Principaux portails publics  |     | 

Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
Le comité consultatif mis en place par Google suite à l’arrêt de la CJUE relatif au "droit à l’oubli" publie un rapport préconisant de limiter le déréférencement des liens controversés aux versions européennes du moteur de recherche uniquement
06-02-2015


google-eu-imca (source: http://mediaeurope.imca.fr)Le 6 février 2015, le groupe consultatif mis en place par Google suite à l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire Google-Espagne le 13 mai 2014, a publié un rapport préconisant de limiter le déréférencement des liens controversés uniquement aux versions européennes du moteur de recherche. L’arrêt en question avait officialisé le "droit à l’oubli" des internautes souhaitant voir supprimer des résultats des moteurs de recherche un lien contenant des informations les concernant. Le groupe "Article 29" des autorités nationales chargées de la protection des données avait déjà recommandé en novembre 2014 que la suppression des liens ne devrait pas se limiter pas aux versions nationales de Google mais devrait également être étendue au site "google.com".

Le contexte

En mai 2014, la CJUE, dans la cadre de l’affaire Google-Espagne où un citoyen espagnol avait demandé au journal La Vanguardia qui publiait des informations le concernant de supprimer ou modifier les pages en cause, et à Google de supprimer ou d’occulter ses données personnelles afin qu’elles disparaissent des résultats de recherche et des liens du journal, avait jugé que les internautes disposaient d’un "droit à l’oubli", c’est-à-dire qu’ils pouvaient demander à un opérateur de recherche de supprimer des résultats de recherche un lien contenant des informations personnelles du requérant. La Cour avait d’autre part estimé que l'exploitant d'un moteur de recherche était responsable du traitement des données personnelles qui apparaissaient sur ses pages.

Google, par le biais de son porte-parole à Bruxelles, Al Verney, avait alors jugé la décision de la CJUE "décevante pour les moteurs de recherche et les éditeurs en ligne en général", et avait mandaté un comité consultatif pour étudier l’impact de l’arrêt de la CJUE et le guider dans l’application de principe du "droit à l’oubli", alors qu’il avait été submergé par les demandes de suppression de liens suite à l’arrêt de la CJUE.

Ce comité consultatif se compose de dix personnes, dont Sylvie Kaufmann, directrice éditoriale du journal "Le Monde", Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, ancienne ministre de la Justice de la République fédérale d’Allemagne, ou encore Jimmy Wales, fondateur de la "Wikimedia Foundation". Des professeurs d’université, avocats ou spécialistes des droits de l’homme et de la protection des données, mais également deux hauts responsables de Google, font également partie du comité. Après une série de réunions publiques dans plusieurs villes européennes et l’audition de plusieurs dizaines d’experts, le groupe a publié, le 6 février 2015, un texte qui propose une série de critères éthiques et juridiques pour aider les moteurs de recherche à accepter ou non une demande de déréférencement.

Pas de déréférencement au niveau mondial

Pour mettre sur pied son rapport, le comité consultatif dit s’être fondé sur les quatre principes fondamentaux que sont le droit à la vie privée, le droit à la protection des données mais aussi la liberté d’expression et le droit à l’information.

Le rapport précise tout d’abord qu’il "n’instaure pas de droit général à l’oubli" mais bien plus un "droit pour un individu de contester le traitement de ses données personnelles", et précise que si les informations sont d’intérêt public, en particulier si la personne concernée joue un rôle dans la sphère publique, alors Google n’est pas tenu de supprimer les liens.

Il évoque quatre critères généraux qu’il recommande à Google d’étudier dans le cas d’une demande de déréférencement :

  • le rôle de la personne dans la vie publique : les personnes ayant un rôle clair dans la vie publique ne seront pas éligibles au déréférencement alors que les individus ne pouvant attester d’un rôle dans la sphère publique auront plus de chances d’obtenir un "delisting". Pour celles dont le rôle est limité ou spécifique, le contenu de l’information en question devra alors être étudié.
  • la nature de l’information : les informations relatives à la vie sexuelle ou privée d’un individu, d’ordre financier, ayant trait à ses coordonnées personnelles, son origine ethnique, religieuse, ses opinions politiques ou concernant des mineurs, ou tout simplement des informations erronées ou des photos/vidéos seront considérées comme privées, sauf si elles sont d’intérêt public, et seront sujettes au déréférencement. En revanche, seront considérées d’intérêt public les informations pouvant servir au discours politique, à l’engagement citoyen ou à la gouvernance, au discours religieux ou philosophique, à la santé publique et la protection des consommateurs, à l’activité criminelle, les informations qui contribuent à un débat d’intérêt général, celles qui sont vraies et factuelles, qui relatent un événement historique ou encore celles qui font partie d’un débat scientifique ou de l’expression artistique.
  • la source : si l’information est publiée sur le site d’un journal ou d’un Etat, elle aura plutôt tendance à être considérée d’intérêt public. De même si elle est publiée par un auteur ou blogueur reconnu. En revanche, si elle a été publiée par l’individu lui-même ou avec son consentement, elle ne pourra être éligible au déréférencement.
  • l’ancienneté de l’information : le rapport préconise ici de prendre en compte le caractère ancien de l’information. Par exemple, une information qui ne serait plus pertinente si les circonstances avaient changé depuis sa publication. En revanche, une information ne pourra être effacée des résultats des moteurs de recherche si elle reste "d’intérêt public profond", dans le cas de crimes contre l’humanité ou d’activité criminelle, par exemple.

Le rapport fait ensuite état de la procédure à mettre en œuvre pour demander le delisting : informations à fournir, notifications des webmasters, contestation d’une demande de déréférencement, étendue géographique de la suppression des liens et transparence lors d’un delisting.

Au sujet de l’étendue géographique du déréférencement, le rapport précise que 95 % des requêtes faites à travers l’Europe le sont à partir des versions locales du moteur de recherche et recommande donc à Google de délister uniquement les liens apparaissant sur les versions européennes du site. Le groupe précise à ce titre la circonscription au territoire de l’UE "appropriée" pour respecter les droits des individus et le droit à l’oubli.

Déjà Peter Fleischer, responsable juridique pour la protection des données personnelles chez Google-France, avait évoqué en septembre 2014 à Luxembourg cette question de l’application extraterritoriale de l’arrêt Google. Il avait alors expliqué que pour Google, l’arrêt de la CJUE ne s’appliquait qu’aux liens repérés par les opérateurs européens (comme Google.fr ou Google.de) et qu’un lien critique ne serait supprimé que sur ces sites, mais pas sur les opérateurs non-européens comme Google.com. Mais il avait estimé qu’il y aurait malgré tout un débat sur l’applicabilité mondiale de ce principe, puisque dans les cas envisagés, "les personnes concernées n’auront pas retrouvé le droit à l’oubli".

Le groupe de travail "Article 29", l’organe consultatif indépendant qui a pour objectif d’examiner les questions relatives à la protection des données et de promouvoir une application harmonisée de la directive 95/46/CE sur la protection des données dans les 28 États membres de l’UE, avait en revanche critiqué en novembre 2014, suite au Conseil JAI, le fait que le déréférencement de liens se limite aux déclinaisons nationales de Google et avait demandé un déréférencement sur toutes les déclinaisons "pertinentes".

Avis divergents au sein du groupe consultatif

En annexe, le groupe consultatif a publié les commentaires additionnels de ses membres qui ne partagent pas la position générale du rapport.

Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, ancienne ministre de la Justice de la République fédérale d’Allemagne, indique clairement son désaccord avec le paragraphe sur l’étendue géographique du déréférencement. Pour elle, "l’internet étant global, la protection du droit des utilisateurs doit elle aussi être globale". Elle qualifie "d’importance capitale" le fait de de trouver le bon équilibre entre le droit à la vie privée et protection des données d’une part, et la liberté d’expression d’autre part. Elle recommande de créer une "base légale européenne" pour encadrer la procédure d’arbitrage dans le cas de la suppression de liens.

Autre avis tranché, celui de Jimmy Wales, fondateur de de la "Wikimedia Foundation" qui édite le site "Wikipedia". Celui-ci se dit "complétement opposé à la situation légale actuelle où une entreprise privée est forcée de devenir le juge de notre droit fondamental à la liberté d’expression et à la vie privée, sans permettre aucune procédure d’appel appropriée aux éditeurs dont le travail est supprimé". Il considère que les conclusions rendues par ce rapport sont floues car la loi l’est aussi, et demande donc au Parlement européen de rapidement statuer sur ce sujet.