Dans un communiqué de presse publié le 8 octobre 2014, la Commission européenne signale qu’elle a jugé le plan britannique de subventionnement du projet de construction de réacteurs nucléaires de type EPR sur le site de Hinkley Point compatible avec les règles européennes concernant les aides d’Etat. La Grande-Bretagne avait modifié les termes de son projet de financement. "Le résultat est que l’aide d’Etat fournie restera proportionnée à l’objectif poursuivi, en évitant toute distorsion de concurrence sur le marché unique", explique la Commission européenne.
La Commission européenne rappelle dans son communiqué que la construction de ce qui deviendrait la plus grande centrale nucléaire britannique en 2023, nécessite un besoin d’un financement de la dette de 21,6 milliards d’euros, tandis que les coûts de construction s’élèveraient à 31,2 milliards d’euros, alors que jusqu’alors c’est le chiffre de 19 milliards d’euros qui circulait.
Le contrat conclu par la Grande Bretagne avec l’opérateur français EDF de la centrale nucléaire assure qu’il recevra des revenus stables pendant 35 ans. L’opérateur bénéficiera également d’une garantie étatique couvrant chaque dette que l’opérateur cherchera à obtenir sur les marchés financiers pour financer la construction de la centrale.
Pendant l’enquête, les autorités britanniques ont démontré que le soutien remédie une "défaillance du marché", "éloignant les doutes initiaux de la Commission", fait savoir cette dernière. Pour cause, sans aide étatique, "les promoteurs du projet ne serait pas en mesure d’obtenir le financement nécessaire à ce projet en raison de sa nature et de sa taille sans précédent”, avance le communiqué de presse.
La Commission ajoute que les modifications apportées "déchargeront considérablement les contribuables britanniques". "Sur cette base et après une enquête approfondie, la Commission peut maintenant conclure que le soutien est compatible avec le régime européen sur les aides d’Etat", dit-elle.
La rémunération payée au Trésor britannique par l’opérateur avait été jugée trop basse par la Commission, au vu du risque inhérent à un tel projet. L’augmentation des frais à laquelle a cédé la Grande-Bretagne, suite à l’intervention de la Commission, réduit le subside de plus de 1,3 milliard d’euros.
De plus, "les gains générés par le projet seront mieux partagés avec les consommateurs britanniques", poursuit le communiqué de presse. Un mécanisme, prévu pour perdurer durant toute la vie du projet, soit 60 ans, prévoit que si l’opérateur engrange des gains qui excèdent ceux estimés au moment de la décision de subvention, chaque gain supplémentaire sera partagé avec l’entité publique apportant le soutien public. De plus, il est défini un seuil plus élevé au-dessus duquel l’entité publique obtiendra plus de la moitié des gains. Ces gains seront partagés avec les consommateurs britanniques par une baisse du prix payé par l’entité publique à l’opérateur. Il avait été prévu que l’Etat britannique garantisse un prix du mégawatt/heure de 90 livres sterling, soit le double des prix actuels du marché. Une augmentation d’1 % du profit génèrerait une épargne de plus 1,5 milliard d’euros par rapport au plan initial.
En conférence de presse, le commissaire européen à la Concurrence, Joaquin Almunia, a rappelé que la Commission avait décidé en avril 2014 de renoncer à proposer des règles spécifiques pour l’examen des subventions publiques au secteur de l’énergie nucléaire dans le cadre des nouvelles règles sur les aides d'État à la protection de l'environnement et à l'énergie. Le commissaire a estimé que cette décision "ne constitue en aucun cas un précédent", et que tout nouveau cas d'aide publique à un projet énergétique "sera évalué selon ses propres mérites". De même, il estime qu’"aucun projet d’investissement pour les énergies renouvelables n’en sera empêché".
Ces arguments n’ont pas convaincu l’Autriche, Etat membre particulièrement opposé au recours à l’énergie nucléaire. L’Autriche avait déjà annoncé à la fin du mois de septembre 2014, suite à des indiscrétions concernant l’accord que s’apprêtait à donner la Commission européenne, qu'elle attaquerait devant la Cour de justice de l'UE toute décision de la Commission autorisant les aides du gouvernement britannique. "Nous n'accepterons pas la décision d'approuver des subventions au nucléaire. Comme nous l'avons déjà annoncé, nous allons préparer et déposer une plainte devant la Cour européenne de justice", ont fait savoir le chancelier autrichien, Werner Faymann, et le vice-chancelier, Reinhold Mitterlehner, dans un communiqué de presse, aussitôt la nouvelle connue le 8 octobre 2014. "Le nucléaire n’est pas une forme d’énergie durable, elle est une énergie mature depuis des décennies et n’est pas une option dans la lutte contre le changement climatique“, disent-ils.
"La Grande-Bretagne fait barrage, quand il s’agit d’investissements pour la croissance et l’emploi, et on devrait permettre des subventions étatiques pour la centrale britannique Hinkley Point C ?", s’est étonné l’eurodéputé social-démocrate Eugen Freud, selon des propos rapportés par le journal autrichien Kurier.
Les Verts au Parlement européen entendent également faire annuler cette décision par la Cour de justice de l’Union européenne. "Il ne fait aucun doute que les conditions généreuses offertes par le gouvernement britannique à EDF sur Hinkley Point C équivalent à une aide d'État illégale en vertu des règles de l'UE", estime Michèle Rivasi, vice-présidente du Groupe des Verts-ALE et membre de la Commission ITRE. "Nous avions argumenté et justifié le refus de cet accord auprès de la Commission qui a fait la sourde-oreille sachant très bien que le temps comptait en sa faveur et qu’elle n’aurait plus à se justifier". "L’accord conclu aujourd’hui va avoir un impact dévastateur sur les véritables investissements d’avenir, pour des énergies propres, sûres et renouvelables, et crée un précédent inquiétant pour l’ambition énergétique de l’Union européenne. Cette renaissance forcée du nucléaire, contre les règles de la concurrence et du marché européen pourtant défendues et protégées par la Commission, est un véritable scandale", a-t-elle poursuivi.
Dans le même communiqué de presse, l’eurodéputé luxembourgeois et porte-parole du groupe des Verts/ALE sur l’énergie, Claude Turmes, a déclaré que la décision de la Commission est "un scandale". "Il s'agit ici d'un mélange explosif entre folie économique, non-respect du principe pollueur-payeur ni des lois existantes sur la marché interne de l'énergie", juge-t-il. Il va jusqu’à parler de "conspiration entre certains gouvernements comme par exemple la Grande Bretagne, l'électricien monopolistique français EDF et le président de la Commission Barroso ainsi que les Commissaires Oettinger et Almunia".
Membre du groupe S&D, l’eurodéputée britannique du parti travailliste Clare Moody, s’est au contraire réjouie que "Hinkley Point va fournir des emplois de haute qualité, à long terme et une croissance durable pour les communautés locales". "En tant qu’investissement à long terme qui apporte de nouvelles compétences de haute qualité au marché du travail dans le Somerset et le Royaume-Uni, Hinkley bénéficiera à l’économie locale et assurera des carrières dans des secteurs en expansion." et elle a ajouté : "L’énergie nucléaire est pauvre en émission de carbone et facile à produire. Elle assurera que nous garderons les lumières britanniques allumées et nos émissions de gaz à effet de serre à un niveau bas."
Le 4 octobre 2014, la radio socio-culturelle 100komma7, avait révélé que la ministre luxembourgeoise de l’Environnement, Carole Dieschbourg, avait adressé un courrier au président de la Commission pour dire son opposition à l’autorisation d’une subvention britannique à l’énergie nucléaire.
Dans un communiqué de presse, Greenpeace Luxembourg appelle le gouvernement à "montrer de la suite dans les idées", en imitant l’exemple autrichien par le dépôt d’une plainte auprès de la Cour de justice de l’UE.
Greenpeace Luxembourg pense que "cette décision contredit le droit européen et constitue une distorsion de concurrence". La Commission pave "le chemin vers la construction de nouvelles centrales nucléaires", alors qu’à l’heure actuelle, "aucune entreprise européenne construirait une centrale nucléaire de sa poche. Les centrales sont considérées comme trop risquées financièrement." "Les subventions publiques rendraient de nouveau les centrales nucléaires rentables, tandis que la production d’électricité propre et sûre à partir du soleil et du vent serait freinée", craint Greenpeace.
Documentation
La version non confidentielle de la décision sera publiée dans le Registre des aides d’Etat sous le numéro SA 34947.