Le 20 avril 2015, les ministres des Affaires étrangères de l’UE réunis à Luxembourg étaient unanimes à affirmer qu’il faut améliorer les sauvetages en Méditerranée, stabiliser la situation en Libye et renforcer la lutte contre les trafiquants, après le nouveau naufrage en Méditerranée lors de la nuit du 18 au 19 avril 2015 qui a coûté la vie à jusqu’à 950 personnes. En raison de cette actualité, il a été demandé aux ministres de l’Intérieur de rejoindre le Conseil. En amont, Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, avait déclaré qu’il fallait "empêcher que ces tragédies ne se répètent" tandis que le ministre italien des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, avait insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un problème européen, et non pas italien.
Un sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement sur les tragédies en Méditerranée a été convoqué pour le 23 avril 2015 par le président du Conseil européen, Donald Tusk. Une telle réunion avait été demandée la veille par le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, et soutenue par plusieurs de ses homologues, dont le Britannique David Cameron et l'Espagnol Mariano Rajoy. "Nous ne pouvons pas continuer comme cela, nous ne pouvons accepter que des centaines de personnes meurent en essayant de traverser la mer pour venir en Europe", a souligné Donald Tusk. Il a énuméré "certains des sujets à aborder en urgence: comment arrêter les trafiquants d'êtres humains, comment augmenter nos efforts communs pour sauver les gens dans le besoin, comment mieux aider les Etats membres les plus touchés, et comment accroître notre coopération avec les pays d'origine et de transit".
Les ministres se sont accordés sur un plan en dix points, proposé par la Commission européenne et présenté à la presse par Dimitris Avramopoulos, commissaire en charge des Affaires intérieures et de la Migration. Selon un communiqué diffusé par la Commission, ce plan prévoit le renforcement des opérations conjointes en Méditerranée, à savoir Triton et Poseidon, en augmentant leurs moyens financiers, le nombre d’actifs et en étendant leur champs d’application. Selon le ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière et le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, la Commission aurait proposé de doubler les moyens de Triton, qui s’élèvent en ce moment à trois millions d’euros par mois, tant en moyens financiers qu’en nombre de bateaux, alors que la Commission ne voulait pas chiffrer les nouveaux engagements. Le plan constituera un pilier de la stratégie pour les migrations que la Commission entend présenter en mai, a indiqué le commissaire.
Selon le plan, il va y avoir des efforts systématiques pour capturer et détruire les embarcations utilisées par les trafiquants – en s’inspirant de la mission européenne Atalanta, mission européenne lancée en 2008 pour traquer les pirates somaliens. Le plan prévoit également un échange accru entre les agences Europol, Frontex, Easo et Eurojust, sur les trafiquants, leur modes de fonctionnement ainsi que leur financement. Par ailleurs, les Etats membres procèderont à l’enregistrement des empreintes digitales de tous les migrants et des officiers de liaison "immigration" seront installés dans les pays tiers afin d’obtenir des renseignements sur les flux migratoires. En Grèce et en Italie, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) va déployer des équipes pour le traitement commun des demandes d’asile.
Dimitris Avramopoulos a concédé que la tragédie en Méditerranée "nous a dépassés". Il a mis en garde contre le fait que, si l’UE n’agit pas maintenant, la crise "va prendre des proportions dangereuses dans les mois à venir". "L’UE doit répondre de manière unie face à ce cercle vicieux. Nous avons une responsabilité collective", a-t-il insisté.
D’autres points du plan sont l’augmentation des places de réinstallation, un mécanisme de réinstallation urgente, un nouveau programme de retour ainsi qu’un travail plus renforcé avec les pays voisins de la Libye. Quant à ce dernier point, Federica Mogherini a évoqué le renforcement de l’opération EUCAP au Niger, qui joue un "élément crucial" pour l’accès à la Libye. Selon le parquet italien à Parlerme, jusqu’à un million de réfugiés, provenant surtout de l’Afrique, attendraient en Libye leur départ pour l’Europe, a indiqué l’AFP.
Federica Mogherini s’est quant à elle félicitée d’une "réaction forte" de l’UE de se réunir en moins de 24 heures après le drame, évoquant un "sentiment d’urgence" ainsi qu’un "sentiment de frustration". Elle a également fait état d’un "nouveau niveau de conscience" que la problématique de la migration et du trafic d’êtres humains "ne concerne pas un seul Etat membre". "Il faut agir rapidement et uni. Il ne s’agit pas d’un appel de quelques-uns, mais d’une réponse de tous", a-t-elle insisté, en faisant une comparaison avec l’unité qu’il y a eu après les attentats de Paris du 7 janvier. Les ministres ont discuté sur les moyens de s’attaquer aux causes profondes de l’émigration, a-t-elle expliqué. Ils ont également décidé, mais pas de manière formelle, de soutenir "par tous les moyens" la formation d’un gouvernement d’unité en Libye, qui était initialement un des sujets majeurs à l’ordre du jour.
Quant à la réinstallation des réfugiés, les ministres étaient d’accord, selon elle, qu’il faut coopérer plus étroitement avec le Haut-Commissariat des réfugiés des Nations unies (UNHCR) et qu’il faut une répartition plus équitable afin de soutenir les Etats membres qui sont en première ligne.
Tous les ministres étaient par ailleurs unanimes qu’il faut améliorer le sauvetage en mer, mais qu’il ne s’agit que d’un élément parmi d’autres, a indiqué Frank-Walter Steinmeier, ministre allemand des Affaires étrangères, à l’issue du Conseil. Il a également plaidé pour une répartition "plus équitable" des réfugiés dans l’UE et appelé à stabiliser la Libye.
La ministre autrichienne de l’Intérieur, Johanna Mikl-Leitner, avait demandé en amont du Conseil de créer des "centres d’accueil pour les réfugiés dans les pays de l’Afrique du nord, gérés par l’UNHCR". Elle a plaidé pour un "changement de paradigme" en Méditerranée et proposé d’installer les migrants secourus dans ces centres en Afrique du nord afin de "priver les passeurs de leur terreau". Dans ces centres, l’UNHCR devrait examiner les demandes d’asile, estime la ministre qui a également plaidé pour une nouvelle "clé de répartition" des "réfugiés de guerre" dans toute l’UE. "Le chemin vers l’Europe doit se faire via l’UNHCR et non pas via les bandes de passeurs", a-t-elle insisté.
Commentant les résultats de la réunion du Conseil conjoint Affaires étrangères-JAI, et notamment l’adoption d’un plan d’action en dix points, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et de l’Immigration, Jean Asselborn, a déclaré : "L’UE peut quand elle veut.".
Pour le ministre, le résultat le plus important est le doublement des moyens mis à la disposition de la mission Triton, même si la question de son rayon d’action, plus réduit que celui de l’ancienne mission italienne Mare Nostrum, n’a pas encore été clarifiée.
Les causes de la migration de centaines de milliers de personnes vers l’Europe à partir des rives du Sud de la Méditerranée, et en particulier à partir de la Libye – les guerres, l’instabilité - ont été l’objet d’un débat, a-t-il confirmé.
Quant aux passeurs, Jean Asselborn a dû constater que l’UE ne peut pas mettre fin aux guerres dans le monde africain et arabe et qu’elle ne peut pas non plus bombarder les sites où les migrants sont embarqués. Il faudra néanmoins trouver un moyen de les empêcher de monter dans les bateaux qui les emporteront vers l’UE, et de confisquer et de détruire ces embarcations, comme lors de l'opération Atalante contre la piraterie au large de côtes somaliennes. Au-delà de la collecte d’information par Europol, Eurojust, Frontex et le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) sur les trafiquants d’êtres humains, l’UE visera des coopérations avec la Ligue arabe et l’Union africaine en matière de sécurité et d’échanges d’informations entre services de sécurité.
Pour Jean Asselborn, les 10 axes d’actions décidées par le Conseil vont donc au-delà du sauvetage des personnes. Il s’agira par la suite de voir comment organiser les retours des personnes qui ne se verront pas accorder le droit d’asile. Un autre problème est le débat sur les quotas de réfugiés que chaque Etat membre devra prendre chez lui, alors qu’actuellement, 50 % des personnes qui arrivent dans l’UE sont accueillies en Allemagne et en Suède. Ce débat continuera sous Présidence luxembourgeoise du Conseil et ne devrait pas être tranché avant octobre ou novembre 2015. Le Luxembourg devra lui aussi montrer le moment venu qu’il "a le cœur au bon endroit", ce qui sera un défi à la fois pour l’Etat, les communes et la société civile, a estimé le ministre dont l’immigration est un des ressorts.
Quant au Yémen, le Conseil a condamné les actions "unilatérales et déstabilisantes" des milices chiites houthis et des unités militaires fidèles à l’ex-président Saleh qu’il appelle à mettre fin à la violence et à se retirer des zones qu’ils ont conquis, indiquent les conclusions qui évoquent une "situation humanitaire, politique et sécuritaire qui se dégrade" et qui comporte de "graves risques pour la stabilité de la région". Les ministres des Affaires étrangères disent soutenir les autorités légitimes du Yémen et se félicitent de la nomination de Khaled Bahah comme nouveau vice-président. "L’UE rappelle qu’une solution doit finalement être politique" et "appelle l’ONU à faire rapidement des efforts afin de reprendre les négociations ouvertes", notent-ils, en appelant toutes les parties au dialogue. La formation d’un gouvernement d’unité nationale est "le seul moyen" afin d’achever le processus de transition, résument les conclusions.
Le Conseil a par ailleurs adopté une directive facilitant la protection consulaire des citoyens de l'Union non représentés dans des pays tiers, a indiqué le Conseil dans un communiqué. En vertu des nouvelles règles, un citoyen en difficulté dans un pays tiers pourra bénéficier de l'assistance consulaire et diplomatique d'un autre État membre comme s'il en était ressortissant. La présente directive a pour objet d'établir les mesures de coopération et de coordination nécessaires entre l’Etat qui prête assistance et l’Etat d’origine, notamment en ce qui concerne les évacuations en cas de conflit ou de catastrophe naturelle dans un pays tiers. L'État sollicité devra agir en consultation avec le pays d'origine du demandeur. Selon les pays où elles sont implantées, les ambassades pourront aussi s'entendre pour se répartir les Européens non représentés.
La mesure qui a été discutée pendant trois ans s'adresse à quelque sept millions de citoyens européens voyageant ou vivant dans des pays où ils n'ont ni ambassade ni consulat. Selon la Commission, seuls les États-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde, abritent des représentations de chacun des 28 États membres de l'UE. "La directive renforce le droit des citoyens de l'UE à une protection consulaire égale et contribue à accroître la solidarité européenne dans des pays tiers", s'est félicitée la commissaire européenne à la Justice, Vera Jourova, citée par un communiqué diffusée par la Commission européenne.
En marge du Conseil, il y a eu une réunion ministérielle du Partenariat oriental, lancé au 2009 et auquel participent l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la République de Moldavie et l'Ukraine. La réunion a préparé le quatrième sommet du Partenariat oriental, qui aura lieu les 21 et 22 mai 2015 à Riga. Elle a également permis de faire le point sur la mise en œuvre des trois accords d'association et accords de libre-échange approfondi et complet, signés en juin 2014 à Bruxelles.
Le Conseil a adopté des conclusions sur le réexamen de la politique européenne de voisinage, lancé par un document de consultation conjoint le 4 mars 2015. Le Conseil y rappelle l'importance de relations privilégiées avec les voisins de l'UE afin de mettre en place un espace de stabilité, de sécurité et de prospérité partagées.
Le Conseil a encore adopté le plan d’action régional pour la région Sahel qui prévoit la mise en œuvre de la stratégie pour la sécurité et le développement du Sahel, adoptée en 2011 et révisée en mars 2014, note un communiqué diffusé par le Conseil. Le plan réaffirme la volonté de réaliser les objectifs initiaux de la stratégie, qui restent valident, à savoir: le développement, la bonne gouvernance et la résolution des conflits internes, l'action politique et diplomatique en vue de mobiliser d'autres acteurs, la sécurité et l'État de droit ainsi que la lutte contre l'extrémisme violent.
Le Conseil a adopté des conclusions établissant la position de l'UE en vue de la neuvième conférence d'examen des parties au traité sur la non-prolifération (TNP) des armes nucléaires, qui aura lieu du 27 avril au 22 mai à New York.
Finalement, le Conseil a été informé sur le réexamen stratégique mené au niveau de l'UE.