L'appartenance d'un pays à la zone euro est "irrévocable", a rappelé une porte-parole de la Commission européenne, en réponse à une question sur une possible sortie de la Grèce de la monnaie unique ("Grexit") contre son gré lors du "Midday press briefing" quotidien de la Commission du 5 janvier 2015. Elle s’est référée à l’article 140 du traité de Lisbonne (3e paragraphe), selon lequel le taux auquel l’euro remplace la monnaie nationale d’un Etat membre concerné est "fixé irrévocablement".
"L’euro est là pour rester et il a montré sa résistance. La Commission européenne ne fera pas d’autres déclarations avant les résultats des élections en Grèce", a conclu Annika Breidthardt. Quant à savoir si une telle option est faisable, "nous n'allons pas entrer dans des spéculations et des scénarios qui risquent d'être interprétés dans un contexte qui ne se pose pas", a renchéri un autre porte-parole, Margaritis Schinas.
La Commission était interrogée à la suite d’un article paru le 3 janvier 2015 dans l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, s'appuyant sur "des sources proches du gouvernement allemand". D'après l’article, le gouvernement allemand "juge quasiment inévitable une sortie (de la Grèce) de la zone euro, si le chef de l'opposition Alexis Tsipras (Gauche radicale Syriza) dirige le gouvernement après les élections, abandonne la ligne de rigueur budgétaire et ne rembourse plus les dettes du pays". Ce scénario dit "Grexit", redouté lors des dernières législatives grecques de juin 2012, s’est reflété sur les principales places boursières qui ont enregistré d'importantes chutes des cours.
Le parlement grec avait annoncé le 31 décembre 2014 sa dissolution et confirmé l'organisation le 25 janvier d'élections législatives anticipées, après l'échec de l'élection d'un nouveau président de la République par le parlement sortant. Le Fonds monétaire international (FMI) avait alors annoncé avoir suspendu les discussions sur la prochaine tranche d'aide à la Grèce en attendant la formation d'un nouveau gouvernement.
L’article du Spiegel cite des sources gouvernementales selon lesquelles la chancelière Angela Merkel et le ministre des Finances Wolfgang Schäuble (tous deux conservateurs du CDU) estimeraient que la zone euro s’est assez stabilisée depuis 2012 pour pouvoir résister à une sortie de la Grèce et qu’il n’y aurait plus de "risque de contamination" pour d’autres pays comme l’Irlande ou le Portugal, récemment sortis des programmes d’aide financière. Ces sources estiment que "les juristes vont trouver une solution" pour faire sortir la Grèce de la zone euro sans qu’elle soit obligée de quitter l’UE – vu qu’une sortie de la zone euro n’est pas prévue par les traités et qu’une sortie de l’UE (réglée par l’article 50 du traité de Lisbonne) est théoriquement le seul moyen de quitter la zone euro.
Selon une infographie du Spiegel, la dette publique grecque s’élève à 321,7 milliards d’euros. Le pays a emprunté 141,8 milliards d’euros auprès du Fonds européen de stabilité financière (EFSF) – la part allemande s’élèverait à 65 milliards d’euros, celle du Luxembourg à 118 millions d’euros. D’autres créanciers sont la Banque centrale européenne (BCE, 25 milliards) et le FMI (32 milliards). La Grèce a par ailleurs contracté des prêts bilatéraux à hauteur de 52,9 milliards d’euros – la part du Luxembourg s’élève à un montant maximal de 206 millions d’euros.
La chancellerie fédérale et le ministère allemand des Finances n'ont souhaité ni confirmer, ni démentir, les informations du Spiegel. "La Grèce a rempli ses obligations dans le passé. Le gouvernement allemand part du principe que la Grèce va continuer à l'avenir de remplir ses obligations envers la troïka" de ses créanciers (UE, BCE, FMI), a simplement déclaré un porte-parole du gouvernement. Le ministre des Affaires économiques, Sigmar Gabriel (SPD), a pour sa part affirmé que le gouvernement allemand et l’UE veulent garder la Grèce dans la zone euro, mais que le nouveau gouvernement grec doit "respecter les engagements qu’elle a souscrits avec l’UE". Il a ajouté que la zone euro est plus forte et plus stable qu’il y a quelques années et que pour cette raison, "on ne vas pas céder au chantage".
Plusieurs représentants du parti conservateur CDU (et sa branche bavaroise CSU) ont jugé que la Grèce doit respecter ses engagements. Si les Grecs ne suivent pas les réformes et la rigueur budgétaire, ils "doivent quitter la zone euro", a déclaré Michael Fuchs, vice-président du parti CDU, au quotidien Die Welt.
Les sociaux-démocrates (SPD), membres de la "grande coalition" au pouvoir, ont publiquement contesté la démarche attribuée à la chancelière Merkel. Carsten Schneider, le vice-président du groupe SPD au Bundestag (la chambre basse du parlement), chargé de l'euro, a estimé que les conservateurs avaient, seuls, été à l'origine de cette "fuite". "Un changement de ligne du gouvernement ? Plutôt une grave erreur de la CDU", a-t-il commenté sur son compte twitter. Le secrétaire d'Etat social-démocrate aux Affaires européennes, Michael Roth, avait également pris ses distances. "La Grèce est membre de la zone euro. Et doit le rester", avait-il affirmé via son compte Twitter. La présidente des Verts allemands, Simone Peter, a qualifié le débat "d’irresponsable", en estimant que l’UE est une "communauté de solidarité" et qu’il faut stabiliser la situation en Grèce.
"Avec ce scénario de menace (...), le gouvernement se mêle indirectement de la campagne (électorale) grecque. C'est extrêmement risqué et c'est une erreur", commentait le 4 janvier le quotidien Die Welt, proche des conservateurs. "Cette menace est susceptible d'encore renforcer le mécontentement en Grèce vis-à-vis des Allemands et d'aider ainsi Alexis Tsipras dans sa campagne. (...) Cela pourrait aussi nourrir l'instabilité en Grèce et même conduire" à un mouvement de panique s'accompagnant d'une ruée vers les guichets des banques pour des retraits de dépôts, poursuivait Die Welt.
Le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, avait appelé le 29 décembre 2014 les électeurs grecs à soutenir les réformes "favorables à la croissance" lors des législatives anticipées du 25 janvier, des réformes qu'il jugeait "essentielles pour que la Grèce prospère à nouveau au sein de la zone euro". "Les Grecs sont libres de décider souverainement de leurs gouvernants", a déclaré lundi le président français François Hollande. "Quant à la zone euro, c'est à la Grèce seule d'en décider", avait-il ajouté. Cité par la Welt, le ministre autrichien des Finances, Manfred Schelling, a mis en garde le gouvernement allemand contre le fait de s’immiscer dans les élections d’un autre pays, tout en estimant que la Grèce respecterait ses engagements après ce scrutin.
Le président du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz (S&D), s’est dit confiant que la Grèce restera dans la zone euro, dans une interview à la chaine allemande ZDF du 5 janvier 2015. Il a appelé à attendre le résultat du scrutin et réfuté toutes les "spéculations". "Si les Grecs ont l’impression que c’est Berlin ou Bruxelles qui décident de leur sort plutôt que leurs voix, cela va amener les électeurs à voter pour les radicaux", a-t-il mis en garde. Il a dénoncé un "discours radical" du chef du Syriza, Alexis Tsipras, et estimé qu’il ne trouvera pas de majorité au parlement grec. Il a affirmé avoir parlé avec le chef de l’opposition et lui a dit que si la Grèce veut négocier une fin des remboursements de sa dette, l’UE arrêterait ses paiements d’aide. "Il ne peut pas gouverner seul, donc il va devoir trouver des compromis et il le sait", a soutenu Martin Schulz.
Le président du groupe PPE, Manfred Weber, a soutenu que les Grecs décident eux-mêmes de leur futur. "Les autres Etats membres de l’UE sont prêts à être solidaires et supporter la Grèce, mais celle-ci doit respecter ses engagements", a-t-il souligné.
L’eurodéputé luxembourgeois Frank Engel (PPE) a pour sa part qualifié le débat sur le "Grexit" comme "idiot", selon ses propos repris par le Tageblatt du 6 janvier 2015. Il estime qu’une fin du remboursement de la dette grecque amènerait le pays à la banqueroute, ce que "Syriza ne veut pas". Il a souligné que le parti de la gauche radicale ne peut pas gouverner seul et qu’il dispose d’experts économiques "qui raisonnent comme nous". Selon lui, Syriza veut négocier sur le niveau de la dette alors qu’il n’y a jamais eu de "négociations sincères" sur ce sujet. Frank Engel est d’avis qu’il faut prolonger le délai du remboursement et seulement consacrer une partie du budget grec au service de la dette, voire envisager un effacement d’une partie de la dette grecque.
Le président du groupe S&D, Gianni Pitella, a mis en garde le 5 janvier contre un "dangereux effet domino" si la Grèce quittait la zone euro. "L’appartenance de la Grèce à la zone euro est irréversible", a-t-il soutenu, tout en accusant des "forces de droite" allemandes de se comporter d’une manière "inacceptable". Cette façon de soutenir l’austérité de manière "aveugle" encouragerait les eurosceptiques, estime-t-il.
"Les nouvelles conjectures sur l'euro sont une immixtion pernicieuse et irresponsable dans la liberté de vote en Grèce. C'est ainsi qu'on nourrit le nationalisme", a renchéri le porte-parole des Verts au Parlement européen, Sven Giegold, sur son compte Twitter.
Guy Verhofstadt, président du groupe ALDE, a déclaré pour sa part : "Imaginer que la Grèce sorte de la zone euro est une absurdité, et au moins pour trois raisons. Tout d'abord, les sondages montrent que 74 % des Grecs sont attachés à l'euro. Ensuite, les traités ne permettent pas à la Grèce de quitter la zone euro, tout en restant membre de l'UE. Enfin, cela coûterait des milliards d'euros aux contribuables européens si la Grèce devait réintroduire la drachme. Les projections montrent que la facture pour la seule pour l'Allemagne avoisinerait les 80 milliards d'euros. "