Dans des courriers séparés, la ministre luxembourgeoise de l’Environnement, Carole Dieschbourg, et l’eurodéputée CSV, Viviane Reding, demandent à la Commission européenne de renoncer à autoriser la construction de deux réacteurs de type EPR à la centrale nucléaire britannique de Hinkley Point, au regard du régime d’aides d’Etat.
Aspirant à renouveler 20% de son parc de réacteurs nucléaires dans les dix prochaines années, le gouvernement britannique s’est mis d’accord en octobre 2013 avec le producteur français d'électricité EDF, allié à deux groupes chinois, pour la construction de deux réacteurs nucléaires à eau pressurisée (EPR) à la centrale nucléaire Hinkley Point, dans la région anglaise du Somerset. A partir de 2023, cette centrale pourrait ainsi assurer 7 % des besoins en électricité du Royaume-Uni.
Afin de conclure cet accord, le gouvernement britannique s’est engagé à garantir un prix du mégawatt/heure autour de 90 livres sterling pendant 35 ans à EDF, soit le double des prix du marché actuel. En décembre 2013, la Commission européenne avait décidé de lancer une enquête sur le projet britannique, au titre du régime des aides d’Etat. Du 7 mars au 7 avril 2014, il y avait déjà eu une consultation publique, à laquelle le Nationalen Aktiounskomitee géint Atomkraaft (LIEN) (Comité d’action national contre l’énergie nucléaire) avait d’ailleurs appelé ses sympathisants à participer en masse.
Au milieu du mois de septembre 2014, plusieurs agences de presse, dont Reuters et l’AFP, avaient rapporté que le commissaire européen en charge de la Concurrence, Joaquim Almunia, avait fait savoir à EDF qu’il donnait son accord à cette forme de subventionnement étatique et que le Collège des commissaires allait adopter sa position finale durant le dernier mois de son mandat, en octobre 2014.
Seul le groupe politique des Verts européens avait réagi par communiqué de presse à cette annonce. Le 23 septembre 2014, Michèle Rivasi, vice-Présidente du groupe des Verts/ALE avait parlé d’informations "choquantes" qui, "si elles s'avèrent véridiques, témoignent du poids du lobby nucléaire au sein de la Commission européenne". "Quand on voit la débâcle financière des réacteurs EPR en construction à Flamanville et Olkiluoto - dont les coûts ont quasiment triplé, atteignant désormais 8.5 milliards d'euros - ainsi que l'accumulation des retards (de 3 à 9 ans), sans parler des malfaçons, il est simplement irresponsable de faire supporter aux citoyens britanniques un tel risque économique et environnemental", avait également dit l’eurodéputée.
Le 4 octobre 2014, la radio socio-culturelle 100komma7 rapportait l’information que la ministre luxembourgeoise de l’Environnement, Carole Dieschbourg, a fait part dans une lettre à la Commission européenne, de ses « sérieuses préoccuaptions » vis-à-vis d’une telle décision. Elle rappelle dans sa missive que le gouvernement luxembourgeois est contre l’énergie nucléaire et que les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique fixés pour 2030 devaient être atteints par les énergies renouvelables, et non l’énergie nucléaire. Enfin, la ministre déclarait que la Commission Juncker, qui devrait entrer en fonctions le 1er novembre 2014, devrait elle aussi être associée à cette décision.
Le lendemain, le 5 octobre 2014, l’eurodéputée, Viviane Reding, a fait savoir dans un communiqué de presse qu’elle avait adressé une question parlementaire au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, dans laquelle elle lui pose la question suivante : "Est-il politiquement intelligent, à une époque où la plupart des pays, dont le Luxembourg, veulent sortir du nucléaire, de permettre, voire même de soutenir avec de l’argent public, un réacteur ?".
L’ancienne commissaire européenne demande "des éclaircissements par écrit sur les intentions exactes de la Commission" et s’interroge sur la légitimité de la Commission Barroso de prendre une "décision si importante" juste avant la fin de son mandat. Autoriser le subventionnement de cette énergie nucléaire pourrait favoriser l’énergie atomique et freiner les investissements dans des sources d’énergie renouvelables.
Dans son journal du 6 octobre 2014, la radio socio-culturelle 100,7 a rappelé la position de l’eurodéputé vert, Claude Turmes, exprimé une semaine plus tôt sur son antenne, disant notamment que le nucléaire qui est une énergie très dangereuse et chère ne devait être financée par les contribuables.
Dès juillet 2013, Claude Turmes s’était d’ailleurs opposé au projet de Hinkley Point. Dans une lettre adressée aux commissaires en charge de la concurrence, Joaquim Almunia, et de l’Energie, Günther Oettinger, cosignée avec Rebecca Harms, co-présidente du groupe Verts/ALE, Claude Turmes contestait, étude juridique à l’appui, que l’énergie nucléaire puisse faire l’objet d’une aide d’Etat.
Selon les deux cosignataires, les aides d’Etat peuvent être approuvées sous conditions dans le cadre de "les lignes directrices concernant les aides d'Etat à la protection de l'environnement" de 2008 et dans le cadre de la directive sur le marché intérieur de l’électricité de 2009. Or, dans le premier cas, l’efficacité énergétique et les renouvelables sont éligibles aux aides d’Etat. Tandis que dans le second cas, l’Etat peut seulement subventionner des technologies naissantes pour résoudre des problèmes de sécurité d’approvisionnement. Mais, aucune de ces catégories ne correspondrait au projet d’EPR à Hinkley Point, faisait valoir Claude Turmes et Rebecca Harms, le nucléaire n’étant ni efficace énergétiquement, ni renouvelable ni une technologie nouvelle.
La lettre demandait que les deux commissaires ne cèdent pas à la pression du gouvernement britannique visant à rendre les subventions au nucléaire éligibles "aux lignes directrices ou révisées des aides d’Etat". En cet été 2013, il avait été rapporté que le commissaire européen à la Concurrence envisageait l’introduction de règles spécifiques pour l’examen des subventions publiques au secteur de l’énergie nucléaire. Le projet avait été finalement abandonné le 8 octobre 2013. Selon les nouvelles règles sur les aides d'État à la protection de l'environnement et à l'énergie adoptées le 9 avril 2014, les aides d’Etat au nucléaire restent examinées au cas par cas.