Dans une tribune parue le 12 février 2015 dans le quotidien luxembourgeois Tageblatt, Jean Feyder, ancien ambassadeur du Luxembourg auprès des Nations Unies à Genève et membre du conseil d’administration de l’ONG Action Solidarité Tiers Monde, a vivement pris position contre le projet de Traité de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) en expliquant en quoi il représente une menace pour la démocratie européenne. Cette déclaration entre dans le cadre du 8e round des négociations sur le TTIP qui a débuté le 3 février à Bruxelles.
Dans son article, Jean Feyder dénonce le projet de création d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats et celui d’un Conseil en matière de réglementation (CCR) comme étant des menaces pour la démocratie. Il pointe à plusieurs reprises le fait que la Commission ignore l’avis du citoyen pour ne s’intéresser qu’aux intérêts des grandes entreprises et déplore le fait que les entreprises américaines puissent interférer dans les affaires européennes, "diviser et conquérir au cœur du processus législatif de l’intégration".
Ce n’est pas la première fois que Jean Feyder s’exprime sur le sujet puisqu’il avait déjà publié un billet dans le même quotidien en mai 2014 où il avait déclaré que le TTIP représentait une menace pour les agriculteurs et les consommateurs européens.
Jean Feyder attire tout d’abord l’attention sur la menace que représente la création d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats pour la démocratie. Selon lui, ce projet constitue une des questions "les plus controversées" du traité, et la Commission ne l’a pas abordée dans le cadre du huitième round des négociations sur le TTIP.
Selon l’auteur, ce mécanisme devrait "permettre à des investisseurs de mener des actions contre des gouvernements chaque fois qu’une nouvelle législation les aurait privés d’un profit", tout particulièrement dans les domaines de la santé, de l’environnement et de la régulation financière. Les jugements seraient pris par une "instance judiciaire privée" et "sans possibilité de recours". Jean Feyder explique ensuite que la procédure serait menée "à l’écart du public" et que le "mécanisme serait à accepter par tous les Etats membres, les parlements et les tribunaux existants".
L’autre projet qui selon lui constitue une menace concerne la création d’un Conseil en matière de réglementation (CCR). Celui-ci mettrait à mal le fonctionnement et l’existence même du marché intérieur de l’UE puisqu’il serait chargé de "traiter des règles et règlementations passées, présentes et à venir" et agirait sous la forme d’un "Conseil permanent". L’auteur cite ici l’ancien commissaire au Commerce Karel de Gucht qui disait que le TTIP devait aboutir à la création d’un "Marché transatlantique interne". Jean Feyder va même jusqu’à supposer que le CCR prendrait en mains "certaines clauses qui, à ce stade, sont jugées trop risquées ou controversées". Par ailleurs, il indique que 162 organisations de la société civile ont demandé début février 2015 de mettre fin à la coopération réglementaire.
"Dimension fondamentale et démocratique de l’UE" selon Jean Feyder, le marché intérieur est aujourd’hui menacé de dissolution dans le cadre du TTIP.
L’auteur exprime également une vive critique envers la Commission européenne, qu’il accuse de placer les intérêts des grandes entreprises et l’investissement au-dessus de l’avis du citoyen européen. Il cite à ce titre une consultation publique entreprise par la Commission en janvier 2014 sur la question du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats. Bien que 97 % des avis prononcés aient pris position contre ce mécanisme, la Commission a purement et simplement "ignoré l’avis du citoyen européen" et "s’obstine à garder la question à l’ordre du jour". Jean Feyder écrit : "à l’évidence, l’avis du citoyen européen et de milieux largement représentatifs y compris économiques de la société européenne lui importe peu et ce qui compte pour elle, ce sont uniquement les intérêts des grandes entreprises".
Au sujet du CCR, Jean Feyder indique que "la société civile organisée restera largement exclue" des négociations puisque "les parties prenantes et les experts qui composeront les différents groupes de travail que ce CCR pourra créer seront composés à 90 % de représentants du secteur privé, comme cela a déjà été le cas pour les travaux préparatoires du TTIP".
Le rôle des entreprises américaines est aussi vivement condamné. Jean Feyder explique à ce titre qu’elles veulent "se donner la possibilité d’influencer les décideurs européens au même titre que les entreprises européennes" et que "les Américains se plaignent d’être trop tenus à l’écart du processus de règlementations en Europe". Il évoque ensuite le "pouvoir sans précédent" que ce nouveau Conseil donne aux lobbies industriels pour arrêter toute nouvelle règlementation pouvant avoir un impact sur le commerce et l’investissement, au détriment de l’intérêt général."
Enfin, le texte met en garde contre une dérive de l’UE en se demandant si l’Europe sera encore capable de "préserver ses valeurs uniques de civilisation (…) vis-à-vis du reste du monde" ou bien si le TTIP "met l’Europe sur un chemin dangereux pour son identité et sa sécurité".
L’auteur prend clairement position en faveur d’un arrêt des négociations TTIP.