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Entreprises et industrie - Fiscalité
La Commission européenne présente son paquet sur la transparence fiscale dont la mesure phare est l’échange automatique et obligatoire entre Etats membres de leurs "tax rulings"
18-03-2015


Le commissaire européen en charge de la Fiscalité, Pierre Moscovici, lors de la présentation du paquet sur la transparence fiscale de la Commission européenne, le 18 mars 2015 (source: Commission)Dans le cadre des mesures qu’elle entend mettre en place en vue de s’attaquer à l’évasion fiscale des entreprises et la concurrence fiscale dommageable au sein de l’UE, la Commission européenne a présenté, le 18 mars 2015, sa proposition législative visant à introduire l’échange automatique d’informations (EAI) entre les États membres concernant leurs "tax rulings" (ou rescrits fiscaux).

Une planification fiscale agressive qui permet à certaines entreprises "d’éluder le paiement de leur juste part de l’impôt"

Cette proposition se veut l’élément clé du "paquet sur la transparence fiscale" adopté par la Commission le même jour et qui comprend un premier train de mesures en la matière dont les éléments sont détaillés dans une communication de l’institution. Selon la Commission, l’évasion fiscale des entreprises prive en effet les budgets publics des États membres de l’UE de plusieurs milliards d’euros par an, cela à un moment de tension particulière pour les finances publiques.

Ainsi, si contrairement à la fraude, l’évasion fiscale s’inscrit généralement dans les limites de la loi, "de nombreuses formes d’évasion fiscale sont toutefois contraires à l’esprit de la loi, s’appuyant sur une interprétation très extensive de ce qui est "légal" pour réduire au minimum la contribution fiscale globale d’une entreprise", lit-on dans la communication. La Commission pointe ainsi le recours à des techniques de planification fiscale agressive qui permettent à certaines entreprises transnationales, en exploitant les failles juridiques des systèmes fiscaux et les asymétries qui existent entre les règles nationales, d’"éluder le paiement de leur juste part de l’impôt".

Ces pratiques constituent dès lors "un obstacle au partage équitable de la charge entre les contribuables, à l'exercice d'une concurrence loyale entre les entreprises et à l’instauration de conditions égales pour tous les États membres", dit la Commission, qui juge dès lors "essentiel de renforcer la transparence et la coopération afin de lutter contre la planification fiscale agressive et les pratiques fiscales abusives".

"Nous ne tolérerons plus les entreprises qui évitent de payer leur juste part d'impôts ni les régimes fiscaux qui permettent de tels comportements", a ainsi assuré le commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, Pierre Moscovici, lors de la présentation du paquet à la presse. "Nous devons garantir que le lieu où les entreprises réalisent réellement leurs bénéfices est aussi le lieu où elles sont imposées", a-t-il poursuivi, notant qu’à cette fin, les États membres devaient être plus transparents entre eux et collaborer".

Renforcer la transparence en matière de décisions fiscales

La mesure principale du paquet présenté par la Commission, la proposition de directive relative à l’EAI entre les Etats membres sur les rescrits fiscaux, vise donc précisément à améliorer la coopération entre les États membres en ce qui concerne leurs décisions fiscales en matière transfrontière. "Nous voulons faire la lumière sur un système qui peut avoir son utilité" en termes de "certitudes et de prévisibilité" pour les entreprises "mais qui est particulièrement opaque", a dit Pierre Moscovici, le commissaire estimant que "cette proposition devrait marquer le début d'une ère nouvelle en matière de transparence fiscale".

La proposition prévoit en effet que les États membres auront désormais l’obligation d’échanger automatiquement des informations sur leurs décisions fiscales selon un calendrier strict: tous les trois mois, les autorités fiscales nationales devront envoyer à tous les autres États membres un rapport succinct sur toutes les décisions fiscales en matière transfrontière qu'elles ont délivrées, sans possibilité d’exemption. Le cas échéant, les États membres pourront ensuite demander davantage de précisions sur telle ou telle décision. La Commission propose dans ce contexte que ces nouvelles exigences soient intégrées dans le cadre législatif en vigueur pour l’EAI, au moyen d’un amendement de la directive relative à la coopération administrative.

La Commission rappelle en effet qu’actuellement, les États membres échangent très peu d’informations sur leurs décisions fiscales, alors que chacun a toute discrétion pour décider si une décision fiscale peut être pertinente pour un autre pays de l'UE. "En conséquence, les États membres ignorent souvent qu'une décision fiscale en matière transfrontière a été délivrée ailleurs dans l'UE, qui pourrait avoir une incidence sur leurs propres assiettes fiscales", lit-on ainsi dans un communiqué diffusé par le service de presse de la Commission. Pour remédier à cette situation, la Commission a donc proposé "de supprimer cette marge de discrétion et d’interprétation", poursuit le communiqué.

L’EAI sur les décisions fiscales, tel que proposé, permettra ainsi désormais aux États membres de détecter certaines pratiques fiscales abusives imputables à certaines entreprises et de réagir en prenant les mesures qui s'imposent, a par ailleurs précisé le commissaire Moscovici. Selon lui, il devrait en outre encourager une concurrence fiscale plus saine, étant donné que les autorités fiscales seront moins susceptibles de proposer aux entreprises un traitement fiscal sélectif dès lors que leurs pratiques pourront être examinées et contrôlées par leurs pairs.

Autres initiatives en faveur de la transparence fiscale

Outre l’EAI sur les "rulings" fiscaux, la communication de la Commission met en avant une autre série d'initiatives visant à faire progresser la transparence fiscale dans l'UE.

Ainsi, la Commission évaluera-t-elle notamment la nécessité d’étendre l’obligation de publication de certaines informations fiscales par les multinationales sous la forme d’information pays par pays – telle qu’elle existe pour les banques ou les entreprises d’exploitation forestière – et permettant l’accès du public à un ensemble restreint d’informations fiscales concernant les entreprises multinationales.

 "Il est toutefois nécessaire d'examiner avec beaucoup d'attention les objectifs, les avantages et les risques d'une initiative de ce type. La Commission évaluera donc l’impact d'éventuelles exigences supplémentaires en matière de transparence afin qu'une décision puisse être prise ultérieurement en connaissance de cause", précise le communiqué de la Commission.

Par ailleurs, la Commission suggère de réviser le code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises qui est "l’un des principaux outils dont dispose l’UE pour garantir une concurrence loyale dans le domaine de la fiscalité des entreprises".

La Commission rappelle en effet que ce code fixe les critères qui déterminent si un régime fiscal est dommageable ou non et oblige les États membres à supprimer toute mesure fiscale préjudiciable allant à l’encontre de ce code. "Toutefois, au cours des dernières années, le code a perdu en efficacité pour lutter contre les régimes fiscaux dommageables car ses critères ne tiennent pas compte des mécanismes plus sophistiqués utilisés par les entreprises pour contourner l'impôt", indique le communiqué de la Commission. Afin de garantir une concurrence fiscale loyale et transparente au sein de l’UE, la Commission collaborera donc avec les États membres pour réviser le code de conduite ainsi que le mandat du groupe "Code de conduite" du Conseil.

La Commission souhaite également quantifier l’ampleur de la fraude et de l’évasion fiscales. Conjointement avec Eurostat, elle collaborera avec les États membres pour déterminer comment il est possible d'obtenir une estimation fiable du phénomène. "Le fait de disposer de statistiques fiables sur l’ampleur et l’impact de ces problèmes contribuerait à mieux cibler les mesures destinées à lutter contre ces phénomènes", dit la Commission.

Enfin, la Commission propose d’abroger la directive sur la fiscalité de l’épargne, ses dispositions étant dépassées depuis que l'UE a adopté une législation plus ambitieuse en la matière dans le cadre de l’adoption de la directive révisée sur la coopération administrative. "L’abrogation de la directive sur la fiscalité de l’épargne permettra de créer un cadre simplifié pour l’échange automatique d’informations financières et d’éviter toute insécurité juridique ou toute charge administrative supplémentaire pour les autorités fiscales et les entreprises", avance encore la Commission.

Prochaines étapes

Les deux propositions législatives de ce paquet de mesures seront soumises au Parlement européen pour consultation et au Conseil pour adoption. Les États membres devraient se mettre d’accord sur la proposition relative aux décisions fiscales avant la fin de l'année 2015 de manière à ce qu'elle puisse entrer en vigueur le 1er janvier 2016. Étant donné que le Conseil européen de décembre 2014 a demandé à la Commission de présenter cette proposition, la détermination politique de tous les acteurs devrait permettre de conclure un accord en temps utile.

La Commission souligne par ailleurs que la prochaine étape consistera à présenter avant l'été un plan d’action sur la fiscalité des entreprises. Ce deuxième plan d’action sera axé sur des mesures visant à faire en sorte que la fiscalité des entreprises soit plus équitable et plus efficace au sein du marché unique. Il comprendra notamment la proposition sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS), qui sera de nouveau soumise à la discussion alors qu’elle est bloquée au Conseil de l’UE depuis qu’elle a été proposée par la Commission en 2011. En outre, une réflexion sera lancée sur la manière d'intégrer au niveau de l’UE les nouvelles mesures de l'OCDE/G20 destinées à lutter contre l’érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), indique encore la Commission.

Quelques éléments supplémentaires de contexte

Pour rappel, le "paquet sur la transparence fiscale" s’inscrit dans le cadre du programme de travail adopté par la nouvelle Commission en décembre 2014 qui prévoit notamment de développer "une approche fiscale plus équitable" dans l’Union européenne (UE), conformément aux orientations politiques que son président, Jean-Claude Juncker, avait présentées au Parlement européen en juillet 2014.

Il s’inscrit par ailleurs plus largement dans le contexte des quatre enquêtes approfondies ouvertes dès juin 2014 par la Commission sur la compatibilité avec les règles de l'UE en matière d’aides d’État de certaines pratiques fiscales – notamment les "rulings" – en vigueur dans certains États membres dans le cadre de la planification fiscale agressive pratiquée par les multinationales. Sont visés le Luxembourg, dans le cas duquel la Commission se penche sur les rulings conclus à l’égard de Fiat Finance and Trade et d’Amazon, tandis qu’elle examine des accords similaires en Irlande (visant Apple) et aux Pays-Bas (vis-à-vis de Starbucks). En février 2015, la Commission a par ailleurs ouvert une enquête identique sur le système belge, en tant que tel, des rulings.

Enfin, la proposition fait encore suite aux révélations dites "Luxleaks"par un consortium international de journalistes d’investigation en novembre 2014. Cette enquête avait alors mis le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales (à cause des "tax rulings" accordés par l’administration), mais surtout, elle avait mis en lumière la manière dont certaines entreprises exploitaient la concurrence fiscale entre les pays de l'UE pour réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois sous la barre de 1 % de leurs bénéfices.