Le 28 août 2014, la Commission européenne a annoncé la publication d’ un nouvel ensemble de règles pour gérer les différends entre investisseurs et États dans le cadre des accords d’investissement conclus avec ses partenaires commerciaux. Ce règlement relatif à la responsabilité financière dans le cadre des futurs différends investisseur-État "est une nouvelle pierre à l’édifice que nous nous efforçons de construire pour disposer d’un mécanisme transparent, fiable et équilibré de règlement des différends entre investisseurs et États dans la politique d'investissement et la politique commerciale de l'Union", a déclaré Karel de Gucht, commissaire européen chargé du commerce, selon un communiqué de presse de la Commission européenne.
Les règles édictées définissent qui est le mieux placé pour défendre les intérêts des États membres et de l'Union en cas de contestation par un demandeur d’un pays tiers relevant de la procédure du règlement des différends investisseur-État (RDIE), elle-même prévue dans le cadre des accords commerciaux de l’Union mais aussi du traité sur la Charte de l’énergie, dans lequel figure déjà une telle procédure de règlement des différends. Ces règles déterminent également les principes de la répartition d’éventuels coûts ou indemnisations.
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les investissements sont devenus partie intégrante de la politique commerciale commune, elle-même devenue une compétence exclusive de l’UE. C’est pour cette raison que la Commission européenne négocie désormais aussi le volet "Investissements" des accords commerciaux au nom de l’Union, comme c’est le cas dans le cadre des accords de libre-échange avec le Canada et les Etats-Unis (TTIP).
Dans sa communication du 7 juillet 2010, intitulée Vers une politique européenne globale en matière d’investissements internationaux, la Commission européenne avait déjà souligné qu’avec le traité de Lisbonne, "les futurs accords de l’UE comportant la protection des investissements devraient contenir des dispositions relatives au règlement des différends entre les investisseurs et l’État". Elle notait que "le parcours est semé d’embûches car, d’une part, le règlement des différends entre les investisseurs et l’État revêt un caractère unique en droit économique international et, d’autre part, l’Union n’a pas été un acteur majeur dans ce domaine par le passé"
Par une résolution du 6 avril 2011 sur la future politique européenne en matière d’investissements internationaux, le Parlement européen avait estimé que le système alors en place devait être "profondément modifié pour intégrer une transparence accrue, la possibilité pour les parties d'introduire des recours en appel, l'obligation d'épuiser les recours juridiques locaux lorsqu'ils sont suffisamment fiables pour garantir une procédure équitable, la possibilité de recourir à la pratique de l'amicus curiae et l'obligation de choisir un seul lieu d'arbitrage entre les investisseurs et l'État".
Le Parlement invitait aussi la Commission européenne à intégrer un chapitre sur le règlement des différends dans chaque nouveau traité d'investissement conclu par l'Union et à présenter un règlement "sur la manière dont les responsabilités doivent être réparties entre les niveaux européen et national, en particulier sur le plan financier, dans l'hypothèse où l'Union européenne perdrait dans le cadre d'une affaire soumise à l'arbitrage international".
La Commission européenne avait présenté une proposition de règlement le 21 juin 2012. Le texte avait été adopté en lecture unique par le Parlement européen le 16 avril 2014, par 535 voix, 119 contre et 9 abstentions. A noter que lors de ce dernier vote, deux des six eurodéputés luxembourgeois, le député socialiste Robert Goebbels et le député Déi Gréng Claude Turmes s'étaient exprimé contre le texte.
Il existe actuellement 3000 traités bilatéraux d’investissement en vigueur à l’échelle mondiale, dont plus de 1400 sont conclus par des États membres de l’UE, ainsi que le rapporte la Commission européenne dans son communiqué de presse. La grande majorité de ces traités comprennent une procédure de RDIE, en tant que mécanisme d’exécution nécessaire pour les investisseurs dans des pays tiers. "Les investisseurs de l’UE sont les utilisateurs les plus fréquents de cette procédure à l’échelon mondial", précise la Commission.
Dans ses accords, "l’Union inclut des obligations de transparence pour les entreprises, de sorte que tous les documents et toutes les audiences soient publics, des dispositions en matière de lutte contre les abus du système et des mesures garantissant l’indépendance et l’impartialité des arbitres", ajoute la Commission européenne.
Cette dernière précise par ailleurs qu’elle mène actuellement des négociations sur les investissements, y compris sur leur protection, avec la Chine et le Myanmar, et, dans le cadre plus large de discussions sur les accords de libre-échange avec le Canada, l’Inde, le Japon, le Maroc, Singapour, la Thaïlande, le Vietnam et les États-Unis.
Elle mentionne entre parenthèses que ce dernier accord est "actuellement en suspens, pendant la durée de la consultation publique sur les investissements dans le cadre du partenariat transatlantique de commerce et d'investissement". Le 27 mars 2014, la Commission européenne a en effet dû lancer une telle consultation en raison de la mobilisation de la société civile contre certaines clauses de négociations de l’accord TTIP avec les Etats-Unis et notamment la négociation d’un tel mécanisme de RDIE avec les Etats-Unis. La Commission européenne soutenait alors que "le mécanisme de RDIE offre aux investisseurs un terrain neutre et apolitique pour la résolution de tels différends".
Toutefois, le RDIE n’a pas convaincu tous les Etats membres. Le 22 mai 2014, le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois Jean Asselborn avait plaidé pour que l’UE renonce au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats, en réponse notamment à la mobilisation d’une Plate-forme d’ONG qui demandait l’arrêt des négociations. Fin juillet 2014, des sources européennes avaient rapporté que l’Allemagne s’opposerait à la signature de l’accord de libre-échange avec le Canada déjà négocié en raison de l’inclusion du mécanisme RDIE.
Toutefois, le "relatif à la responsabilité financière dans le cadre des futurs différends investisseur-État", adopté par la Commission européenne, entre en vigueur le 17 septembre 2014. Ses règles seront appliquées uniquement lorsqu'apparaîtront effectivement des litiges entre investisseurs et États dans le cadre d'accords de l'UE comportant un mécanisme de RDIE.
Par ce règlement, la Commission est tenue de transmettre chaque année au Parlement européen et au Conseil une liste des demandes de consultations introduites par les demandeurs, des plaintes et des décisions arbitrales. La Commission est aussi tenue de présenter au Parlement européen et au Conseil un rapport détaillé sur la mise en œuvre du règlement. Le rapport doit contenir "toutes les informations utiles, y compris la liste des plaintes introduites à l’encontre de l’Union ou des États membres, les procédures et décisions de justice y afférentes, ainsi que l’incidence financière sur le budget de l’Union". Le premier rapport du genre doit être présenté au plus tard le 18 septembre 2019.
Avec ce règlement, l’UE "vise à introduire des améliorations substantielles dans les mécanismes de RDIE, en exigeant un renforcement de la transparence, de la responsabilité et de la prévisibilité", dit la Commission européenne.
Le règlement pose pour principe que "les États membres défendront toute contestation de leurs propres mesures et l’UE défendra les mesures prises au niveau de l’UE". Et, dans tous les cas, "il y aura une étroite coopération et une transparence au sein de l’Union européenne et de ses institutions", signale la Commission européenne dans son communiqué de presse. Il en découle que l’Union devra, en principe, assurer la défense en cas de plainte fondée sur la violation de règles inscrites dans un accord relevant de sa compétence exclusive, que le traitement en question ait été accordé par l’Union elle-même ou par un État membre.
Lorsque la Commission reçoit l’avis par lequel un demandeur fait part de son intention d’engager une procédure d’arbitrage conformément à un accord, elle est, selon le règlement, tenue de le notifier immédiatement à l’État membre concerné. La Commission doit aussi informer le Parlement européen et le Conseil, dans les quinze jours ouvrables suivant la réception de l’avis, "du nom du demandeur, des dispositions de l’accord dont la violation est alléguée, du secteur économique concerné, du traitement prétendument contraire à l’accord et du montant des dommages et intérêts réclamés".
Lorsqu’un État membre reçoit l’avis par lequel un demandeur fait part de son intention d’engager une procédure d’arbitrage, il doit également le notifier immédiatement à la Commission. S’il décide d’agir en qualité de partie défenderesse, l’État membre, à tous les stades du différend, doit fournir en temps utile à la Commission les documents pertinents relatifs à la procédure, l’informer de toutes les étapes importantes de la procédure et, sur demande, procéder à des consultations avec la Commission et autoriser des représentants de cette dernière à faire partie de la délégation représentant l’État membre.
Le règlement entrevoit également la possibilité que les États membres puissent préférer que l’Union agisse à leur place en qualité de partie défenderesse, "par exemple pour des raisons d’expertise technique". Les États membres devraient donc avoir la possibilité de refuser d’agir en qualité de partie défenderesse, tout en conservant leur responsabilité financière.
Pour sa part, la Commission peut décider "au moyen d’actes d’exécution, sur la base d’une analyse factuelle complète et équilibrée et d’une argumentation juridique communiquées aux États membres", que l’Union doit agir en qualité de partie défenderesse sous différentes conditions :
- au cas où l’Union supporterait la totalité ou au moins une partie de la responsabilité financière potentielle liée au différend
- au cas où le différend porte également sur un traitement accordé par les institutions, organes ou organismes de l’Union
- au cas où un traitement semblable est mis en cause dans une plainte connexe introduite à l’encontre de l’Union auprès de l’OMC, lorsqu’un panel arbitral a été constitué et que la plainte concerne le même point de droit spécifique et lorsqu’il est nécessaire d’assurer une argumentation cohérente dans l’affaire portée devant l’OMC.
L’UE doit néanmoins fournir, dans ces derniers cas, à l’État membre concerné les documents pertinents relatifs à la procédure, l’informer de toutes les étapes importantes de la procédure et, chaque fois qu’il en fait la demande, procéder à des consultations avec l’État membre concerné. La Commission européenne et l’État membre sont tenus de coopérer étroitement à la préparation de la défense, tandis que l’Etat membre est représenté dans la délégation de l’Union à la procédure.
Le règlement traite également de la responsabilité financière. L’UE devrait supporter la responsabilité financière lorsque le traitement en cause est accordé par une institution, un organe ou un organisme de l’Union. Dans le cas où l’État membre agit d’une manière prescrite par le droit de l’Union, par exemple en transposant une directive adoptée par l’Union, l’Union elle-même devrait assumer la responsabilité financière dans la mesure où le traitement en cause est requis par le droit de l’Union.
Lorsque la Commission conclut qu’un État membre est responsable financièrement et que l’État membre conteste cette conclusion, la Commission devrait acquitter l’indemnité allouée, mais elle devrait également adresser une décision à l’État membre lui enjoignant de verser au budget de l’Union les montants correspondants, majorés des intérêts dus. L’État membre pourrait contester la décision devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Le règlement s’occupe également de certains cas où il est opportun de parvenir à un accord transactionnel "afin d’éviter un arbitrage coûteux et inutile". Si la Commission qui agit en qualité de partie défenderesse dans un différend portant sur un traitement accordé, en tout ou partie, par un État membre, estime qu’un accord transactionnel serait dans l’intérêt financier de l’Union, elle doit au préalable consulter l’État membre concerné.
Si l’UE agit en qualité de partie défenderesse dans un différend qui est susceptible d’engager la responsabilité financière d’un État membre sans que celle de l’Union soit engagée, seul l’État membre concerné peut régler le différend par voie d’un accord transactionnel.
Dans un différend qui engage sa responsabilité financière et celle d’un État membre, la Commission ne peut pas régler le différend par voie d’un accord transactionnel sans l’approbation de l’État membre concerné. Lorsque l’État membre n’accepte pas que le différend soit réglé par voie d’un accord transactionnel, la Commission peut néanmoins décider, sur la base d’une analyse factuelle complète et équilibrée et d’une argumentation juridique, tenant compte de l’analyse produite par l’État membre et démontrant l’intérêt financier de l’Union et de l’État membre concerné, de conclure un tel accord à condition que celui-ci n’ait aucune incidence financière ou budgétaire pour l’État membre concerné.
Selon le règlement, l’État membre doit demeurer libre de régler à tout moment l’affaire par voie d’accord transactionnel, pour autant qu’il accepte l’entière responsabilité financière et que cet accord transactionnel soit compatible avec le droit de l’Union.