Lors de son audition qui s’est tenue en fin de journée le 2 octobre 2014, Margrethe Vestager, commissaire désignée à la Concurrence, a obtenu l’appui satisfait la majeure partie des eurodéputés. Elle a reçu l’adoubement des coordinateurs de la commission économique du PE.
Membre du parti social-libéral danois, qu’elle a présidé à 25 ans (de 1993 à 1997) et qui fait partie du groupe politique européen ALDE, Margrethe Vestager a été membre du Parlement européen de novembre 2001 à octobre 2011, quand elle est devenue ministre des affaires économiques et de l’intérieur (d’octobre 2011 à septembre 2014). Elle a durant ce dernier mandat présidé le conseil Ecofin durant la présidence danoise du 1er semestre 2012. Cette Danoise de 46 ans a déjà connu, avant d’être eurodéputée, une expérience ministérielle aux portefeuilles de l’éducation (décembre 2000 – novembre 2001) ainsi qu’à l’éducation et aux affaires ecclésiastiques (mars 1998 – décembre 2000).
Dans sa lettre de mission, Jean-Claude Juncker a demandé à Margrethe Vestager de fixer son attention sur trois points-clés :
• User les outils de politique de la concurrence et d’expertise du marché de manière à ce qu’ils contribuent à l’emploi et à la croissance, dans des domaines tels que le marché numérique unique, la politique énergétique, les services financiers, la politique industrielle et la lutte contre l’évasion fiscale.
• Poursuivre l’application efficace des règles de concurrence dans les domaines de l’antitrust et des cartels, fusions et aides d’Etat, en maintenant les instruments de la concurrence en ligne avec les développements du marché et en promouvant une culture de la concurrence dans l’UE et mondialement.
• Maintenir et renforcer la réputation de la Commission mondialement et promouvoir la coopération international dans le domaine.
Durant son audition, Margrethe Vestager a déclaré qu’elle accorderait un « rôle crucial » à la politique de la concurrence pour relancer la croissance. "Avec des règles concurrentielles fortes, nous pouvons tirer profit de la mondialisation. (…) De meilleures réglementations en la matière soutiennent les entreprises. Sans les règles de concurrence, les produits seraient plus chers et les entreprises s'en trouveraient moins innovantes", a-t-elle expliqué, selon des propos rapportés par Euractiv.
"Neutralité, impartialité, rigueur", seront les trois dénominateurs de son action politique qu’elle mènera sous la supervision du vice-président de la Commission en charge de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité.
Promettant un dialogue fréquent avec le Parlement européen, Margrethe Vestager a également promis d’écouter petits et grands acteurs du marché. "Je n’empêcherai pas les grandes entreprises de mener une concurrence par la qualité mais je n’hésiterai pas à défier le comportement des acteurs importants écrasant indûment les petits compétiteurs".
Dans ses réponses aux questions des députés, elle a souligné l’importance du contrôle des concentrations pour "prévenir la création d’un pouvoir de marché excessif susceptible d’empêcher les PME d’affronter la concurrence à armes égales". "Pour prospérer, une entreprise doit non seulement trouver des débouchés, mais aussi pouvoir accéder à des intrants à un prix juste", écrivait-elle.
Durant son audition, la commissaire désignée a aussi reconnu qu’il pouvait être bon de réglementer pour compenser les erreurs du marché, citant en exemple le marché des paiements par carte.
L’ancienne ministre danoise des affaires économiques a souligné qu’"une vigilance particulière est importante dans les secteurs énergétique et numérique". "Vous gagnez énormément en valeur si vous êtes en possession de milliards de données de personnes que vous pouvez utiliser pour mener de nouvelles analyses. Je pense que nous n'avons pas encore saisi l'importance et le rôle des entreprises numériques. Je souhaiterais travailler avec le commissaire au numérique sur les questions liées aux libertés individuelles et à la concurrence", a-t-elle déclaré selon Euractiv.
Interrogé sur la posture qu’elle adopterait vis-à-vis du géant de l’internet Google, que des entreprises accusent de les défavoriser à travers son moteur de recherche, la commissaire désignée n’a pas su entrer dans le détail. Elle a néanmoins donné un aperçu de son approche du problème en déclarant : "Je ne peux pas dire quelles seront les prochaines étapes, mais je suis sûr qu’il y en aura", a-t-elle déclaré. Son futur prédécesseur Joaquim Almunia a appelé le 23 septembre 2014 l’entreprise américaine à revoir ses propositions d’engagements pris en février 2014 pour remédier aux entraves à la concurrence, lors d’une audition au Parlement européen.
Margrethe Vestager a d’ailleurs aussi annoncé qu’elle allait poursuivre et bientôt achever l’enquête contre le Russe Gazprom, qui se voit reprocher d’utiliser sa position dominante.
Concernant les aides accordées par des Etats membres aux entreprises par le moyen de réductions fiscales, dossier qui concerne notamment le Luxembourg pour le traitement fiscal réservé à Fiat Finance and Trade, la commissaire-désignée a prévenu qu’elle appliquerait strictement les règles relatives aux aides d’Etat et qu’elle mettrait fin aux montages fiscaux qui constituent des "aides d’Etat illégales".
"La majorité des entreprises s'acquittent de leurs impôts, mais elles voient que certaines d'entre elles obtiennent des accords spéciaux, ainsi qu'un régime fiscal favorable", a-t-elle constaté, en promettant de ne pas utiliser la politique de concurrence pour amener la politique fiscale au niveau européen "par la petite porte".
Elle a déclaré que la lutte contre les cartels sera une de ses principales priorités, comme elle l’avait déjà expliqué plus en détails dans ses réponses écrites aux questions des députés. Elle est en faveur de l’application d’amendes dissuasives, allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel, en cas d’entente entre acteurs économiques. Elle a déclaré qu’il fallait compter également pour mener ce combat sur les actions en dommages et intérêts, et qu’elle engagerait une révision détaillée de la directive afférente, adoptée le 17 avril 2014 par le Parlement européen.
Dans leurs questions à la commissaire-désignée, les eurodéputés rappelaient que le Parlement a demandé dans ses trois derniers rapports annuels sur la politique de concurrence que soit mis fin le plus rapidement possible au régime des aides d’État lié à la crise, mis en place pour soutenir le secteur bancaire. Margrethe Vestager avait en réponse souligné que "le contrôle des aides d’État exercé par la Commission a eu pour but de veiller à ce que les établissements financiers bénéficiaires d’aides d’État fassent l’objet d’une restructuration adéquate afin de redevenir viables ou, dans l’impossibilité de rétablir la viabilité, soient retirés du marché". Elle mentionnait également la communication de la Commission concernant le secteur bancaire en date du 1er août 2013, par laquelle elle a pris des mesures importantes supplémentaires pour protéger le contribuable et limiter le montant des aides.
Durant l’audition, elle a rappelé sa volonté de "sortir de cette situation très spéciale où les contribuables sont priés de payer encore et encore pour les banques qui ont pris d’énormes risques durant une période très critique". Elle entend ainsi opérer un basculement du "bail-out", renflouement par des acteurs extérieurs, vers le "bail-in" (renflouement par les banques elles-mêmes).
La commissaire-désignée à la Concurrence a "de solides antécédents qui la qualifie sans aucun doute pour ce poste", a déclaré le groupe PPE à l’issue de l’audition. "Elle est bien préparée pour maîtriser un des portefeuilles les plus exigeants de la Commission", a déclaré la porte-parole pour les affaires économiques et monétaires, Burkhard Balz.
Le PPE est notamment satisfait de son positionnement dans le dossier Google, car il souhaite "voir une forte activité d’investigations se poursuivre".
Kay Swinburne, coordinatrice pour le groupe ECR de la commission parlementaire ECON s’est montrée satisfaite que Margrethe Vestager se soit prononcée contre le protectionnisme et en faveur d’une concurrence forte. "Le Commissaire désigné a démontré un respect rafraîchissant pour la subsidiarité", note-elle encore.
Cette audition a également laissé une bonne impression au groupe S&D, selon un communiqué de presse publié le lendemain. Ses réponses font état "d’honnêteté et de bonnes valeurs". "Nous saluons son approche holistique et équilibrée des règles de la concurrence. Toutefois, nous lui demandons de tenir compte des coûts sociaux de toute décision dans le champ de la concurrence", ont déclaré les eurodéputées Elisa Ferreira et Evelyne Gebhardt,
L’eurodéputée luxembourgeoise socialiste, Mady Delvaux-Stehres, a confié sur son site internet avoir été "quelque peu surprise quand elle a annoncé qu’elle était ‘in love with competition’ !" "Et puis, réflexion faite, je comprends: elle aborde une nouvelle étape et investit un champ d’activité qu’elle découvre. Il y a toujours de la magie dans un commencement", poursuit-elle.
Sur Twitter l’eurodéputé vert autrichien, Michel Reimon, a jugé que Margrethe Vestager avait fait "très bonne impression" et qu’elle était "une libérale, qui ne considère pas la concurrence comme un domaine qui penche seulement du côté des grands".