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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Traités et Affaires institutionnelles
La Commission européenne enclenche la nouvelle procédure au titre du cadre sur l'Etat de droit contre la Pologne
13-01-2016


Commission européenneLa Commission européenne a décidé d'enclencher contre la Pologne la nouvelle procédure au titre du cadre sur l'Etat de droit, a annoncé le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, à l’issue d’un débat d’orientation du collège des commissaires consacré à la question du respect des principes de l'Etat de droit en Pologne, le 13 janvier 2016.

Le contexte

Ce sujet avait été inscrit à l’agenda des commissaires suite à plusieurs semaines de polémique après le vote fin décembre 2015 de deux lois controversées portées par le nouveau gouvernement polonais (issu du parti conservateur Droit et Justice, PiS, qui a remporté la majorité absolue aux législatives du 25 octobre 2015), l’une réformant le fonctionnement du Tribunal constitutionnel polonais et l’autre les nominations des responsables des médias publics.

Ces réformes, qui pourraient mettre en cause l’indépendance et le pluralisme du Tribunal et des médias, ont suscité une certaine inquiétude dans l’UE, notamment de la part de la Commission européenne. Son premier vice-président, Frans Timmermans, en charge de l’Etat de droit, avait ainsi adressé fin décembre 2015 deux missives au gouvernement polonais, lui demandant des "explications" sur les deux lois controversées, sans recevoir de réponses satisfaisantes sur le fond. Le commissaire européen en charge du Numérique, Günther Oettinger, avait pour sa part suggéré d'enclencher contre la Pologne la nouvelle procédure au titre du cadre sur l'Etat de droit, ce que la Commission a donc décidé de faire le 13 janvier 2016.

La Commission européenne a décidé de "mener une évaluation préliminaire"

Rappelant que des "inquiétudes" avaient été exprimées concernant les récents développements législatifs en Pologne, Frans Timmermans a souligné que le collège des commissaires avait mené un débat "approfondi" centré principalement sur la situation du Tribunal constitutionnel. "Il apparaît que ce tribunal a pris des décisions qui ne sont actuellement pas respectées par d’autres institutions publiques et que des mesures ont été prises par le législateur polonais nouvellement élu qui affectent son fonctionnement", a souligné le premier vice-président devant la presse.

Dès lors, et "à la lumière des informations actuellement disponibles", la Commission a décidé de "mener une évaluation préliminaire" sur ce sujet dans le cadre de la procédure au titre du mécanisme de sauvegarde de l’Etat de droit, a indiqué Frans Timmermans, selon lequel le non-respect de décisions légalement contraignantes est "une question grave dans n’importe quel Etat dominé par la règle de droit". "La démocratie est protégée si le rôle fondamental du pouvoir judiciaire, y compris les cours constitutionnelles, peut garantir la liberté d’expression, la liberté de réunion et le respect des règles qui encadrent les processus politiques et électoraux", a-t-il ajouté. L’objectif de la procédure est donc de "clarifier les faits de manière objective, d’évaluer la situation plus en profondeur, et de débuter un dialogue avec les autorités polonaises", cela "sans préjuger de possibles étapes ultérieures", a poursuivi le premier vice-président.

Adoptée par la Commission en mars 2014, cette procédure, qui n’a encore jamais été utilisée, vise à répondre à tout risque d'atteinte aux droits fondamentaux qui se manifesterait dans un Etat membre. Elle prend la forme d'un "dialogue" en trois étapes avec le pays concerné (évaluation de la situation, recommandation pour résoudre les problèmes constatés, puis suivi de sa mise en œuvre), peut-on lire dans une fiche descriptive publiée par la Commission le 13 janvier.

En cas d’échec, les traités prévoient à terme la possibilité de déclencher la procédure de l'article 7 qui peut conduire à la suspension des droits de vote d'un Etat membre au Conseil de l’UE en cas de "violation grave et persistante" des valeurs de l'UE. "Le but est de permettre à la Commission de trouver une solution avec l'Etat membre concerné, afin d'éviter l'émergence d'une menace systémique à l’Etat de droit et d’un ‘risque clair de violation grave’ qui pourrait déclencher l'utilisation de la ‘procédure article 7’», lit-on encore dans ce document.

Face à la presse, Frans Timmermans s’est également dit conscient de la récente réforme dans le secteur des médias publics qui "soulève des questions concernant la liberté et le pluralisme des médias". "L’Etat de droit tel que défini dans le cadre demande le respect de la démocratie et des droits fondamentaux et il ne peut y avoir de démocratie et de respect des valeurs fondamentales sans le respect de l’Etat de droit, et vice-versa", a-t-il dit.

Le premier vice-président de la Commission a donc annoncé le même jour l’envoi prochain d’une missive aux autorités polonaises dans laquelle il les invite à engager un dialogue sur les problèmes constatés et où il se dit à leur disposition, à tout moment, pour se rendre en Pologne. "Il s’agit d’une approche coopérative de la part de la Commission, et c’est ainsi qu’elle voit son rôle de gardienne des traités, de mener un dialogue avec un Etat membre si quelque-chose doit être débattu", a encore assuré Frans Timmermans qui a insisté sur le fait que le but était ici de "trouver une solution aux problèmes, d’une manière rationnelle et basée sur nos obligations légales, et non pas d’accuser ou de créer des polémiques". "Ce que nous voulons […] c'est aider à trouver des solutions si nécessaires", a-t-il poursuivi, se disant persuadé que les autorités polonaises étaient demandeuses de ce dialogue et qu’il permettrait d’apporter des résultats.

Le gouvernement polonais relativise l’impact de la décision de la Commission

Dès l’annonce de la Commission, le gouvernement polonais a de son côté relativisé l’importance du lancement de cette évaluation préliminaire, le porte-parole du gouvernement jugeant devant la presse à Varsovie qu’il s’agissait là "d'un dialogue standard". "Aucune décision n'a été prise qui puisse avoir un impact négatif sur les relations entre la Pologne et l'Union européenne", a-t-il ajouté selon des propos rapportés par l’Agence France Presse (AFP).

Dans un courrier de réponse aux lettres de décembre de Frans Timmermans daté du 12 janvier 2016 et diffusé sur son compte Twitter, le ministre polonais de la Justice, Zbigniew Ziobro, avait pour sa part réfuté les "reproches injustifiés" et les "conclusions inadmissibles" du premier vice-président dont il s’étonnait d’avoir pris connaissance "d'abord par les médias, puis par lettre officielle". Et de dénoncer une "tentative de faire pression sur un Parlement démocratiquement élu et le gouvernement d'un Etat souverain".

Le ministre y affirmait par ailleurs que si l’indépendance et le pluralisme du Tribunal constitutionnel ont bien été remis en cause, c’est par les agissements "inconstitutionnels" de la précédente majorité au pouvoir qui a tenté de monopoliser les nominations des juges peu avant la fin de son terme. "Aujourd’hui, le gouvernement polonais est engagé dans des efforts pour rétablir l’ordre juridique et garantir le bon fonctionnement du Tribunal constitutionnel et en particulier son pluralisme", poursuivait-il, soulignant que cette approche témoigne du "profond engagement du gouvernement aux principes de l’Etat de droit démocratique".

Invitant Frans Timmermans en Pologne pour "répondre à toute autre éventuelle question", Zbigniew Ziobro lui avait également demandé d'observer à l'avenir "une plus grande retenue dans les leçons à donner à un parlement et à un gouvernement d'un Etat souverain et démocratique, malgré les différences idéologiques qui peuvent exister entre nous".

Devant le parlement polonais le 13 janvier, la Première ministre polonaise Beata Szydlo a de son côté appelé l'opposition à présenter un front uni avec le gouvernement face aux "calomnies" dont leur pays fait l'objet à l'étranger, selon des propos rapportés par l’AFP.

"La Pologne est injustement accusée de choses qui n'existent pas dans notre pays […] de violer les principes de l'Etat de droit. Ce n'est pas vrai. La démocratie se porte bien en Pologne", a-t-elle assuré devant les députés. Elle présentait ainsi la position de Varsovie en prévision d'un débat auquel elle assistera au Parlement européen à Strasbourg le 19 janvier 2016.