Le 26 février 2015, les eurodéputés de la commission des Affaires économiques et monétaires ont adopté leur position sur le projet de règlement encadrant les fonds monétaires.
Ce texte devrait être soumis au vote lors de la plénière d’avril 2015 en vue d’une adoption en première lecture. De son côté, le Conseil n’a pas encore adopté sa position sur un sujet qui, d’après les premières réactions observées en septembre 2013 de la part de l’association luxembourgeoise des fonds d’investissements (ALFI), n’est pas sans importance pour la place financière luxembourgeoise.
Pour rappel, la Commission européenne a mis sur la table en septembre 2013, en même temps que sa communication sur le système bancaire parallèle, une proposition de nouvelles règles pour les fonds monétaires.
La Commission soulignait en 2013 que ces fonds détenaient en Europe environ 22 % des titres de dette à court terme émis par les administrations publiques ou par les entreprises et 38 % de la dette à court terme émise par le secteur bancaire. Selon les estimations de la Commission, le secteur des fonds monétaires, qui est très concentré, représentait en Europe autour de 15 % des sommes déposées dans des fonds d’investissement.
L’objectif premier du projet de règlement proposé par la Commission était de permettre aux fonds monétaires de mieux résister aux demandes accrues de remboursements en cas de difficultés sur les marchés. L’enjeu était, pour la Commission, d’améliorer le profil de liquidité et la stabilité des fonds monétaires, qui constituent une importante source de financement à court terme pour les établissements financiers, les entreprises et les administrations publiques.
La Commission proposait que les fonds monétaires aient pour obligation de détenir dans leur portefeuille au moins 10 % d’actifs dont l'échéance maximale est d'un jour, et 20 % supplémentaires dont l'échéance maximale est d'une semaine. Une exigence censée permettre aux fonds monétaires de rembourser les investisseurs qui souhaitent retirer des fonds à court terme. Par ailleurs, la Commission proposait de plafonner l'exposition maximale par émetteur à 5 % du portefeuille du fonds en valeur afin d’éviter qu’un émetteur donné n'ait un poids trop important dans la valeur liquidative d'un fonds monétaire.
Par ailleurs, la Commission proposait d’imposer aux fonds à valeur liquidative constante (CNAV ou Fonds VLC) tendant à avoir besoin du soutien de leur sponsor pour stabiliser les remboursements au pair d’établir une réserve de fonds propres prédéterminée qui devrait être selon la Commission de l’ordre de 3 %. L’idée était d’utiliser cette réserve pour assurer la stabilité des remboursements en période de baisse de valeur des actifs de ces fonds monétaires qui offrent une rémunération constante malgré les fluctuations du marché.
Les eurodéputés de la commission ECON ont soutenu l’approche générale retenue dans le rapport préparé par l’eurodéputée britannique Neena Gill (S&D). Cette dernière n’a pas manqué de souligner la grande difficulté d’un dossier qui vise selon elle avant tout à réduire les risques systémiques de façon à protéger le contribuable. "Après de longues et difficiles négociations, nous avons trouvé un cadre qui serait avantageux pour les deux groupes polarisés", a-t-elle expliqué sur le site des eurodéputés du Labour britannique.
La commission ECON a ainsi notamment retenu l’idée de Neena Gill de prévoir des frais de liquidités et un système de verrouillage des demandes de rachat appliqués en période de tension plutôt que la réserve de fonds propres de 3 % du total des actifs que proposait la Commission pour les fonds monétaires à valeur liquidative constante (CNAV ou fonds VLC).
L’eurodéputé Petr Jezek, rapporteur fictif pour le groupe ADLE, s’est réjoui de cette suppression de la réserve de fonds propres proposée par la Commission. "Elle aurait tué l’industrie des CNAV", argue en effet l’ADLE dans un communiqué de presse daté du 26 février 2015.
Pour rappel, en septembre 2013, l’ALFI s’était inquiétée tout spécialement de la volonté d’imposer aux fonds monétaires à valeur constante une réserve de fonds propres de 3 %, dont elle craignait des "conséquences négatives importantes".
Le rapport de Neena Gill prévoyait par ailleurs que seuls deux types de fonds monétaires à valeur liquidative constante puissent être opérés dans l’Union, à savoir les fonds VLC liés à la dette publique, fonds investissant une majorité de leurs actifs dans les dettes publiques, et les fonds VLC pour petits investisseurs, auquel seules les organisations caritatives, les organisations sans but lucratif, les administrations publiques, les fondations publiques et les personnes physiques pourraient souscrire.
Le compromis adopté en commission prévoit un troisième type de fonds monétaire à valeur liquidative constante, à savoir les fonds monétaires à faible volatilité (Low volability net asset value ou LVNAV). Ces derniers pourraient maintenir une valeur nette stable comme le font les CNAV à moins que la valeur nette du portefeuille dévie de 20 points de base. Dans ce cas, le fonds devrait refléter la valeur réelle du portefeuille.
Comme le souligne Petr Jezek, qui est à l’origine de cette proposition de compromis, c’était là un enjeu majeur du compromis qui a permis d’unir les vues des personnes défendant les CNAV, plus répandus aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et de celles qui leur préfèrent les VANV, fonds monétaires à valeur liquidative variable beaucoup plus répandus en France notamment.
Le compromis adopté en commission ECON prévoit ainsi une clause appelant à une conversion obligatoire après cinq ans de ces LVANV vers les VNAV. Un an avant que leur autorisation n'expire, la Commission devra procéder à un examen pour déterminer si la question de la stabilité financière et du risque systémique est traitée grâce à ces fonds LVNAV. La Commission sera obligée de présenter une proposition législative sur base de ses conclusions, y compris la possibilité d'une autorisation indéfinie, a expliqué Petr Jezek, rapporteur fictif et artisan de la proposition sur les LVNAV.
Si Petr Jezek s’est félicité de voir sa proposition de compromis soutenue par les deux grands groupes politiques au sein de la commission ECON, il est évident qu’elle n’a pas satisfait le groupe des Verts/ALE.
L’eurodéputée française Eva Joly juge ainsi "imprécis" les contours de la nouvelle catégorie de fonds introduite et juge la clause transitoire de cinq ans "trop longue". Elle déplore d’ailleurs que cette clause transitoire ne soit pas appliquée aux autres types de CNAV, dont elle privilégierait la suppression progressive du fait qu’ils génèrent des risques systémiques. "Ces fonds fonctionnent comme les caisses d'épargne et il est donc nécessaire qu'ils soient soumis à un niveau de réglementation équivalent à celui du système bancaire classique", estime en effet Eva Joly.
Sans surprise, elle se montre donc vivement irritée par la suppression du fonds de réserve proposé par la Commission qui fait suite selon elle à "un intense lobbying de l’industrie".
Eva Joly regrette aussi qu’un amendement des Verts prévoyant des règles de rémunération des managers des fonds monétaires équivalentes aux règles bancaires telles que récemment adoptées ait été rejeté avec l'aide du groupe socialiste.
En bref, à ses yeux, "le vote d'aujourd'hui est un coup dur pour tous ceux qui souhaitent améliorer la stabilité du système financier et un cadeau pour le lobby financier". Elle place donc ses espoirs dans une amélioration du texte en plénière. Car, souligne-t-elle, "si la position du Parlement européen devenait à terme législation européenne, l'UE ne serait pas en mesure de répondre aux exigences internationales et mettrait de fait sa crédibilité en jeu" avec en ligne de mire les travaux menés au G20 sur le système bancaire parallèle.