La commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen n'a pas réussi à adopter une position sur la proposition de réforme de la structure du secteur bancaire, à l’issue d’un vote le 26 mai 2015 où le projet de rapport du rapporteur Gunnar Hökmark (PPE) a été rejeté à une voix de majorité (29 voix en faveur du rapport, 30 voix contre, 1 abstention).
Alors que l'UE et les États membres procèdent depuis le début de la crise financière à une révision en profondeur de la réglementation et de la surveillance bancaires en vue de mettre en place une véritable Union bancaire, la Commission européenne a proposé, le 29 janvier 2014, un projet de "règlement relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l’UE" (2014/0020 (COD)), censé empêcher les banques les plus grandes et les plus complexes de pratiquer la négociation pour compte propre, une activité de marché risquée.
Ces nouvelles règles, s’appliquant seulement à 29 banques à travers l’Europe devraient également permettre aux autorités de surveillance mises en place dans le cadre du Mécanisme de supervision unique (MSU) d’imposer aux banques d'établir une séparation entre leurs activités de dépôt et certaines activités de négociation potentiellement risquées si l’exercice de ces dernières risque de compromettre la stabilité financière.
Accueilli avec beaucoup de critiques au Parlement européen dès janvier 2014, ce projet de règlement n’avait plus été à l’ordre du jour depuis lors. Avant le vote du 26 mai, trois propositions de compromis s'affrontaient au Parlement européen. Une première, défendue par Gunnar Hökmark et soutenue par les groupes PPE, ADLE et CRE, une seconde portée par les sociaux-démocrates et une troisième appuyée par les groupes Verts/ALE, GUE/NGL et des élus du "Movimento 5 Stelle" appartenant au groupe ELDD. Si l'ensemble des députés des groupes PPE, ADLE et CRE ont soutenu le rapporteur, le rejet du texte est à attribuer à une alliance de circonstance entre la gauche européenne, les europhobes et l'extrême droite.
Au cœur des divergences figurait l'établissement des paramètres qui permettront d'identifier les groupes bancaires couverts par le champ d'application du règlement et dont les activités d'investissement les plus risquées pourraient mettre en péril les activités bancaires de détail. Les groupes politiques étaient également divisés sur la nature de la réponse à apporter une fois ces banques identifiées, rapporte l’agence Europe : faut-il imposer au niveau de l'UE une séparation automatique afin d'isoler les activités bancaires de détail des activités risquées d'investissement ou laisser au superviseur le soin de préciser les mesures les plus adéquates à prendre, parmi lesquelles une séparation des activités bancaires ?
Le projet de compromis des groupes PPE, ADLE et CRE prônait une approche basée sur la nature des risques encourus. Sur les paramètres permettant d'identifier les groupes bancaires dont les activités d'investissement sont trop risquées, il ajoutait un critère relatif à la structure de rémunération des traders de la banque et d'autres critères quantitatifs suggérés par la BCE. En revanche, il ne reprenait pas à son compte un amendement de Sylvie Goulard (ADLE) qui demandait au superviseur de se pencher sur les risques liés aux dettes souveraines. Sur la question de la séparation, les eurodéputés penchaient pour laisser au superviseur compétent le soin de décider quelles mesures seraient les plus adaptées, parmi lesquelles des exigences accrues en matière de fonds propres ou une possible séparation juridique entre les activités bancaires de détail et d'investissement.
Les deux autres propositions de compromis issues de groupes politiques situés à gauche de l'échiquier politique prônaient une séparation automatique des activités bancaires de détail et d'investissement en cas de prise de risque excessive. La proposition du compromis du groupe S&D laissait aussi le choix entre une séparation et l'imposition d'exigences en fonds propres supplémentaires (à hauteur de 3 %). Mais, selon ses détracteurs, opter pour cette 2e mesure équivalait en pratique à une séparation bancaire.
Réagissant au vote via son compte Twitter, Gunnar Hökmark a parlé d’un "un paradoxe" selon lequel la commission ECON s'est prononcée majoritairement contre une séparation obligatoire des grandes banques européennes présentant des risques excessifs sur leur portefeuille d'investissement, alors que le rapport a au final été rejeté "par une alliance de la gauche et des extrêmes".
Chargé de piloter les discussions au sein du groupe S&D et favorable à une automaticité en matière de séparation bancaire, Jakob von Weizsäcker s'est réjoui que "la grande marche du lobby bancaire" ait été "stoppée", comme on peut le lire dans un communiqué publié le jour même sur son blog. L’eurodéputé met cependant en garde sur le fait que "tant que les conservateurs et les libéraux bloqueront le règlement sur la séparation des banques, les grandes banques continueront à spéculer avec une garantie implicite de la part des Etats".
Elisa Ferreira, porte-parole du groupe S&D pour les affaires économiques et monétaires a souligné le fait que "la tentative du groupe PPE d'imposer (un texte) à une faible majorité s'est soldée par un échec", faisant part de la volonté du groupe S&D de "continuer de travailler à la recherche d'un compromis, mais pas à n’importe quel prix".
Le président du groupe des Verts/ALE Philippe Lamberts a accueilli favorablement l'issue finale du vote "dans la mesure où ce texte soutenu par la droite européenne enterrait purement et simplement l'idée même d'une séparation des métiers bancaires", comme on peut le lire dans un communiqué. La séparation bancaire constituant pour les Verts/ALE "la mesure la plus simple et la plus efficace pour diminuer fortement le risque systémique dans le système financier européen", Philippe Lamberts appelle à "ne pas perdre de temps en relançant rapidement le processus de négociation au sein du Parlement en vue d'obtenir une réforme digne de ce nom. Quitte à changer de rapporteur s'il le faut...”
La Fédération bancaire européenne (FBE) presse les décideurs politiques de "repenser" de fond en comble la proposition législative. "L'issue du vote en commission ECON montre qu'il n'y a pas de consensus clair sur ce qui est bon pour les grandes banques mondiales en Europe a déclaré l'organisation dans un communiqué, tout en ajoutant que "ce vote montre l'incertitude à laquelle le secteur bancaire de l'UE est confronté à un moment où l'Europe a besoin de revitaliser sa croissance économique". Selon la FBE, la proposition de réforme structurelle bancaire pourrait faire chuter les investissements de 5 %.
"Nous sommes inquiets du fait que des réformes structurelles soient à l'étude au niveau européen sans tenir compte des changements structurels significatifs déjà engagés au sein du G20 et du Comité de Bâle", a déclaré Michael Lever, directeur général de l'AFME (Association des marchés financiers en Europe), pour qui "l'incapacité du Parlement européen à se mettre d'accord sur le projet de règlement souligne le caractère clivant du dossier".
Du côté des ONG, Finance Watch, qui défend l'intérêt général des citoyens sur les questions financières, est d’avis que le rejet du rapport de Gunnar Hökmark tel qu'amendé constitue au contraire "une opportunité pour repartir à zéro" sur la réforme structurelle bancaire, "probablement avec un nouveau rapporteur". Christophe Nijdam, secrétaire général de l'organisation, a déclaré qu’ "une réforme structurelle des banques 'to big to fail' à l'échelle de l'UE est essentielle pour restaurer la confiance dans le secteur bancaire et garantir des règles du jeu équitables", ajoutant que le rapport 'Hökmark' "aurait ajouté un surplus de charge administrative au détriment de l'intérêt général".
Les coordinateurs des groupes politiques de la commission ECON se réuniront prochainement pour décider de la marche à suivre, a indiqué l’agence Europe. Philippe Lamberts a émis l'hypothèse d'un changement de rapporteur, ce à quoi Gunnar Hökmark ne semble pas ouvert. Selon une source parlementaire, cette requête pourrait aussi permettre au groupe S&D de nommer un nouveau député chargé des négociations, Jakob von Weizsäcker étant considéré comme trop "jusqu'au-boutiste" par certains de ses collègues sociaux-démocrates.
Au Conseil, la ligne qui semble l'emporter est celle d'une législation n'imposant pas, au niveau européen, de séparation automatique des activités bancaires de détail et d'investissement en cas de risques excessifs. Les gouvernements socialistes de la France et de l'Italie et les sociaux-démocrates membres de la coalition gouvernementale allemande sont "sur la même ligne que nous", aurait déclaré Sylvie Goulard à des journalistes, le 26 mai 2015 avant le vote, ainsi que le rapporte une dépêche de l’agence Europe. Et de prôner un texte cohérent au niveau européen afin d'éviter une fragmentation du marché, plusieurs pays ayant déjà adopté leur propre législation nationale. Philippe Lamberts a lui prévenu qu’en cas d'impasse trop longue sur la proposition législative, la Commission européenne pourrait être incitée à retirer le texte, indiquant que "cette situation de blocage pourrait être instrumentalisée par les tenants de la dérèglementation financière afin de justifier le retrait de cette proposition législative".