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Entreprises et industrie - Fiscalité
Echange automatique d’informations sur les tax rulings – Pierre Gramegna salue "une réponse" à l’absence de transparence des décisions anticipées, tandis que les réactions sont mitigées au Parlement européen
18-03-2015


Pierre Gramegna interrogé par la presse luxembourgeoise à la sortie du Conseil Ecofin du 10 mars 2015 (Source : Vidéo du Conseil de l'UE)Suite à la présentation du "paquet sur la transparence fiscale"de la Commission européenne et de sa mesure phare, l’échange automatique d’informations (EAI) sur les "tax rulings" (décisions fiscales anticipatives ou rescrits fiscaux en français) accordés par les Etats membres à des entreprises multinationales, les réactions n’ont pas manqué, notamment au Parlement européen, mais aussi au Luxembourg.

Pierre Gramegna salue "une réponse" à la problématique de la transparence des rulings

Le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna a ainsi répondu aux questions de la radio RTL, le 18 mars 2015. Il a rappelé notamment que le Luxembourg avait inscrit sa pratique des "tax rulings" dans la loi en 2014 "de manière préventive" au lancement des révélations Luxleaks.

Il a par ailleurs souligné que si le besoin de davantage de transparence dans les rulings était une réalité, l’échange automatique d’informations (EAI) proposé par la Commission européenne "apportait une réponse à cette problématique" et que l’Europe devenait "une pionnière dans ce domaine". "Nous devons nous assurer que la portée de la directive soit la plus large possible, tant en termes géographiques que de contenu des rulings, et cela devra être analysé", a noté le ministre. "Mais ce qui est important pour le Luxembourg, c’est que les mêmes règles du jeu soient appliquées partout et pour tous, c’est le critère le plus important pour nous", a-t-il poursuivi.

Pierre Gramegna a encore précisé que les changements prévus par la proposition de la Commission sur l’EAI des "tax rulings" ne concernaient pas uniquement le Luxembourg mais bien l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne (UE). Le ministre a par ailleurs souligné une nouvelle fois que le Grand-Duché était demandeur d’une telle directive car "l’on pensait à tort" que les rulings étaient "une spécialité du Luxembourg" alors qu’ "ils sont pratiqués dans 26 pays de l’UE".

"C’est pour cela que nous avons dit que, si l’on voulait plus de transparence en ce qui concerne les rulings ou sur d’autres éléments qui relèvent de la fiscalité, alors nous devions établir une coopération en Europe et dans le monde et la directive qui a été détaillée aujourd’hui est une réponse à cette problématique qui dépasse largement le Luxembourg", a-t-il conclu.

Réactions mitigées au Parlement européen

Les groupes politiques au Parlement européen – qui s’est lui-même sais de la problématique à travers la mise en place d’une commission parlementaire spéciale – ont également largement commenté la proposition.

Ainsi, le groupe du parti populaire européen (PPE) s’est-il notamment félicité du paquet présenté par la Commission tout en appelant à davantage de mesures. "Nous voulons de la transparence et de la lumière dans l'obscurité, mais pas seulement", a déclaré l’eurodéputé allemand Burkhard Balz, porte-parole du groupe au sein de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON) ainsi que dans la commission spéciale, cité dans un communiqué diffusé par le PPE le 18 mars.

"L'échange obligatoire et automatique d'informations au sujet de chaque accord fiscal entre les États membres et des entreprises individuelles est absolument nécessaire et doit être adopté dès que possible. Cela fera la lumière sur les pratiques cachées de certains États membres", a-t-il poursuivi, notant qu’il ne s’agissait que d’une "première étape".

Le député du groupe chrétien-social a néanmoins souligné que les nouvelles exigences ne devraient pas pénaliser les entreprises européennes, faisant référence à l’annonce de la Commission selon laquelle celle-ci évaluera la nécessité d’étendre l’obligation de publication de certaines informations fiscales par les multinationales sous la forme d’informations pays par pays. "La lutte contre l'évasion fiscale ne doit pas augmenter la paperasserie. Si chaque entreprise qui fait des affaires dans d'autres États membres doit rendre compte de ses activités dans tous les pays, nous allons enclencher une avalanche de nouvelle bureaucratie. Cela pourrait même devenir un obstacle au marché unique", a averti Burkhard Balz.

Du côté du groupe des socialistes et démocrates (S&D) au Parlement européen, son président, l’Italien Gianni Pittella, a salué "un premier pas positif" de la Commission "pour défendre les citoyens européens contre la fraude et l’évasion fiscales". "Notre but consiste à empêcher de nouveaux cas comme ceux révélés par Luxleaks, qui sont moralement inacceptables mais légalement admis. Dans cet esprit, la transparence est la première étape d’un processus. À présent, nous devons transformer ces pratiques immorales en délits donnant lieu à des poursuites", a-t-il ainsi indiqué, cité dans un communiqué publié par son groupe le 18 mars.

Selon le président du groupe socialiste, "beaucoup reste donc à faire" pour garantir une plein transparence. Par ailleurs, les S&D "se mobiliseront pleinement pour que la Commission intègre à son paquet la tenue d’une comptabilité pays par pays, ainsi que l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS)", a-t-il encore dit. Pour rappel, la Commission a annoncé dans le cadre de son paquet sur la transparence fiscale que cette proposition, bloquée au Conseil de l’UE depuis qu’elle a été proposée en 2011, sera de nouveau soumise à la discussion.

Le groupe des conservateurs et réformistes (ECR), par la voix de l’eurodéputé danois Morten Messerschmidt, porte-parole du groupe dans la commission parlementaire spéciale, a souligné qu'une plus grande transparence était nécessaire pour garantir la concurrence, mais que ce paquet ne devait "pas être un prélude à d'autres efforts visant à harmoniser la fiscalité au niveau de l'UE", rapporte un communiqué diffusé par son groupe le 18 mars.

"Concernant la planification fiscale agressive, nous croyons que la lumière du soleil est le meilleur désinfectant", a-t-il dit. Mais de souligner l’existence d’"une forte pression de M. Juncker et de nombreux députés pour exploiter la saga Luxleaks et assouvir leurs fantasmes d’harmonisation fiscale de l'UE", ce à quoi le groupe ECR dit s’opposer fermement. "[La fiscalité] est une compétence qui doit rester au niveau des États membres alors que tout effort d'harmonisation sonnerait le glas pour la compétitivité de l'Europe", conclut-il.

Le groupe de l’alliance des libéraux et démocrates (ALDE) avait pour sa part publié un communiqué en amont de l’annonce de la Commission, le 17 mars, dans lequel il salue "une première étape favorable" afin de lutter contre l'évasion fiscale en Europe et dévoiler toutes les réductions d'impôt consenties aux sociétés multinationales.

Citée dans le communiqué, l’eurodéputée néerlandaise Sophie In't Veld, première vice-présidente du groupe, a notamment souligné que "la balle [était] désormais dans le camp des États membres de l'UE, qui seront  obligés de révéler leur vrai visage: accepteront-ils de passer des paroles aux actes afin d'aller de l'avant, ou vont-ils continuer à bloquer les propositions ?", s’interroge-t-elle, assurant que "la volonté politique des gouvernements nationaux sera déterminante à cet égard".

"L’affaire LuxLeaks illustre avec quelle facilité l'argent passe les frontières", a-t-elle par ailleurs jugé, notant que "les solutions nationales ou bilatérales ne sont pas suffisantes". "Il est donc essentiel que les Etats membres de l'UE soutiennent une meilleure transparence et une assiette commune consolidée pour l'impôt. Ceci permettrait d'instaurer une véritable concurrence fiscale qui remplacerait l'évasion fiscale et l'érosion de l'assiette fiscale", a conclu la députée.

Au sein du groupe de la gauche radicale (GUE/NGL), l’eurodéputée portugaise Marisa Matias a qualifié la proposition de la Commission de "mascarade". "Ce que la Commission a présenté aujourd'hui existe depuis les années 1970, ce n’est rien de nouveau", a-t-elle dit, estimant qu’elle n’apporterait "ni une plus grande transparence fiscale, ni la justice fiscale", rapporte un communiqué diffusé par son groupe le 18 mars.

Elle a encore regretté que malgré "les scandales de fraude et d’évasion fiscales, nous ne savons toujours pas combien d'argent a été perdu" et que si la Commission a promis davantage d'informations publiques sur la question, "nous savons que ce ne sera pas le cas". "C’est juste une mascarade", a indiqué la députée qui a souligné que son groupe allait continuer à pousser les Etats membres et la Commission pour plus d'actions concrètes et une réponse plus crédible à la fraude fiscale".

Enfin, le groupe des Verts/ALE au Parlement européen s’est également voulu très critique du paquet présenté par la Commission qu’il qualifie de "vide". "La Commission avait promis un paquet de transparence fiscale, mais ce qui a été présenté aujourd'hui est un paquet vide, avec seulement une proposition législative concrète et la promesse de présenter plus tard un nouveau paquet sur la fiscalité des entreprises", a regretté le co-président du groupe, l’eurodéputé belge Philippe Lamberts, cité dans un communiqué publié par les Verts/ALE le 18 mars. Selon lui, cela montre que la Commission Juncker "ignore la gravité de la situation et la nécessité d'une réponse globale au niveau de l'UE".

"La proposition sur l'échange d'informations entre les États membres est nécessaire et bienvenue, car elle clarifie une obligation qui existe depuis les années 70, mais qui n’a jamais été appliquée correctement", a-t-il par ailleurs reconnu, mais de noter cependant  qu’il ne s’agit que d’un élément "d'une longue série de mesures qui pourraient et devraient être introduites pour améliorer la transparence en matière de fiscalité". Philippe Lamberts cite notamment l'obligation pour certaines entreprises de divulguer des renseignements fiscaux par pays qui "devrait être étendue à toutes les sociétés transnationales". "Les Verts ont fait des propositions à cet égard dans le cadre de la révision en cours de la directive sur les droits des actionnaires, et nous exhortons tous les groupes à les soutenir", a-t-il conclu.