Parlement européen, Conseil et Commission ont dégagé un accord en trilogue sur l’instauration des registres permettant d'identifier les bénéficiaires de sociétés écran, mais auxquels l’accès serait restreint, a annoncé le Parlement européen le 17 décembre 2014. Ces registres seraient accessibles aux personnes ayant un "intérêt légitime", tels que les journalistes d'investigation ou d'autres citoyens concernés. Les registres publics n’étaient pas prévus dans la proposition de la Commission européenne sur une nouvelle directive européenne contre le blanchiment d'argent, mais avaient été demandés par le Parlement européen.
L’accord prévoit d'obliger les Etats de l'UE à tenir des registres publics recensant les noms des bénéficiaires effectifs de sociétés, fondations et fiducies (ou trusts en anglais), afin d'empêcher de fausses sociétés de transférer de l'argent sale. "Selon les dispositions, les banques, les auditeurs, les juristes, les agents immobiliers ou encore les casinos devraient se montrer plus vigilants concernant les transactions suspectes réalisées par leurs clients", met en garde le communiqué du Parlement. Il est précise que "l'objectif est d'accroître la transparence, de faire en sorte que les accords douteux soient plus difficiles à cacher et de lutter contre le blanchiment de capitaux et les infractions fiscales". Chaque année, les capitaux blanchis au niveau international représentent 2,5 % du PIB mondial.
"Pendant des années, les fraudeurs en Europe ont utilisé l'anonymat de sociétés et comptes offshore pour cacher leurs transactions financières. La création de registres des bénéficiaires effectifs aidera à lever le voile sur la confidentialité des comptes offshore et à lutter contre le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale flagrante", a déclaré le rapporteur de la commission des affaires économiques, Krišjānis Kariņš (PPE).
"Les nouvelles dispositions permettront d'accroître la transparence dans des structures d'entreprises vagues qui sont au cœur des systèmes de blanchiments de capitaux ou des mécanismes utilisés par les entreprises pour éviter leur responsabilité fiscale", a ajouté le rapporteur de la commission des libertés civiles, Judith Sargentini (Verts).
"Il s'agit d'une avancée cruciale" dans la mesure où les sociétés opaques "sont au cœur des mécanismes d'évasion fiscale et du financement du crime organisé à grande échelle, en Europe comme dans les pays en développement", s'est réjouie dans un communiqué l'eurodéputée Eva Joly (Verts). Elle estime cependant que le compromis n'est "qu'une première étape" en raison du "blocage des Etats", qui a "fragilisé le projet d'un registre réellement public". Notamment, seules les autorités compétentes auront accès aux données relatives aux bénéficiaires de fiducies.
Les registres centraux seraient accessibles aux autorités compétentes et à leurs cellules de renseignement financier (sans aucune restriction), aux "entités soumises à des obligations" (telles que les banques qui appliquent des "mesures de vigilance à l'égard de la clientèle"), et également au public, dont l'accès pourrait être soumis à un enregistrement en ligne et au paiement d'une redevance pour couvrir les coûts administratifs, précise le Parlement. Les informations sur les bénéficiaires effectifs concernent le nom du bénéficiaire effectif, le mois et l'année de sa naissance, sa nationalité, son lieu de résidence et les détails concernant le titre de sa propriété. Une exemption d'accès, fournie par les États membres, serait uniquement possible au cas par cas, dans des circonstances exceptionnelles.
Selon le Parlement, l'accord clarifie les dispositions concernant les "personnes politiquement exposées", à savoir celles qui présentent un risque de corruption plus élevé que la normale en raison de la position politique qu'elles occupent, comme les chefs d'État, les membres de gouvernement, les juges des cours suprêmes, les membres de parlement, ainsi que les membres de leur famille.
Les registres publics avaient été demandés par le Parlement européen, qui avait adopté en mars 2014 sa position sur la proposition d’une quatrième directive anti-blanchiment. Censée succéder à la troisième directive 2005/60, elle avait été présentée par la Commission européenne en février 2013, avec un règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds qui vise à améliorer la traçabilité en exigeant l'inclusion d'informations sur le bénéficiaire. Le Conseil a adopté sa position en juin 2014. En ce qui concerne l'accès aux informations stockées sur les bénéficiaires effectifs, l'approche suivie par le Conseil était d'exiger un accès sans restriction pour les autorités compétentes, les cellules de renseignement financier et, si l'État membre l'autorise, l'entité soumise à obligations, c'est-à-dire la banque par exemple, mais pas pour le public.
L'objectif des propositions était de mettre en œuvre des recommandations émises en février 2012 par le groupe d'action financière internationale (GAFI), organisme réunissant 34 membres, créé par le G7 et considéré comme la référence mondiale pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Sur certains points, les propositions étaient allées au-delà des exigences du GAFI, p.ex. en ce qui concerne la définition du bénéficiaire effectif ou les obligations de conservation des informations relatives aux bénéficiaires effectifs imposées aux personnes morales, alors qu’à d’autres endroits, la proposition restait en deçà de ces exigences.
Le Luxembourg avait plaidé au contraire pour un alignement strict sur les recommandations du GAFI. En ce qui concerne l’inclusion des "infractions fiscales pénales", le Luxembourg avait soutenu la proposition de la Commission européenne, jugée conforme aux exigences du GAFI. Il a soutenu l’accord sur le texte d’orientation générale du Conseil en juin 2014.
Le Luxembourg appuie ce texte mais estime que les obligations doivent s’appliquer de manière proportionnelle aux opérateurs en fonction du risque sous-jacent de blanchiment et que les exemptions doivent être alignées avec le champ d’application et les exemptions de la directive.
Le Conseil a arrêté le texte d’orientation générale en juin 2014 et les négociations avec le Parlement européen ont débuté.
Quant à la proposition de règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds, le Luxembourg a appuyé ce texte, mais il a estimé que les obligations doivent s’appliquer de manière proportionnelle aux opérateurs en fonction du risque sous-jacent de blanchiment et que les exemptions doivent être alignées avec le champ d’application et les exemptions de la directive.
L’ONG Transparency International a salué l’accord comme un "pas en avant" dans la lutte contre la corruption et estimé qu’il va "beaucoup plus loin que les principes qui ont été convenus par le G20 en novembre". L’organisation met en garde contre la création d’un nouvel échelon bureaucratique quant à l’accès aux informations et constate que seulement les administrations auraient accès aux informations sur les bénéficiaires de fiducies. "Il n’est pas clair comment les Etats vont évaluer l’intérêt légitime", a critiqué Carl Dolan, directeur de Transparency International EU. "Imposer au public de prouver un intérêt légitime est contradictoire avec l’idée de transparence", a pour sa part jugé Nienke Palstra, responsable de la politique européenne.