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Economie, finances et monnaie
Selon la CJUE, le programme OMT annoncé par la BCE en septembre 2012 est compatible avec le droit de l’Union
16-06-2015


Dans un arrêt rendu le 16 juin 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) estime que le programme annoncé par la BCE en septembre 2012 et visant à acquérir sur les marchés secondaires des obligations souveraines d’États membres de la zone euro, connu sous le nom de programme "OMT", est compatible avec le droit de l’Union. Pour la Cour, ce programme d’achat d’obligations souveraines sur les marchés secondaires n’excède pas les attributions de la BCE relatives à la politique monétaire et ne viole pas l’interdiction du financement monétaire des États membres, à condition que la BCE entoure son intervention de garanties suffisantes pour concilier celle-ci avec l’interdiction du financement monétaire lorsqu’elle procède à l’acquisition d’obligations souveraines sur les marchés secondaires.

Le programme OMT a fait l’objet de plusieurs recours constitutionnels en Allemagne

Par un communiqué de presse du 6 septembre 2012, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé avoir adopté certaines décisions concernant un programme autorisant le Système BCEeuropéen de banques centrales (SEBC) à acquérir sur les marchés secondaires des obligations souveraines d’États membres de la zone euro, dès lors que certaines conditions étaient réunies. Ce programme, couramment appelé "programme OMT", vise à remédier aux perturbations du mécanisme de transmission de la politique monétaire générées par la situation spécifique des obligations souveraines émises par certains États membres et à préserver l’unicité de la politique monétaire.

La BCE avait en effet constaté que les taux d’intérêt des obligations souveraines des différents États de la zone euro connaissaient, à l’époque, une forte volatilité et des écarts extrêmes. Selon la BCE, ces écarts ne tenaient pas uniquement aux différences macroéconomiques entre ces États, mais trouvaient en partie leur origine dans l’exigence de primes de risque excessives pour les obligations émises par certains États membres, ces primes étant destinées à couvrir un risque d’éclatement de la zone euro. Selon l’analyse de la BCE, cette situation particulière fragilisait fortement le mécanisme de transmission de la politique monétaire du SEBC, en conduisant à une fragmentation des conditions de refinancement des banques et des coûts du crédit qui limitait fortement les effets des impulsions du SEBC sur l’économie dans une partie substantielle de la zone euro.

La BCE affirme que l’annonce de ce programme a suffi, à elle seule, à obtenir l’effet recherché, à savoir rétablir le mécanisme de la transmission de la politique monétaire et l’unicité de cette politique. Plus de deux ans après l’annonce du programme, celui-ci n’a toujours pas été mis en œuvre.

La Cour constitutionnelle allemande  (Bundesverfassungsgericht) a été saisie de plusieurs recours constitutionnels, introduits par plusieurs groupes de particuliers, dont l’un est soutenu par plus de 11 000 signataires, au sujet du concours apporté par la Deutsche Bundesbank à la mise en œuvre du programme OMT et de la carence alléguée du gouvernement fédéral et du Bundestag face à ce programme. Les parties à l’origine de ces recours font valoir que le programme OMT, d’une part, ne relève pas du mandat de la BCE et viole l’interdiction du financement monétaire des États membres de la zone euro et, d’autre part, viole le principe de démocratie consacré dans la loi fondamentale allemande (Grundgesetz) et porte atteinte, de ce fait, à l’identité constitutionnelle allemande.

Le Bundesverfassungsgericht demandait à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) si les traités de l’Union autorisent le SEBC à adopter un programme tel que le programme OMT. Il a notamment émis des doutes sur le fait de savoir si ce programme relève des attributions du SEBC telles que définies par les traités de l’Union et se demandait également s’il est compatible avec l’interdiction du financement monétaire des États membres.

Par son arrêt rendu le 16 juin 2015, la CJUE répond que les traités de l’Union autorisent le SEBC à adopter un programme tel que le programme OMT.

Sur les attributions du SEBC : pour la CJUE, le programme OMT relève de la politique monétaire au vu de ses objectifs et des moyens pour les réaliser

CJUEDans son arrêt, la Cour rappelle les attributions du SEBC, chargé de définir et de mettre en œuvre la politique monétaire (pour laquelle l’Union dispose d’une compétence exclusive à l’égard des États membres de la zone euro), et souligne que, conformément au principe d’attribution des compétences, le SEBC ne saurait valablement adopter et mettre en œuvre un programme qui sortirait du domaine attribué à la politique monétaire par le droit primaire. Afin d’assurer le respect de ce principe, les actes du SEBC se trouvent soumis, dans les conditions prévues par le traité, au contrôle juridictionnel de la Cour de justice.

Elle constate que le programme OMT, eu égard à ses objectifs et aux moyens prévus pour atteindre ceux-ci, relève de la politique monétaire et, dès lors, des attributions du SEBC.

D’une part, en visant à préserver l’unicité de la politique monétaire, le programme OMT contribue à la réalisation des objectifs de cette politique, dans la mesure où celle-ci doit, conformément aux traités de l’Union, être "unique".

D’autre part, en visant à préserver une transmission appropriée de la politique monétaire, ledit programme est à la fois de nature à préserver l’unicité de cette politique et à contribuer à l’objectif principal de celle-ci, qui est le maintien de la stabilité des prix.

En effet, l’aptitude du SEBC à influer sur l’évolution des prix au moyen de ses décisions de politique monétaire dépend, dans une large mesure, de la transmission des impulsions qu’il émet sur le marché monétaire aux différents secteurs de l’économie. Par conséquent, un fonctionnement dégradé du mécanisme de transmission de la politique monétaire est susceptible de rendre inopérantes les décisions du SEBC dans une partie de la zone euro et, partant, de mettre en cause l’unicité de la politique monétaire. Par ailleurs, dès lors qu’un fonctionnement dégradé du mécanisme de transmission altère l’efficacité des mesures adoptées par le SEBC, la capacité de celui-ci de garantir la stabilité des prix en est nécessairement affectée. Le fait que le programme OMT soit éventuellement susceptible de contribuer également à la stabilité de la zone euro (ce qui relève de la politique économique) n’est pas susceptible de remettre en cause cette analyse. En effet, pour la Cour, une mesure de politique monétaire ne peut pas être assimilée à une mesure de politique économique du seul fait qu’elle est susceptible d’avoir des effets indirects sur la stabilité de la zone euro.

S’agissant des moyens envisagés par le programme OMT, à savoir l’achat d’obligations souveraines sur les marchés secondaires, la Cour relève qu’il s’agit là de l’utilisation de l’un des instruments de la politique monétaire prévus par les traités de l’Union, qui permettent à la BCE et aux banques centrales nationales d’intervenir sur les marchés de capitaux en achetant et vendant de manière ferme des titres négociables libellés en euros.

Les caractéristiques spécifiques du programme OMT ne permettent pas d’affirmer que le programme OMT est assimilable à une mesure de politique économique. S’agissant notamment du fait que la mise en œuvre du programme OMT est subordonnée au respect intégral par les États membres concernés de programmes d’ajustement macroéconomique du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ou du Mécanisme européen de stabilité (MES), il n’est certes pas exclu que cette caractéristique ait des incidences indirectes sur la réalisation de certains objectifs de politique économique. Toutefois, de telles incidences indirectes ne sauraient impliquer que le programme OMT doit être considéré comme une mesure de politique économique, dès lors qu’il ressort des traités de l’Union que, sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union.

Selon la Cour, le programme OMT ne viole pas non plus le principe de proportionnalité.

Premièrement, dans des conditions économiques telles que celles relevées par la BCE le 6 septembre 2012, le SEBC pouvait valablement considérer que le programme OMT est apte à contribuer aux objectifs poursuivis par le SEBC et, partant, au maintien de la stabilité des prix.

Deuxièmement, ce programme, eu égard aux conditions prévues pour son éventuelle mise en œuvre, notamment sa subordination stricte aux objectifs poursuivis et sa limitation à certains types d’obligations émises par des États membres sélectionnés sur la base de critères précis liés à ces objectifs, ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

Troisièmement, le SEBC a pondéré les différents intérêts en cause de manière à effectivement éviter que des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par le programme OMT puissent se produire lors de la mise en œuvre de ce dernier.

Sur l’interdiction du financement monétaire des États membres : lorsque la BCE procède à l’acquisition d’obligations souveraines sur les marchés secondaires, elle doit entourer son intervention de garanties suffisantes pour concilier celle-ci avec l’interdiction du financement monétaire

La Cour constate que l’interdiction du financement monétaire des Etats membres ne s’oppose pas à ce que le SEBC adopte un programme, tel que le programme OMT, et le mette en œuvre dans des conditions qui ne donnent pas à l’intervention du SEBC un effet équivalent à celui de l’acquisition directe d’obligations souveraines auprès des autorités et des organismes publics des États membres.

Selon la Cour, si les traités de l’Union interdisent toute assistance financière du SEBC à un État membre, ils n’excluent pas, de manière générale, la faculté, pour le SEBC, de racheter aux créanciers d’un tel État des titres préalablement émis par ce dernier.

Néanmoins, l’acquisition des obligations souveraines sur les marchés secondaires ne doit pas avoir un effet équivalent à celui de l’acquisition directe de telles obligations sur les marchés primaires. En outre, de tels achats ne sauraient valablement être utilisés pour contourner l’objectif de l’interdiction du financement monétaire des États membres, cet objectif visant à inciter les États membres à respecter une politique budgétaire saine en évitant qu’un financement monétaire des déficits publics ou un accès privilégié des autorités publiques aux marchés financiers ne conduise à un endettement excessif ou à des déficits excessifs des États membres. Ainsi, lorsque la BCE procède à l’acquisition d’obligations souveraines sur les marchés secondaires, elle doit entourer son intervention de garanties suffisantes pour concilier celle-ci avec l’interdiction du financement monétaire.

À cet égard, la Cour relève que l’intervention du SEBC pourrait avoir, en pratique, un effet équivalent à celui de l’acquisition directe d’obligations souveraines si les opérateurs susceptibles d’acquérir de telles obligations sur le marché primaire avaient la certitude que le SEBC va procéder au rachat de ces obligations dans un délai et dans des conditions permettant à ces opérateurs d’agir, de facto, comme des intermédiaires du SEBC pour l’acquisition directe de ces obligations auprès des autorités et des organismes publics de l’État membre concerné.

Or, il ressort des projets de décision et des lignes directrices produits par la BCE en cours de procédure que le conseil des gouverneurs doit être compétent pour décider de la portée, du début, de la poursuite et de la suspension des interventions prévues par le programme OMT sur les marchés secondaires. Notamment, la BCE a précisé devant la Cour que le SEBC envisage, d’une part, de respecter un délai minimal entre l’émission d’un titre sur le marché primaire et son rachat sur les marchés secondaires et, d’autre part, de ne pas annoncer par avance sa décision de procéder à de tels rachats ou le volume des rachats envisagés.

Dans la mesure où elles permettent d’éviter que les conditions d’émission d’obligations souveraines soient altérées par la certitude que ces obligations seront rachetées par le SEBC après leur émission, ces garanties permettent d’exclure que la mise en œuvre du programme OMT ait, en pratique, un effet équivalent à celui de l’acquisition directe d’obligations souveraines auprès des autorités et des organismes publics des États membres.

Selon la Cour, les caractéristiques du programme OMT excluent également que celui-ci puisse être considéré comme étant de nature à soustraire les États membres à l’incitation à mener une politique budgétaire saine et donc comme contournant l’objectif poursuivi par l’interdiction du financement monétaire des États membres.