La Commission européenne poursuit son offensive contre la pratique des décisions anticipatives en matière fiscale (tax rulings) adoptées par certaines autorités fiscales nationales, dont notamment au Luxembourg.
Le 30 septembre 2014, la Commission a ainsi publié une version non confidentielle de sa décision du 11 juin 2014 d’ouvrir des enquêtes approfondies pour des soupçons d’aides d’Etats présumées contre l’Irlande et le Luxembourg. Sont visées les pratiques fiscales de deux Etats membres envers certaines entreprises, à savoir Apple en Irlande et Fiat Finances and Trade (FFT) au Luxembourg.
Pour mémoire, les soupçons de la Commission dans le dossier luxembourgeois remontent à plus d’un an et ont donné lieu à de multiples échanges entre le Grand-Duché et la Commission. Ils portent précisément sur la compatibilité avec les règles de l'UE en matière d’aides d’État de certaines pratiques fiscales en vigueur dans certains États membres dans le cadre de la planification fiscale agressive pratiquée par les multinationales, "afin de garantir des conditions de concurrence équitables".
La Commission souligne en effet qu’un certain nombre de multinationales utilisent ces stratégies de planification fiscale "pour réduire leur charge fiscale globale, en tirant profit des spécificités techniques de systèmes fiscaux, réduisant ainsi considérablement leur assujettissement à l'impôt", ce qui a pour effet d'éroder les assiettes fiscales des États membres, qui sont déjà soumis à des contraintes financières. L’enquête vise surtout la pratique des "décisions anticipatives en matière fiscale" (tax rulings) adoptées par les autorités fiscales nationales. La Commission juge que si ces décisions "ne posent pas problème en tant que telles", elles peuvent toutefois impliquer des aides d’État "au sens des règles de l’UE" si elles "sont utilisées pour conférer des avantages sélectifs à une entreprise ou à un groupe d’entreprises déterminés".
Dans son courrier adressé aux autorités luxembourgeoises le 11 juin 2014, la Commission informe le Luxembourg de l’ouverture d’une procédure pour aides d’Etat présumées à destination de FFT, considérant que le Luxembourg n’a notamment pas respecté l’injonction qui lui était faite de fournir les informations demandées.
Dans ce document de 33 pages qui résume les arguments de la Commission dans la procédure engagée contre le Luxembourg, la Commission "estime, à titre préliminaire, que la décision anticipative du Luxembourg en faveur de FFT constitue une aide d'État […]. Elle a également des doutes quant à la compatibilité de cette décision avec le marché intérieur". En effet, elle juge que cette décision anticipative "ne respecte pas le principe de pleine concurrence" en ce que "les autorités luxembourgeoises octroient un avantage à FFT" de cette manière, cette mesure étant par ailleurs considérée "sélective".
En conséquence, la Commission "enjoint au Luxembourg de lui fournir, dans un délai d’un mois à compter de la réception de la présente, tous les documents, informations et données nécessaires pour apprécier l'existence de la mesure d'aide et sa compatibilité avec le marché intérieur. En particulier, elle demande au Luxembourg de confirmer l'identité du bénéficiaire", ce à quoi le Luxembourg s’est refusé en "se retranch[ant] derrière les dispositions en matière de confidentialité au titre du droit luxembourgeois et [en] avan[çant] que ces dispositions leur interdisaient de confirmer l’identité du contribuable", souligne encore la Commission.
Au cas où le Luxembourg ne communiquerait pas toutes les informations demandées "dans le mois" suivant la réception du courrier, la Commission pourrait s’adresser directement au bénéficiaire, à savoir Fiat Finance and Trade Ltd, afin qu’il fournisse ces informations. Enfin la Commission demande au Grand-Duché de lui répondre en particulier sur plusieurs points précis.
Il s’agit notamment pour le Luxembourg : d’expliquer pourquoi les fonds propres des filiales ne sont pas rémunérés et sont soustraits; d'expliquer les paramètres utilisés dans le calcul du risque opérationnel; de fournir toutes les informations nécessaires pour recalculer la valeur des actifs pondérés en fonction des risques, y compris l'exposition vis-à-vis du groupe; de fournir des données chiffrées sur la tarification des prêts et dépôts intragroupe, ainsi que les niveaux moyens des taux d'intérêt facturés sur les prêts intragroupe accordés par FFT et des taux d'intérêt offerts sur les dépôts reçus par FFT en 2012 et 2013, pour chaque entreprise du groupe; de fournir des informations sur les fonctions exercées par FFT et sur les fonctions exercées par d'autres entités du groupe; et enfin de fournir des informations sur les limites de risque fixées par les autres entités du groupe, en citant nommément les entités qui fixent ces limites.
Dans un communiqué de presse diffusé dès la publication de la décision de la Commission, le ministère luxembourgeois des Finances note que cette publication est "une simple étape formelle de la procédure" et que le texte publié "ne contient aucun élément nouveau".
Contestant les allégations de manque de coopération avec la Commission, le ministère réitère la position défendue par le Grand-Duché, à savoir que "le Luxembourg a fourni toutes les informations requises par la Commission et a collaboré pleinement avec la Commission dans son enquête". Il est dès lors "confiant que les allégations d'aide d'État dans cette affaire sont sans mérite et qu'il sera à même de convaincre la Commission de la légitimité de la décision anticipative en cause".
Pour mémoire, le ministre des Finances, Pierre Gramegna, avait dès le 12 juin 2014 répondu à la Commission par voie de communiqué, assurant lui avoir fourni toutes "les informations pertinentes" et que du point de vue des autorités luxembourgeoises, la Commission européenne "n'apport[ait] pas d'éléments nouveaux de nature à dissiper les doutes sérieux quant à la légalité des demandes et à l'étendue des pouvoirs de la Commission".
En effet, pour le Luxembourg, la légalité de certains aspects des demandes d’informations de la Commission posait question, et notamment leur fondement juridique. Pierre Gramegna s’en était expliqué le 13 juin 2014. Selon lui en effet, en ce qui concerne les aides d’Etat, les traités prévoient que "la Commission doit avoir des faits et des indices précis pour pouvoir traiter une affaire spécifique". Or, ce que demandait la Commission, c’était de "mettre à disposition tous les rulings", rapportait le ministre.