Dans le cadre de ses recommandations pays par pays publiées le 2 juin 2014, la Commission européenne adresse au Luxembourg une série de cinq recommandations pour 2014-2015:
Pour arriver à ses recommandations, la Commission européenne a effectué un travail préliminaire. Déjà le 5 mars 2014, elle avait publié son bilan approfondi sur le Luxembourg qui l’avait conduit à conclure que le Grand-Duché "ne connaît pas de déséquilibres macroéconomiques au sens de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques."
La Commission a ensuite scruté le programme national de réforme pour 2014 et le programme de stabilité pour 2014 du Luxembourg.
Le Luxembourg vise dans son programme de stabilité un objectif budgétaire à moyen terme de 0,5 % du PIB en 2016, sachant qu’il y a aura en 2015 un écart significatif, vu la chute des recettes de TVA liées au commerce électronique. L’excédent structurel des administrations publiques (recalculé) devrait reculer de 1,4 % du PIB en 2013 à 1,1 % en 2014, avant de devenir un déficit de 0,1 % du PIB en 2015. Pour la Commission, "considérés dans leur ensemble, les objectifs du programme respectent en partie les exigences du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance, avec un écart notamment en 2015." Néanmoins, selon les prévisions de la Commission, qui "ne tiennent pas compte des dernières mesures annoncées, l’excédent structurel devrait diminuer à 0,6 % du PIB en 2014 pour se muer en un déficit de 1,3 % du PIB en 2015." Elle estime, partant de là, "qu’il existe des risques pour la réalisation des objectifs du programme, qui ne respectent qu’en partie les exigences du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance, en particulier à partir de 2015."
La Commission aborde aussi la question de la loi qui transpose en droit national les dispositions du TSCG en matière d’exigences applicables aux cadres budgétaires, mais dont le dépôt à la Chambre n’a eu lieu qu’en mars 2014, suite à la démission du gouvernement en juillet 2013. La Commission souligne que "le projet ne prévoit pas de règle nationale en matière de dépenses qui orienteraient la fixation des objectifs de dépenses pluriannuels", mais qu’il "comporte toutefois des dispositions visant au respect de la trajectoire d’ajustement à l’objectif à moyen terme." Elle souligne de même qu’il "prévoit notamment de confier la tâche de contrôle indépendant de l’application des règles budgétaires à un nouvel organisme, le Conseil national des finances publiques."
La Commission fait ensuite le constat que "les recettes fiscales provenant de la TVA seront affectées par les nouvelles dispositions relatives aux recettes de TVA générées par le commerce électronique" et que "le gouvernement a annoncé un relèvement des taux normaux de TVA de 2 points de pourcentage qui devrait compenser une partie de la perte de recettes." Mais elle ne semble pas satisfaite de cette mesure et observe que "vu le recours fréquent aux taux réduit et super réduit, des recettes supplémentaires peuvent être obtenues en étendant l’application du taux de TVA normal de manière à compenser davantage les pertes précitées."
La Commission se réfère à un rapport de 2012 sur le vieillissement pour dire que "les dépenses publiques brutes consacrées aux retraites en pourcentage du PIB au Luxembourg devraient passer de 9,2 % à 18,6 % du PIB en 2060, principalement à cause des dépenses liées au vieillissement et, en particulier, aux retraites."
Elle juge que "l’ampleur de la réforme des retraites adoptée en 2012 est plutôt limitée et, pour l’essentiel, n’a pas pris en compte la menace pour la viabilité à long terme des finances publiques." Selon elle, "actuellement, le financement à court terme du système de retraite est garanti par le faible taux de dépendance des personnes âgées et repose sur les cotisations versées par la population relativement jeune de travailleurs frontaliers." Mais elle estime qu’à l’avenir, "cette tendance devrait s’inverser et les coûts des retraites, de même que les coûts des soins de longue durée, augmenteront probablement de manière substantielle."
Elle estime aussi que "pour garantir la viabilité financière du système de retraites, une hausse substantielle du taux de cotisation serait nécessaire après 2020, en complément de la modération automatique de l’adaptation des pensions de retraite au niveau de vie." Or, juge-t-elle, "cela entraînera pour la future population active une augmentation notable des charges pesant sur le travail et, partant, une perte de compétitivité des coûts." Et de reprocher au gouvernement de ne pas avoir pris de mesures pour une répartition plus équitable des charges entre générations, "étant donné le taux de remplacement actuellement élevé".
La Commission veut également que l’adaptation des pensions en fonction des hausses de salaires réelles soit plafonnée, ce qui permettrait d’étoffer les réserves pour les retraites.
La Commission demande ensuite "le relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite, qui est actuellement de 59 ans", afin qu’il soit aligné sur l’évolution de l’espérance de vie, la réduction des possibilités de départ anticipé, des incitations financières pour prolonger les carrières, ce qui exige en contrepartie une amélioration de "l’employabilité des travailleurs âgés" à travers la formation professionnelle et l’apprentissage tout au long de la vie.
Par ailleurs, le régime d’assurance-dépendance devrait être revu : "Le Luxembourg doit réduire les besoins futurs en soins de longue durée et les coûts qui en résultent pour en assurer la viabilité. La rentabilité des services de soins de longue durée pourrait aussi être accrue en renforçant la coordination entre la santé et l’aide sociale, en améliorant la fourniture des services et le soutien aux personnes assumant des responsabilités familiales."
Pour la Commission, "le considérable excédent courant actuel du Luxembourg repose sur les services financiers", mais il "masque un déficit persistant et croissant de la balance commerciale pour les biens qui résulte d’une croissance faible des exportations". La Commission juge que "cette évolution reflète l’importance croissante du secteur des services dans l’économie, mais elle découle aussi d’une perte davantage structurelle de compétitivité des coûts." Pour elle, "la récente augmentation constante du coût unitaire de la main-d’œuvre a nui à la compétitivité du tissu industriel luxembourgeois."
Partant de là, elle scrute le système d’indexation des salaires dont la modulation cessera fin 2014. La nouvelle idée de la Commission est que le Luxembourg aille vers un système d’indexation réformé qui lierait davantage les salaires à la productivité, ce qui pourrait se faire par une différenciation par secteur.
Au sujet de l’indexation des salaires et des recommandations de la Commission à ce sujet, qui suscitent depuis des années des polémiques au Luxembourg, le Luxemburger Wort cite le 3 juin 2014 la commissaire européenne, Viviane Reding : "La Commission européenne n'a jamais dit au Luxembourg d'éliminer l'indexation automatique des salaires." Elle ajoute : "Non. Le texte est très clair : réformez le mécanisme d'indexation mais c'est la responsabilité du gouvernement avec les partenaires sociaux dans le respect des traditions luxembourgeoises. Dans le cadre de la tripartite. Il n'y a aucun diktat de Bruxelles. Faire des recommandations n'est pas pareil que donner des ordres."
Par ailleurs, la Commission recommande au Luxembourg de réduire sa forte dépendance vis-à-vis du secteur financier qui "constitue un risque structurel pour l’économie luxembourgeoise" : "Le Luxembourg doit se concentrer sur le développement de sociétés très spécialisées qui servent de tremplin à une croissance fondée sur l’innovation", exige la Commission, sans recourir au conditionnel. Or, ici le bât blesse, puisqu’en dépit du quadruplement de l’intensité de R & D du secteur public depuis 2000, "le Luxembourg n’est pas en bonne voie de réaliser son objectif d’intensité de R & D pour 2020, fixé à 2,3-2,6 % du PIB, étant donné la forte diminution de l’intensité de R & D des entreprises (qui a chuté de 1,53 % du PIB en 2000 à 1 % en 2012)."
La Commission européenne trouve également que, "malgré l’adoption de plusieurs mesures, le chômage des jeunes demeure élevé, s’établissant à 17,4 % de la population active en 2013, même s’il est en baisse par rapport aux 18 % enregistrés en 2012." Les causes : le faible niveau d’études des jeunes chômeurs, un système d’éducation confronté à bon nombre de défis particuliers dont le multilinguisme et les compétences spécifiques exigées par un marché du travail très spécialisé caractérisé par un secteur financier important.
Pour la Commission, "les réformes de l’enseignement primaire et secondaire doivent être poursuivies." En outre, la qualité et l’attractivité de l’enseignement et de la formation professionnels devraient être encore améliorées afin de fournir au marché du travail une main-d’œuvre qualifiée, incluant notamment les personnes issues de l’immigration.
La Commission a aussi des mots très durs pour "le système de prélèvements et de prestations" sociaux qui est, selon elle, "à l’origine de très nombreux pièges sur le marché du travail", dans la mesure où il est "à un niveau parmi les plus élevés de l’UE, pour toutes les tranches de rémunération et toutes les compositions familiales". Elle juge aussi que "les politiques d’activation restent faibles", car y participer n’est pas obligatoire pour les chômeurs, et s’ils y participent, ils ne sont pas obligés en même temps de poursuivre la recherche d’un emploi.
La Commission estime que le Luxembourg, qui s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, dans les secteurs non couverts par le SEQE (système d’échange de quotas d’émission), de 20 % d’ici à 2020, ratera de 23 points de pourcentage son objectif.
Elle scrute également le "tourisme à la pompe". Il est à l’origine de 70 % des émissions imputables au secteur des transports, un problème que le gouvernement luxembourgeois a cerné depuis 2013. Mais elle estime que "des mesures plus spécifiques et à long terme sont nécessaires". Car "la fiscalité environnementale représentait 2,4 % du PIB en 2012, contre 3,1 % en 2004", alors que "les taxes sur les carburants utilisés pour les transports sont élevées, 2,2 % du PIB", et ce malgré le traitement fiscal préférentiel du gazole. Bref, le Luxembourg peut améliorer sa conception des taxes environnementales, "notamment par une augmentation de la fiscalité sur les produits énergétiques destinés aux transports".
Le Conseil se basera sur les analyses de la Commission pour discuter, déterminer et adresser ensuite en juillet 2014 les recommandations spécifiques formulées le 2 juin par la Commission aux Etats membres de la zone euro. Il est écrit que "le Luxembourg devrait (…) veiller à mettre en œuvre intégralement et en temps utile ces recommandations".