Le Parlement européen a adopté le 27 novembre 2014 à une large majorité une résolution non contraignante appelant à un dégroupage entre les activités de recherche et les autres services commerciaux des moteurs de recherche sur Internet, sans pour autant mentionner Google, le géant américain qui domine le marché européen jusqu'à 90 % et qui fait l'objet d'une enquête en matière de concurrence diligentée par la Commission européenne. La résolution "appelle la Commission à envisager des propositions visant à séparer les moteurs de recherche des autres services commerciaux" à long terme, étant donné leur "transformation en filtres" et "leur possibilité de commercialiser des informations obtenues en vue d'une exploitation secondaire". Intitulée "résolution pour le renforcement des droits des consommateurs sur le marché numérique, le texte du groupe PPE a été adoptée par 384 voix pour, 174 contre et 56 abstentions. Les groupes ALDE et ECR avaient proposé chacun une propre résolution.
Pour rappel, la Commission européenne a ouvert en novembre 2010 une enquête visant Google pour abus de position dominante. Le géant américain se voit reprocher principalement de mettre en avant sur ses pages ses propres services spécialisés, au détriment des moteurs de recherche concurrents. La Commission a déjà retoqué par trois fois les propositions de solutions avancées par Google, la dernière fois en septembre 2014. Pour autant, Google avait accepté en février 2014, à la satisfaction de la Commission, de faire apparaître sur son site les services de trois concurrents.
La résolution invite la Commission à "prévenir tout abus dans la commercialisation de services interconnectés par les exploitants des moteurs de recherche". Le texte appelle à "faire appliquer correctement les règles de concurrence de l'Union afin de prévenir une concentration excessive du marché et l'abus de position dominante". Le texte dénonce des "points faibles" dans certains domaines du marché numérique, "dus à une concentration excessive du marché et à des acteurs dominants" ainsi que le "problème de la fragmentation du marché et du manque d'interopérabilité".
Les auteurs de la résolution soulignent l'importance d'une recherche en ligne non-discriminatoire et Le appellent la Commission à "s’attaquer à la fracture numérique" : "l'ensemble du trafic internet doit être traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l'expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l'appareil, du service ou de l'application". Il ajoute : "L'indexation, l'évaluation, la présentation et le classement par les moteurs de recherche doivent être objectifs et transparents." Selon la résolution, il faut ainsi assurer "des conditions égales aux entreprises sur le marché unique numérique". Le processus de recherche et ses résultats doivent être "impartiaux" afin de garantir davantage de concurrence et d'offrir un choix plus large aux utilisateurs et aux consommateurs et de préserver la diversité des sources d'information, observent les députés.
Le Parlement invite le Conseil à ouvrir les négociations sur le paquet télécommunications qui permettrait "de mettre un terme aux frais d'itinérance à l'intérieur de l'Union, d'apporter davantage de sécurité juridique en ce qui concerne la neutralité du net et de renforcer la protection des consommateurs". Il appelle également à une adoption rapide du nouveau train de mesures sur la protection des données.
Les députés constatent tout de moins que le marché numérique est un des secteurs "les plus innovants" qui offre des "avantages économiques" et créé des emplois hautement qualifiés. Ils estiment que le marché unique numérique pourrait générer 260 milliards d'euros supplémentaires chaque année pour l'économie européenne et ainsi "aider l’Europe à sortir de la crise".
Selon un porte-parole de la Commission, la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager considère qu'il est important que l'enquête soit limitée aux questions de concurrence et menée d'une manière impartiale. "Il est très important que l'application des règles de concurrence dans les cas individuels reste indépendante de la politique et que les procédures antitrust ne soient pas remises en question", a-t-il ajouté, selon ses propos cités par l'Agence Europe.
En rappelant que l’enquête contre Google a été lancé il y a quatre ans, le groupe PPE appelle la Commission de faire aboutir rapidement ses enquêtes anti-trust en explorant "toutes les options", même celle de "séparation" ("unbundling" en anglais).
En amont du vote sur la résolution, le groupe S&D a annoncé soutenir le texte du groupe PPE afin de "protéger les droits des consommateurs dans le marché numérique", en rappelant que la résolution appelle la Commission à "séparer les moteurs de recherche des autres services commerciaux". Le groupe considère que les internautes doivent avoir l’option de choisir entre différents concurrents et que cette concurrence est favorable à la transparence. "Nous voulons donner un signal fort à la Commission européenne mais aussi à des entreprises américaines comme Google et enfin au citoyen", avait expliqué l'eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella, cosignataire de la résolution, dans un communiqué qui ajoute : "Google par exemple se joue des autorités européennes depuis des années : le point de non-retour est presque atteint." "L’heure est aux sanctions", conclut le député.
Le groupe des Verts n’a pas soutenu cette résolution "insuffisante" à ses yeux. "On a rejeté cette résolution, puisque des modifications importantes proposées par la fraction des Verts relatives à la neutralité du net et la protection des consommateurs n’ont pas été inscrits dans le texte", a critiqué l’eurodéputé Jan Philipp Albrecht dans un communiqué. L’eurodéputée Julia Reda estime que la résolution est une tentative des partis allemands CDU et SPD de "sauver le droit d’auteur pour les éditeurs de presse" et de "forcer Google au niveau européen" de payer des droits d’auteur pour des contenus, tels que des articles de presse.
Le groupe ALDE a également voté contre la résolution, en dénonçant un "vote anti-Google" qui devrait être en vérité un "vote pro-concurrence". Selon l’eurodéputée Sophie In’t Veld, le Parlement européen ne devrait "s’immiscer dans l’organisation interne d’entreprises individuelles". Elle reproche aux députés d’avoir été influencés par un fort lobby de concurrents de Google, tout en s’exprimant contre des "monopoles" de pouvoir de marché excessif. Pour l’eurodéputée Dita Charanzova, la Commission devrait plutôt se concentrer sur l’abolition des frais d’itinérances afin de garantir un internet “libre et ouvert" au service de tous les Européens. Plusieurs points, que le groupe avait proposé, n’ont pas été inclus dans la résolution : la neutralité du net, un régulateur européen unique pour le secteur des télécommunications ou encore le financement de projets favorisant le haut débit.
Les Etats-Unis avaient fait part ces derniers jours de leur "préoccupation" envers cette initiative, par la voix du porte-parole de la Mission américaine auprès de l'UE, cité par l’AFP. "Nous respectons le processus de mise en œuvre des règles de concurrence dans l'UE et ne voulons pas préjuger de l'issue des dossiers en cours, mais il est important que l'identification d'entraves à la concurrence et de remèdes possibles soit fondée sur des conclusions objectives et impartiales et ne soit pas politisée", a-t-il mis en garde. Un groupe de membres du Congrès américain s’est par ailleurs dit "alarmé", dans une lettre adressée au président du Parlement européen, Martin Schulz, révèle l’Agence dpa.