Dans son édition datée du 20 janvier 2015, l’Agefi, journal financier du Luxembourg, consacre un long entretien à l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes. Le parlementaire écologiste y explique à Charles Mandica le déroulement de sa semaine de travail de parlementaire et évoque l’ambiance qui règne au Parlement issu des élections de mai 2014. Mais il commente aussi, au-delà du positionnement de son groupe politique européen, les Verts/ALE, et de son parti, déi Gréng, qui se retrouve dans la coalition gouvernementale luxembourgeoise, quelques dossiers d’actualité, comme le plan d’investissement lancé par Jean-Claude Juncker, le ruling, ou encore les liens entre UE et Turquie.
Décrit comme "un Européen convaincu" aux "propos francs", Claude Turmes, qui en est à son quatrième mandat au Parlement européen, apparaît plus que jamais convaincu que "l’urgence écologique est encore plus grande aujourd’hui qu’il y a 40 ans". A ses yeux en effet, "le changement climatique, le dérèglement de l’écosystème le plus important pour la vie sur terre, c'est le plus grand défi pour l'humanité".
Invité à décrire sa semaine de travail, Claude Turmes raconte que "le lundi et le vendredi sont souvent des demi-journées ou des journées où on est présent dans son propre pays pour faire le lien entre les politiques européennes et les politiques nationales". "Cela me permet de comprendre quels sont les interlocuteurs et acteurs dans mon pays, et traduire comment mon dossier va se répercuter, car je dois appréhender les dangers pour mon électorat ou le territoire que je représente", explique-t-il.
Les autres jours de la semaine, il dit faire "un travail d'expert". "Un bon parlementaire européen a de l'influence", assure Claude Turmes. Il s’agit en effet de suivre un sujet "du début d'une loi européenne jusqu'à la fin". "Dès que la Commission européenne commence à travailler sur la loi qu'elle veut proposer, moi, je dois comprendre qui sont les fonctionnaires qui travaillent sur le thème. Je dois très vite identifier le commissaire en charge du dossier", explique l’eurodéputé qui estime que faire passer ses idées "au début est le moment le plus opportun".
Claude Turmes décrit toutefois le travail de rapporteur au Parlement européen comme "le travail-roi d'un parlementaire européen". "A ce moment, on a la même influence ou le même pouvoir qu'un ministre". Ensuite, décrit le parlementaire, lorsqu’une loi est votée, on en fait le "monitoring" : "il faut distinguer ce qui aura du succès, ce que l'on doit renforcer", précise-t-il.
"Pour être un bon parlementaire, il faut déjà comprendre son territoire et aussi être capable de comprendre les réalités des autres pays", estime Claude Turmes, conscient qu’un parlementaire luxembourgeois "a l'énorme avantage de parler le français, l'anglais, et l'allemand". Par sa connaissance des langues, un député luxembourgeois a "souvent une vision plus large sur la réalité de l'Europe", juge en effet Claude Turmes.
Interrogé sur l’entrée au Parlement européen de nouveaux parlementaires provenant de "partis extrêmes" lors des élections de mai 2014, Claude Turmes indique que "toutes proportions gardées, nous sommes dans une situation similaire à celle de la fin des années 1920, début des années 1930".
"Une crise économique mal gérée crée énormément de frustrations. Un chômage de masse touchant les classes moyennes qui ont peur de tomber dans la précarité laisse un espace et donne de l'essor au populisme plus virulent à droite qu'à gauche. A ceci s'ajoute un vrai risque de voir un populisme d'extrême droite spolier, polluer ou infiltrer d'autres branches des partis politiques", décrit le parlementaire qui déplore "un durcissement des discours qui deviennent très musclés, très nationalistes". "C'est dommageable à l'Europe", tranche le parlementaire.
Au Parlement européen, "d'une certaine façon, l'ambiance a changé", admet Claude Turmes." Certes, elle n'est pas encore catastrophique", puisque "la majorité reste dans une attitude positive et ancrée dans l'idée de continuer la construction européenne". Mais l’eurodéputé pointe " un vrai risque pour les quatre prochaines années si au niveau économique et au niveau social nous n'arrivions pas à obtenir de meilleurs résultats". Il craint "d’avoir en 2019 des élections qui renforceraient les forces de l'extrême et pire encore, que ces forces de l'extrême puissent remporter des élections nationales, comme les présidentielles en France".
Interpellé un peu plus tard sur la situation d’Hayange, ville de Lorraine où le Front national a remporté la mairie lors des dernières municipales et qui est jumelée avec Diekirch, la ville où vit Claude Turmes, ce dernier estime que ses habitants "vivent un drame". A ses yeux, "la meilleure arme contre l'extrême droite est la société civile" : "la société civile, les associations sont le ciment de nos échanges et le levain de nos sociétés", explique l’eurodéputé qui plaide pour "faire encore plus de jumelages avec les associations françaises, et en même temps tenir un discours ferme contre les manipulations et les surenchères de Marine Le Pen".
Interrogé sur le plan d’investissement présenté par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, Claude Turmes dit "applaudir" le fait "qu'un président de la Commission de droite admet enfin que faire de l'austérité pour l'austérité n'aboutit à rien et qu'il faut rééquilibrer avec de l'investissement". "Un changement de paradigme" qu’il soutient puisqu’enfin, "dans la secte de la droite politique, on accepte que l'Europe va mal, non parce qu'elle n'est pas assez dérégulée mais parce que sa demande interne fléchit". "Nous sommes dans un sous -investissement chronique qui a été accentué par des politiques d'austérité mal réfléchies et donc là il faut réinvestir", explique l’eurodéputé qui se fait le défenseur de l’investissement à long terme de longue date. Pour lui, il faudrait cependant "réinvestir le double, plutôt 700 milliards sur 3 ans". Claude Turmes pose aussi la question de l’effet de levier sur lequel compte la Commission : "Est-ce que ce levier est plutôt ce qu'on pourrait appeler l'effet de grâce, qui expliquerait que la présentation du plan d'investissement par M. Juncker s'est tenue le lendemain du discours du Pape au Parlement ou est-ce que par une ingénierie financière intelligente peut-on assurer à ce levier de 15", s’interroge-t-il.
Claude Turmes est ensuite invité à commenter l’action de son parti au sein de la coalition gouvernementale au Luxembourg. Il évoque "un gouvernement qui est dans une situation très délicate avec des niches importantes de revenus budgétaires pour lesquelles on ne sait pas encore si ça change fortement ou si cela faiblit modérément".
Au-delà de la baisse "prévisible" des revenus provenant de la TVA sur le commerce électronique et de l’abolition du secret bancaire, qui "était dans l’air du temps", Claude Turmes souligne qu’aujourd’hui "il y a les rulings, une pratique qui va devoir changer". Le journaliste lui fait remarquer que ces arrangements confidentiels entre sociétés et Etat n’ont "rien d’illégal" et lui demande pourquoi le Luxembourg devrait "renoncer à cette manne financière" dont d’autres profiteraient. "Légal et illégal, il faut toujours le considérer dans un contexte plus large. On est dans une situation financière différente aussi bien en Europe qu'aux Etats Unis, et face à des budgets d'Etat qui sont plus maigres", répond Claude Turmes. "Il est clair que certaines largesses que l'on a pu avoir pour quelques multinationales ne vont plus pouvoir se faire", assure l’eurodéputé qui souligne une fois de plus combien "ce gouvernement doit agir de façon très délicate". Plus largement, il salue la volonté de modernisation d’un gouvernement qui "doit travailler avec un corps de fonctionnaires infiltré par l’adversaire politique" et qui devrait se montrer "plus efficace au niveau de la communication envers la population pour expliquer son projet".
Claude Turmes évoque aussi la liaison Luxembourg – Bruxelles en soulignant qu’en 1914, "les trains entre Luxembourg et Bruxelles étaient plus rapides qu'aujourd'hui". Le parlementaire déplore "un sous-investissement phénoménal sur cette ligne". Et s’il explique ces difficultés en partie par "les réalités de la politique en Belgique", il souligne aussi que "c'est un secret de polichinelle de dire que ce ne sont pas les fonctionnaires européens et ce qui gravite autour de Bruxelles qui vont mettre de l'énergie et de l'argent dans le renforcement des transports vers Luxembourg ou Strasbourg, nos deux autres capitales européennes".
Lorsque Charles Mandica lui demande enfin s’il faut ouvrir les portes de l’UE à la Turquie, Claude Turmes souligne que "l'évolution de la Turquie est une régression pour la société turque et ce n'est pas bon, géopolitiquement, pour l'Europe". "Nous aurions intérêt à ancrer la Turquie dans le modèle démocratique de l'Europe", estime le parlementaire qui déplore que jamais n’ai eu lieu en Turquie "l’émergence d'un parti politique progressiste de centre gauche" qui offrirait une alternative démocratique. "C'est un pays qui va avoir un moment de stagnation, voire de régression avant, je l'espère, revenir vers des politiques plus inclusives et un retour vers l'Europe", conclut-il.