Les résultats de la consultation en ligne initiée par la Commission européenne en mars 2014 sur le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE ou ISDS en anglais) dans le cadre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), "montre[nt] clairement l’existence d’un énorme scepticisme par rapport à l’instrument RDIE". C’est ce qu’a indiqué Cecilia Malmström, commissaire chargée du Commerce, alors que la Commission européenne a publié son analyse des quelque 150 000 réponses reçues dans ce contexte, le 13 janvier 2015.
Pour mémoire, les mécanismes ISDS visent à protéger les investisseurs étrangers d'un traitement inéquitable de la part d'un pays hôte via la possibilité de recours à des tribunaux d’arbitrages ad hoc pour régler les litiges potentiels. Ce système fait polémique car nombreux sont les syndicats et les ONG qui redoutent le fait qu’il permette à une multinationale qui s'estimerait lésée par une politique publique de poursuivre un Etat – comme cela est le cas en Allemagne avec Vatenfall, en vertu d’un autre traité, dans le contexte du retrait de la production nucléaire par ce pays –, ce qui pourrait avoir un effet dissuasif sur les Etats souhaitant réglementer en matière sociale, environnementale et sanitaire. Le même mécanisme est d’ailleurs inclus dans l’accord de libre-échange négocié entre l’UE et le Canada (dit CETA) où il suscite des interrogations similaires.
Confrontés à une inquiétude grandissante sur ce sujet, plusieurs Etats membres ont exprimé leurs craintes quant à un tel système. Ainsi, l’Allemagne avait estimé en juillet 2014 par la voix d’un porte-parole du gouvernement ne pas voir de nécessité pour de telles dispositions puisque les USA offrent une protection juridique suffisante aux investisseurs européens devant leurs tribunaux nationaux et vice-versa. Au Luxembourg, le gouvernement avait pour sa part assuré, dans une réponse parlementaire datée du 24 juin 2014, que "le Luxembourg est d'avis qu'un tel système n'est pas nécessaire avec un pays membre de l'OCDE". La Commission européenne rappelle pourtant de son côté régulièrement que ce sont bien les États membres de l’UE qui lui ont demandé, comme le mandat sur lequel ils se sont accordés le précise, d’inclure la protection des investissements et le règlement des différends dans les négociations du TTIP, tout en soulignant que l’UE a modernisé les règles relatives à ces mécanismes. Quatorze Etats membres ont d’ailleurs réitéré leur soutien au RDIE en octobre 2014.
C’est dans ce contexte que la Commission européenne, dès mars 2014, avait décidé de suspendre, dans les négociations au plan technique, le chapitre sur la protection des investissements et le mécanisme ISDS, le temps de mener une large consultation publique sur le sujet avec l’objectif "d’assurer un juste équilibre entre la protection des investisseurs et la préservation du droit de l'UE et de ses États membres de réglementer", expliquait-elle.
Le rapport publié le 13 janvier relève que "la grande majorité des réponses, environ 145 000 (soit 97 %), communiquées via des plateformes en ligne de groupes d’intérêts, contenaient des réponses négatives prédéfinies", écrit la Commission dans un communiqué diffusé le 13 janvier. En outre, elle a reçu des réponses individuelles et "généralement plus détaillées" de plus de 3 000 particuliers et quelque 450 organisations "représentant un large éventail de la société civile européenne, dont des ONG, des organisations professionnelles, des syndicats, des associations de consommateurs, des cabinets d’avocats et des universitaires".
Parmi celles-ci, la Commission distingue trois catégories : les réponses indiquant "une opposition ou des préoccupations" quant au TTIP "de façon générale"; celles indiquant "une opposition ou des préoccupations générales quant à la protection des investissements ou au RDIE" dans le cadre du TTIP et; celles "apportant des commentaires détaillés sur l’approche proposée par l’UE" dans ce même cadre dont la Commission relève "qu’ils reflètent un large éventail de points de vue".
Pour ce qui est des réponses relevant des deux premières catégories, dont le rapport note qu’elles sont "très nombreuses", Commission analyse qu’elles "montrent clairement que beaucoup de citoyens, dans toute l’Europe, ont des inquiétudes à l’égard du partenariat transatlantique en général mais aussi du principe même de la protection des investissements et du règlement des différends".
Les réponses de la troisième catégorie contiennent des commentaires sur différents aspects de l’approche de l’Union et, dans certains cas, des propositions concrètes sur de nouvelles modifications à apporter. "Les avis sont partagés pour la quasi-totalité des thèmes abordés. Comme l’indiquent les commentaires, les répondants semblent attacher une importance particulière à un certain nombre de domaines", relève la Commission. Il s’agit notamment:
De manière plus détaillée, la Commission souligne que de nombreux répondants reconnaissent les efforts de l'UE pour améliorer le système de protection des investissements, mais considèrent pour diverses raisons que l'approche est insuffisante. Un nombre important de syndicats et d'un grand groupe d'ONG soulignent la nécessité de renforcer le droit de réglementer dans l'intérêt public.
Certains appellent par ailleurs à renforcer les obligations imposées aux investisseurs, en particulier en matière de droits de l'homme, des normes sociales et environnementales ou, plus généralement, à la responsabilité sociale des entreprises, note le rapport.
Dans le milieu des affaires, en dépit du soutien général pour un système de RDIE plus inclusif et cohérent, caractérisé par la transparence et l'éthique, il existe des préoccupations quant au fait que l'approche de l'UE réduise le niveau de protection des investisseurs par rapport aux accords d'investissement existants, ce qui risquerait rendre l’UE moins attractive pour les investissements étrangers. D'autres expriment le point de vue qu'il n'y a pas de contradiction entre les règles internationales sur l'investissement et le droit des Etats de réglementer.
Les améliorations apportées au RDIE en matière de transparence notamment sont généralement perçues positivement, rapporte par ailleurs la Commission qui note que certains considèrent néanmoins l'approche insuffisante en raison des exemptions de confidentialité.
La Commission relève encore que beaucoup de discussions se focalisent sur la relation entre les tribunaux d’arbitrage établis par le RDIE et les tribunaux nationaux, ainsi que sur l'approche de l'UE en matière de qualifications et de nomination des arbitres. L'introduction d'un code de conduite pour les arbitres est également généralement considérée sous un jour positif.
"La possibilité d'un organe de recours est aussi accueillie de manière générale comme un moyen d'améliorer la cohérence et la légitimité du RDIE, mais le manque de certitude quant à sa création est considéré comme un problème", souligne encore la Commission qui note qu’un grand nombre de réponses demandent que les tribunaux nationaux soient exclusivement compétents pour régler les différends entre Etats et investisseurs étrangers.
D’autres inquiétudes concernent l'accessibilité au mécanisme de RDIE, qui reste de facto une procédure essentiellement accessible à des entreprises de grande envergure, ses coûts et sa complexité rendant difficile pour les petits investisseurs privés d'y recourir. Un mécanisme de règlement des différends plus adapté aux PME est considérée comme souhaitable.
Commentant le rapport, la commissaire en charge du Commerce, Cecilia Malmström, a estimé qu’il s’agissait désormais de "mener une discussion franche et ouverte" sur la protection des investissements et le RDIE avec les gouvernements des pays de l’UE, le Parlement européen et la société civile "avant d’émettre toute recommandation politique dans ce domaine". Elle s’est également réjouie de la présence de "propositions constructives concernant les domaines pouvant être réformés". Celles-ci seront "examinées attentivement au cours du dialogue". Il s’agit par ailleurs "de réfléchir à la façon de gérer le fait que les pays de l’UE ont déjà 1400 accords bilatéraux de ce type, dont certains datent des années 50", ajoute la commissaire. Cela est aussi le cas pour le Luxembourg, comme l’ont à de nombreuses reprises expliqué des membres du gouvernement.
"La grande majorité de ces accords ne contiennent pas les garanties qu’aimerait voir l’Union européenne. Ce sera également un élément important à prendre en compte dans notre réflexion sur la façon optimale de traiter la question de la protection des investissements dans les accords conclus par l’UE. En effet, si nous ne les remplaçons pas par des dispositions plus abouties, ils resteront en vigueur, et avec eux subsisteront les préoccupations légitimes qu’ils ont soulevées tous ces derniers mois", a-t-elle poursuivi.
Et d’assurer encore que le TTIP négocié par la Commission "sera un accord qui est bénéfique pour les Européens", "pour la croissance et les emplois ici en Europe" et qui "renforce l’influence de l’Europe dans le monde et qui nous aidera à protéger nos normes de haute qualité". "Jamais la Commission européenne – pas plus que les États membres de l’Union ou le Parlement européen – ne pourrait même envisager un accord qui entraînerait un nivellement par le bas ou limiterait le droit à réglementer de nos gouvernements", a conclu la commissaire.
Au cours du premier trimestre 2015, la Commission organisera une série de réunions de consultation avec les États membres, le Parlement européen, les parlements des États membres et des parties prenantes, dont des ONG, des entreprises, des syndicats, des associations de défense des consommateurs et de l’environnement. Le rapport présenté le 13 janvier 2014 servira de base à ces discussions sur la protection des investissements et le règlement des différends dans le cadre du partenariat transatlantique. Les résultats de la consultation seront tout d’abord présentés à la commission du commerce international du Parlement européen le 22 janvier. Après ces consultations du premier trimestre, la Commission élaborera des propositions spécifiques en vue des négociations du partenariat transatlantique.