Les eurodéputés réunis en séance plénière du Parlement européen, le 8 juin 2015, ont décidé lors d’un vote à main levée de repousser à la plénière suivante, celle de juillet 2015, le vote sur le projet de révision de la directive relative aux droits des actionnaires pourtant prévu le 10 juin. Ce report a été accepté sur demande du groupe socialiste (S&D) du Parlement, comme le rapporte le procès-verbal de la séance du 8 juin 2015.
Pour mémoire, le projet de révision de la directive avait été mis sur la table par la Commission européenne en avril 2014 dans le contexte de son paquet législatif sur la gouvernance des entreprises. Cette proposition vise notamment à accroître la transparence et à favoriser l'engagement à long terme des actionnaires envers les entreprises, ce qui, en retour, devrait augmenter leur compétitivité et leur durabilité.
Si comme le précise la fiche de procédure relative au projet législatif, le Conseil de l’UE ne s’est pas encore prononcé sur le texte, le Parlement européen, au sein de sa commission des Affaires juridiques (JURI), a de son côté défini sa position le 7 mai 2015 en adoptant le rapport de l’eurodéputé italien Sergio Gaetano Cofferati (S&D). Lors de ce vote très serré (13 voix pour, 10 contre et aucune abstention), les eurodéputés avaient également donné mandat au rapporteur pour débuter les négociations informelles avec le Conseil (dites en trilogue) en vue d’un accord en première lecture.
Or, en vue d'accroître la transparence fiscale, les députés ont inclus dans la position du Parlement européen l'obligation pour certaines "grandes entreprises et entités d'intérêt public" d’un "reporting" fiscal pays par pays. Ces entreprises devraient ainsi publier un rapport par pays contenant les informations relatives aux recettes et aux dépenses nettes avant impôt, à l'imposition des bénéfices ou aux pertes, ainsi qu'aux subventions perçues et aux rescrits fiscaux (dits "tax rulings" en anglais) obtenus.
Il s’agissait, de cette façon, de mettre la pression sur la Commission européenne en matière de transparence des rulings, un dossier sous les feux de l’actualité depuis les révélations de l’affaire Luxleaks. La Commission avait en effet annoncé en proposant son paquet sur la transparence fiscale en mars 2015, qu’elle allait "évaluer la nécessité d’étendre [cette] obligation", en vigueur pour les banques ou les entreprises forestières, aux multinationales.
Cette obligation, introduite par des amendements du groupe des Verts/ALE au Parlement, a cependant suscité une forte opposition de la part des membres des groupes PPE, ALDE et ECR, comme l’avait expliqué le rapporteur Sergio Gaetano Cofferati. Ces groupes ont d’ailleurs demandé et obtenu auprès de la conférence des présidents des groupes politiques au Parlement de soumettre le texte au vote de la plénière, une pratique relativement rare. Le 5 juin 2015, le rapporteur italien avait demandé un report du vote à la séance plénière de juillet, arguant qu’il avait reçu des amendements la veille et qu’il souhaitait plus de temps pour négocier afin de ne pas avoir un vote divisé, ce qui avait alors été refusé par la conférence des présidents.
La question oppose par ailleurs radicalement la société civile au patronat et aux acteurs financiers. Ainsi, dans un communiqué conjoint diffusé le 2 juin 2015, les organisations BusinessEurope, Ecoda et European Issuers estiment que la révision de la directive "n’est pas la place pour inclure un amendement sur les déclarations par pays", alors que ce sujet est déjà traité dans d'autres initiatives comme la directive du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels de certaines formes d’entreprises, qui prévoit une clause de révision sur cette question en 2018, ainsi que dans la communication de 2015 de la Commission sur la transparence fiscale.
Les trois organisations estiment également que cette publicité imposée à toutes les grandes entreprises (même non cotées) n'a jamais été correctement évaluée. Elles se disent convaincues que cela pourrait avoir un effet dommageable sur les Etats (pertes de recettes fiscales) et les entreprises (risques de pertes de marché et double imposition).
Inversement, les organisations Eurodad ou Oxfam font pression, notamment via les réseaux sociaux, pour convaincre les députés de se prononcer en faveur de plus de transparence fiscale.