Sous la présence du ministre de l’agriculture Fernand Etgen, les producteurs laitiers ont fait part de leurs préoccupations pour le secteur du lait à l’occasion de la rencontre annuelle du "Buchstellentag" qui a eu lieu le 25 novembre 2014 à Mertzig. Afin de se pencher sur la situation actuelle du marché laitier, le directeur de Luxlait Claude Steinmetz et les représentants des laiteries Arla et Lactalis étaient invités à cette rencontre. L’évolution du marché laitier à partir d’avril 2015, quand les quotas laitiers auront disparus, et l’impact des sanctions russes sur le secteur agricole ont fait débat.
Selon le rapport du service d’économie rurale (SER), le prix du lait a tendanciellement augmenté au cours des dernières années, tandis que le marché laitier se fait de plus en plus volatil. Les producteurs laitiers supportent mal la volatilité des prix, car elle nuit à leur sécurité de planification et met en difficulté les plus petits producteurs dont le capital est proportionellement plus cher dans la production laitière.
Dans une enquête sur les perspectives et sur les plans à moyen terme des producteurs laitiers luxembourgeois, une grande majorité des 267 producteurs laitiers participants ont estimé qu’ils vont augmenter leur production laitière quand les quotas seront abolis. La plupart d’entre eux souhaitent agrandir leur exploitation. Ceci va sans doute contribuer à augmenter l’offre de lait sur le marché national et européen et donc à tirer les prix vers le bas. Ceux-ci risquent de diminuer à un niveau tel que la production pourrait ne plus être rentable pour les producteurs laitiers, à juger d’après les questions posées par ceux-ci à l’issue de la conférence.
Les représentants des trois laiteries invitées ont confirmé ces tendances. Selon le représentant d’Arla Manfred Remus, les difficultés pour le secteur laitier européen sont d’autant plus grandes que le lait européen trouve de moins en moins de débouchés en Chine et que les sanctions russes ont entravé un marché porteur pour le lait européen. Ceci a conduit à une surproduction de 2 à 3 %. Manfred Remus a indiqué que dans la situation actuelle, l’offre mondiale du lait a augmenté de 4 à 5 %, alors que la demande n’au augmenté que de 1 à 2 points.
Claude Steinmetz a expliqué que l’abolition des quotas laitiers et l’embargo russe portent en germe davantage de pression sur les laiteries, car de plus en plus, les clients leur demandent de baisser les prix. Ceci est notamment le cas pour le fromage qui a subi une chute de prix de 40 % suite aux sanctions russes. Si les laiteries veulent obtenir ou garder des parts de marchés, elles seraient obligées de se résigner à vendre moins cher. Ceci aurait inévitablement des conséquences pour les producteurs, car les chutes de prix se répercuteraient de facto sur ces derniers. L’abolition des quotas laitiers viendrait augmenter cette pression. En outre, les "vendeurs discount allemands" y contribueraient également.
Tous les représentants des laiteries sont unanimes de dire qu’il est indispensable de s’organiser pour bien se préparer à l’abolition des quotas et pour affronter les conséquences des sanctions russes. Les deux plus grandes laiteries Arla et Actalis misent sur leur présence internationale basée sur une grande diversité de produits, tandis que le directeur de Luxlait Claude Steinmetz a indiqué que sa laiterie, de taille plus modeste, mise sur le marché régional et sur les produits de niche, sans que cela ne l’empêche d’aller explorer de nouveaux marchés, par exemple le marché turc, ou celui des pays arabes.
Manfred Remus a indiqué qu’il est important "d’explorer de nouveaux marchés qui ont du potentiel". Selon lui, 92 % de la croissance globale jusqu’en 2020 dans les produits laitiers proviendront des pays émergents. Il serait donc important de s’y établir, et de développer de nouveaux produits, mais également des produits qui tiennent compte des spécificités locales. Les pays émergents seraient d’autant plus porteurs que la population ne cesse d’y croître.
Le représentant de Lactalis Yves Pegeot a indiqué que la politique des quotas laitiers était "une sorte de bulle qui nous (l’UE, ndlr) mettait à l’abri". Pour lui, l’insécurité persiste "sur comment va évoluer l’offre et la demande mondiale de lait. Il est d’accord avec le fait que les pays émergents deviennent de plus en plus fondamentaux pour l’UE, face à une concurrence néo-zélandaise, nord- et sud-américaine qui devient de plus en plus éprouvante. Il a expliqué que Lactalis va de plus en plus miser sur ses marques et sur ses produits à plus forte valeur ajoutée.
Selon le ministre de l’agriculture Fernand Etgen, les agriculteurs doivent eux aussi adopter des stratégies pour faire face à l’abolition des quotas. Ceux-ci devraient réagir "en tant qu’entrepreneurs libres" et "poser les fondements pour le futur de leur établissement".
Tous les représentants des laiteries sont d’accord de dire qu’à moyen terme, les prévisions pour le marché laitier sont positives, à condition de réussir à élaborer des stratégies qui permettent de supporter la fin des quotas laitiers. Selon Fernand Etgen, la fin des quotas est synonyme d’insécurité, mais aussi d’opportunités. Yves Pegoet a indiqué que la fin des quotas produira une spécialisation de la production de produits laitiers. Celle-ci augmenterait dans les régions propices à la production laitière, et selon lui, "le Luxembourg en est une".
Mises en place en 1984 pour limiter la production laitière (lait de vache) qui était jusque-là fortement excédentaire et qui entraînait les prix du lait à la baisse dans l’Union européenne (UE), les quotas laitiers consistent en une politique de droits à produire mise en place dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Des quotas nationaux de production sont fixés, qui sont ensuite répartis par les Etats membre entre les différentes entreprises productrices. En cas de dépassement des quotas, les Etats peuvent percevoir auprès des agriculteurs un prélèvement qui peut atteindre jusqu’à 100 % du prix sur les quantités additionnelles produites. Cette politique a subi plusieurs ajustements au fil des ans et a permis de diminuer dans le secteur du lait les dépenses communautaires liées pour le stockage d'intervention pour les restitutions à l'exportation et pour les aides à la consommation interne.
En novembre 2008, le Conseil a approuvé le principe d’une augmentation progressive des quotas laitiers de 1 % par an pour la période de 2009 à 2013 devant conduire à leur suppression en 2015. Cette décision avait provoqué un effondrement du marché laitier, et face aux protestations du milieu agricole pour exiger un maintien des quotas laitiers, un règlement relatif aux "relations contractuelles dans le secteur du lait avait été adopté en 2012, en vue de renforcer la position des producteurs dans la chaîne d’approvisionnement. Néanmoins, dans la nouvelle PAC, la date butoir de 2015 pour l’abolition des quotas a été maintenue. Ceux-ci vont ainsi disparaître en avril 2015.