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Institutions européennes - Economie, finances et monnaie - Traités et Affaires institutionnelles
Le choix de l’ordo-libéralisme allemand, qui consiste à "inscrire les principes du libéralisme dans des textes de lois", a mené à la crise grecque, a expliqué Liêm Hoang-Ngoc lors d’une conférence à Luxembourg
01-04-2015


Liêm Hoang Ngoc lors de la conférence sur la troïka organisée par Etika et ATTAC Luxembourg le 1er avril 2015Le 1er avril 2015, Liêm Hoang-Ngoc, eurodéputé socialiste de 2009 à 2014 et co-auteur du rapport d’enquête du Parlement européen sur l’action de la troïka, est intervenu à Luxembourg lors d’une conférence intitulée "Que faire de la troïka ?" organisée par Etika, une association luxembourgeoise ayant pour but de "promouvoir des financements alternatifs et de réfléchir au développement de l’argent éthique", et ATTAC Luxembourg.

Tout au long de son exposé, Liêm Hoang-Ngoc a tenté de décrire, "sans langue de bois", la situation "très préoccupante" de l’Union européenne "convertie à l’ordo-libéralisme allemand". Il s’est tout d’abord attaché à dresser le tableau de la situation économique "bancale" de l’UE, puis s’est concentré sur les défaillances de la construction européenne  au niveau politique et enfin, il a expliqué comment cet état de fait avait pu déboucher sur la crise grecque.

L’Union europénne est une "construction bancale" sur le plan économique

Dans sa première partie, le conférencier a expliqué pourquoi l’UE est aujourd’hui une "construction bancale" sur le plan économique. Selon lui, cette situation remonte à l’instauration de la monnaie unique. Avant l’euro, lorsqu’un pays avait des difficultés, il pouvait s’ajuster grâce à sa politique de change, en opérant une dévaluation externe de sa monnaie, a-t-il expliqué. Aujourd’hui, pour remédier à ce problème, les Etats européens ont le choix entre deux stratégies, a poursuivi le conférencier : celle de la dévaluation interne, stratégie privilégiée par l’Allemagne, qui consiste à baisser les salaires et les impôts qui pèsent sur les entreprises, et à faire des réformes structurelles "qui sont en train de tuer la croissance" (l’inconvénient de cette option est que si tout le monde la pratique, on arrive à un jeu à somme nulle voire négative car la demande intérieure européenne aura été comprimée), ou alors la stratégie qui consiste à transformer l’UE en une véritable "union de transferts", à en faire une "zone monétaire optimale" sur le modèle des Etats-Unis. Cette dernière option, qui garantirait la mobilité des travailleurs, permettrait d’organiser des transferts de ressources pour pallier les éventuels problèmes économiques grâce à un véritable budget européen. Liêm Hoang-Ngoc a rappelé à ce titre que le budget fédéral des Etats-Unis, qui sert notamment à financer des politiques anticycliques quand une récession ou une catastrophe survient dans un Etat, représente 20 % du PIB du pays alors que le budget communautaire actuel représente à peine 1 % du PIB de l’UE.  

Le conférencier a regretté qu’aujourd’hui, l’UE n’ait pas les instruments nécessaires pour être une union de transferts. Le seul instrument dont elle dispose à l’heure actuelle est l’ajustement par le marché, par les coûts salariaux et donc par le chômage, a-t-il rappelé, et l’UE compte aujourd’hui 23 millions de chômeurs. "On a privé les Etats membres des deux bras que sont la politique économique (décidée au niveau européen) et la politique budgétaire (encadrée par les traités). La seule politique possible qu’il leur reste est de demander des sacrifices au peuple", a-t-il conclu.

Cette situation économique est le résultat de choix politiques

Dans sa deuxième partie, Liêm Hoang-Ngoc a expliqué en quoi cette situation économique de l’UE était le résultat de choix politiques, "faits non pas par la Commission, mais par les Etats". Il a tout d’abord rappelé le rôle selon lui très faible de la Commission, qui est "à la botte des Etats", avant d’expliquer que c’était le Conseil, et plus particulièrement l’Eurogroupe, "instance informelle qui se réunit avant chaque Conseil ECOFIN", qui avait le pouvoir de décision au sein de l’UE. Dans ce contexte, "l’Europe reste intergouvernementale et n’est pas fédérale", a-t-il indiqué, avant d’ajouter que "sur les questions essentielles, ça se passe au Conseil, à l’unanimité" et que le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) était un traité intergouvernemental  Pour illustrer son propos, Liêm Hoang-Ngoc a pris l’exemple des lois de finances européennes, décidées dans le cadre du semestre européen "qui est soi-disant décidé par la Commission mais l’est en réalité par les Etats" au sein de l’Eurogroupe.

L’ordo-libéralisme allemand a mené à la crise de la Grèce et des autres pays sous assistance

Dans la troisième et dernière partie de son exposé, Liêm Hoang-Ngoc a montré comment le choix de l’ordo-libéralisme allemand, qui consiste à "inscrire les principes du libéralisme dans des textes de lois", avait mené à la crise grecque et des autres pays sous assistance. Il a d’abord tenu à rappeler que si les dettes se sont creusées dans la plupart des pays européens, c’est parce qu’il avait fallu mettre en place des plans de sauvetage après la crise de 2008 en renflouant les banques et en mettant en place le Mécanisme européen de stabilité (MES), un "mécanisme intergouvernemental de sauvetage décidé et financé par les Etats". Ces opérations ont été coordonnées par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne (BCE) et Fonds monétaire international (FMI)), un "montage créé par l’Eurogroupe, qui n’a aucune base juridique légale", a-t-il ensuite expliqué. "Pire, la BCE a outrepassé ses fonctions en se mêlant des politiques budgétaires alors que ce n’est pas dans son champ de compétences", "elle a pris des décisions extrêmement discutables", a-t-il encore indiqué, en citant notamment le cas irlandais lorsqu’il avait fallu choisir entre le bail-in ou le bail-out, et le cas de la banque Laiki à Chypre qui s’était vue octroyer des liquidités par la BCE. "Tout cela est d’autant plus grave lorsque les institutions de la troïka ne sont pas d’accord entre elles", a encore fait savoir Liêm Hoang-Ngoc en évoquant le cas grec, où il y a eu un désaccord entre le FMI d’un côté et la BCE et la Commission de l’autre. Le FMI, qui était d’avis qu’une dette au-delà de 120 % du PIB était insoutenable, était également contre la dévaluation interne et l’austérité budgétaire, qui signeraient "la mort de la Grèce". Au sein de l’Eurogroupe pourtant, "personne ne voulait restructurer la dette grecque car les banques nationales et régionales d’autres Etats membres détenaient de la dette grecque et auraient perdu de l’argent", a encore expliqué le conférencier, avant de pointer le "problème de démocratie dans l’affaire grecque" car la troïka n’a pas de légitimité démocratique. "Le mémorandum qu'elle a envoyé n’a jamais été discuté nulle part" et "la décision de l’Eurogroupe a été prise sous influence allemande", a-t-il poursuivi. Il n’y a eu "aucun débat à l’échelle européenne et le peuple grec a donc fini par reprendre ses droits", a conclu Liêm Hoang-Ngoc .

Liêm Hoang-Ngoc, aujourd’hui maître de conférences en économie à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne et fondateur avec Philippe Marlière du "Club des Socialistes Affligés" en 2014, vient de publier un ouvrage sur le sujet intitulé "Les mystères de la Troika" (Editions du Croquant, 2014).