprend une analyse économétrique sur 28 pays, par laquelle, disent-ils, "la Direction générale pour les Affaires économiques et financières (DG ECFIN) a essayé de montrer que les pays avec indexation avaient un comportement de formation des salaires plus rigide et notamment insensible à des déterminants aussi essentiels que le taux de chômage."

Or, selon eux, l’étude soulève quelques problèmes.

Ils critiquent ainsi le fait que l’étude a regroupé des pays en panel dont le seul point commun est la présence ou non de mécanismes d’indexation des salaires, alors qu’ils ont des structures économiques très différentes. "Cette procédure peut entraîner des biais d’estimation importants", estiment-ils.

Par ailleurs, "des observations plus récentes modifient sensiblement les résultats obtenus par la DG ECFIN."

Ils reprochent aussi à l’étude de la DG ECFIN d’aborder les économies dans leur totalité, alors qu’habituellement, "ce genre d’analyse économétrique est appliqué au secteur marchand seulement, dans lequel la compétitivité joue un rôle beaucoup plus important, et pour lequel la productivité a plus de sens que dans le secteur non-marchand."

Ils critiquent l’étude pour avoir mis en relation salaire et travailleur, au lieu de tenir compte des différences observées dans l’évolution des heures de travail dans chacun des pays, et donc de mettre en relation salaire et productivité horaires.

Enfin, ils n’approuvent pas le fait que, dans la méthode utilisée par la DG ECFIN, des variables comme la productivité ou le taux de chômage ont été traitées comme étant exogènes par rapport au salaire.

"Par conséquent, il semble difficile de valider une conclusion sur l’effet de l’indexation par la méthode économétrique utilisée par la DG ECFIN", concluent-ils.

Ils ont, quant à eux, appliqué des estimations en système VAR sur les quatre pays analysés -  Luxembourg, Belgique, Allemagne, France - sur la période 1976-2011. Le modèle VAR pour "Vector Auto Regressive" est "un système d’équations dans lequel toutes les variables sont traitées au départ comme endogènes" et permet de tenir compte des relations qui peuvent exister entre toutes les variables. Ils sont passés par différents niveaux d’agrégation : économie globale, secteur marchand et, dans le cas du Luxembourg, sur une désagrégation industrie manufacturière – services marchands.

Malgré quelques réserves qu’ils admettent eux-mêmes, les auteurs sont parvenus "à des résultats intéressants". Ainsi, estiment-ils, "il n’y a pas de différence systématique entre pays avec ou sans indexation automatique. Ce résultat général est le signe que la présence d’un système d’indexation ne cause pas un changement radical dans le mode de formation de salaires sur le long terme." Autre résultat : institutionnalisée ou non, à long terme, l’indexation semble vérifiée dans les quatre pays analysés. Les auteurs ont aussi calculé les effets à court et à long terme d’une hausse exogène des prix à la consommation pour trouver que l’effet d’impact est comparable dans les quatre pays. Malgré quelques différences entre les pays, ils estiment qu’il n’y a "pas de raison de conclure sur cette base que des mécanismes d’indexation automatique des salaires modifient significativement la dynamique d’ajustement salarial".

Pour rappel

statec-nouveauEn janvier 2014 déjà, le Statec avait déjà une étude sur les soldes structurels dans le cadre de la mise en œuvre du TSCG. Se penchant sur ce concept désormais central dans l’analyse et la surveillance de la situation des finances publiques dans la zone euro, le Statec s’était intéressé aux dynamiques de la productivité et de la croissance potentielle du Luxembourg. Son analyse avait décortiqué là aussi la méthode utilisée par la Commission européenne.En l’appliquant aux données luxembourgeoises et en la comparant avec la méthode traditionnelle utilisée par le Statec dans ses prévisions, elle avait mis"en évidence les limites de l’application de la méthode communautaire pour le calcul des soldes structurels au niveau luxembourgeois". Globalement, le Statec avait estimé que son étude jetait un doute sur l'approche "one size-fits-all" choisie par la Commission, "d’autant plus à la lumière du caractère particulier de l'économie luxembourgeoise, une petite économie très ouverte et un centre financier de premier plan".